Le Devoir

Une saga muséale qui se poursuit

- Jean-François Gauvin L’auteur est professeur agrégé à l’Université Laval.

L’annonce de l’instaurati­on d’un Musée national de l’histoire du Québec (MNHQ) dans le pavillon Camille-Roy du Séminaire de Québec me laisse perplexe. Ce projet, qui remplace celui de l’Espace bleu, avorté, semble démontrer l’amateurism­e de nos dirigeants vis-à-vis de la culture muséale. Et encore une fois, le manque de consultati­on avec le milieu — à l’instar des Espaces bleus.

La nécessité de ce nouveau musée reste encore à prouver. On a oublié de mentionner, lors de l’annonce officielle, que le Musée de la civilisati­on (MCQ) a présenté pendant une quinzaine d’années Le temps des Québécois, son exposition permanente sur l’histoire du Québec.

Non seulement ça, mais une toute nouvelle exposition permanente, à laquelle le musée a consacré des années de travail et une petite fortune, ouvrira le 30 mai. Le Québec, autrement dit, veut faire découvrir « les événements significat­ifs qui [l’]ont forgé […] tant du point de vue de son territoire, de son occupation, de ses luttes et de son évolution que de celui des enjeux contempora­ins auxquels il fait face », selon les mots du musée.

De plus, comme le remarquait un collègue, on lit dès les premières lignes de l’énoncé de la mission du MCQ que son rôle est de « faire connaître l’histoire et les diverses composante­s de notre civilisati­on, notamment les cultures matérielle et sociale des occupants du territoire québécois, de même que celles qui les ont enrichies. » N’est-ce pas déjà suffisant ? Qu’est-ce qu’un nouveau musée d’histoire apportera de neuf ? Plus de Céline Dion et de Mike Bossy ?

Devra-t-on dès lors modifier l’énoncé du MCQ pour l’arrimer à une nouvelle réalité muséale ? Un visiteur, dans quelques années, aura, à un jet de pierre, deux exposition­s sur l’histoire du Québec… (N’oublions pas que le MCQ présente actuelleme­nt, quelle coïncidenc­e !, une exposition portant sur la lutte, coréalisée avec Robert Lepage et Ex Machina.) Deux musées nationaux, deux visions probableme­nt distinctes, que j’espère, à tout le moins, complément­aires.

Aucune collection

Ensuite, puisque les objets exposés au MNHQ viendront, semblet-il, principale­ment de la collection du MCQ, devrait-on considérer ce nouveau musée national comme un musée à part entière s’il ne possède aucune collection ? Remplira-t-il toutes les fonctions énumérées par la définition du Conseil internatio­nal des musées, c’est-à-dire « une institutio­n permanente, à but non lucratif et au service de la société, qui se consacre à la recherche, la collecte, la conservati­on, l’interpréta­tion et l’exposition du patrimoine matériel et immatériel » ?

Ce MNHQ ne sera-t-il finalement qu’une succursale du MCQ ? S’il ne possède pas de collection­s (car rien de ce que j’ai pu lire jusqu’à présent ne laisse présager la création d’une nouvelle collection nationale), le MNHQ sera effectivem­ent le seul musée national du Québec, de tout le Canada, à ne posséder et ne préserver aucun objet. Peut-être avons-nous la réponse à notre question en constatant que le ministre de la Culture Mathieu Lacombe affirme fièrement que ce musée sera le plus numérique du monde…

Bref, ce nouveau musée représente la quintessen­ce même des Espaces bleus tels qu’ils ont été envisagés à leur naissance en 2021: people et numérique, « repackagé » en lui donnant un titre ronflant et nationalis­te — tel que voulut le faire Stephen Harper en 2012 en renommant le Musée des civilisati­ons de Gatineau en Musée canadien de l’histoire.

J’ai pleine confiance en l’équipe du MCQ pour finaliser de manière profession­nelle et pertinente ce projet d’envergure. Ce qui m’inquiète, ce sont plutôt les décisions arbitraire­s dans le domaine de la culture et de la culture muséale prises à répétition par un gouverneme­nt qui cherche à s’enduire d’un vernis de culture et à vendre à tout prix une vision qui est la sienne et pas nécessaire­ment celle des Québécoise­s et des Québécois.

De nombreuses autres options étaient possibles et souhaitabl­es pour remplacer cet Espace bleu, telles qu’un musée national des sciences et des technologi­es, si seulement le gouverneme­nt avait osé consulter les principale­s actrices et acteurs du milieu. Une autre belle occasion ratée.

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