Québec solidaire, un autre boys’ club ?
Rédactrice et citoyenne engagée, l’autrice a enseigné la littérature au collégial et est présidente du conseil d’établissement d’une école primaire. Elle a codirigé et coécrit l’essai Traitements-chocs et tartelettes (Somme toute, 2022).
Ça fait mal au coeur de l’écrire. J’aurais tant aimé que le seul parti de gauche du Québec soit réellement paritaire, féministe dans le geste et pas seulement la parole. J’ai souvent défendu Gabriel Nadeau-Dubois, auquel colle encore l’indécrottable passé de carré rouge trop frondeur pour rallier la population générale. Mais si moi, j’étais députée ou co-porte-parole de Québec solidaire (QS), mon parti me soutiendrait-il ? Me défendrait-il ?
Il ne faut pas se leurrer : la publication d’Émilise Lessard-Therrien, bien que délicate, polie, poétique — à la hauteur de la femme qui aime davantage tendre des mains et rêver collectivement que taper sur quiconque (sauf une certaine fonderie qui le mérite) —, met en relief un problème bien plus grand que le sien : celui des femmes de Québec solidaire. Ce n’en est qu’une itération de plus. Possiblement celle de trop.
Ce n’est pas d’hier que les femmes de Québec solidaire, candidates, élues ou militantes, voient leurs idéaux bafoués. Chaque événement pris isolément n’est peut-être pas si « grave » ou « signifiant » ; on le met à la poubelle et on continue. Mais quand la poubelle déborde, il faut mettre le nez et la main dedans pour en disséquer le contenu, des petites babioles jusqu’aux gros « Serpuariens ». Et quand on constate que la même babiole revient, il faut poser des questions. Si Catherine Dorion a osé le faire en éventrant les sacs en pleine lumière, plusieurs le font dans l’ombre.
En 2018, quatre femmes bénévoles du comité de coordination du parti dans Rosemont ont démissionné en bloc. Cette circonscription n’était pas considérée comme « prenable » aux élections, les bénévoles ont travaillé très fort pour qu’elle le devienne. « À ce moment-là, on gagnait le privilège d’avoir un candidat vedette, m’a mentionné l’une d’elles. On voulait une femme ou un candidat racisé pour incarner nos principes, mais à la seconde où le candidat racisé, de grande qualité, nous a confirmé qu’il était partant, on nous a dit que ça allait être Vincent Marissal. »
Le problème, ici, n’est pas le candidat choisi — qui a par ailleurs été élu, et qui semble très bien faire son travail. Le problème, c’est la répétition. « On nous dit : “On va suivre le processus démocratique, mais sachez que Gabriel et toute la machine vont appuyer le candidat X.” Rien de grave en soi, mais ça se répète toujours. »
La fatigue militante — et les démissions qu’elle entraîne — semble beaucoup venir de là, de la « machine ». Particulièrement chez les femmes. « On nous dit qu’il faut être raisonnables, qu’on incarnera nos principes une fois élus. » Et alors que ce jour n’arrive pas, la même histoire se répète dans d’autres circonscriptions, comme Taschereau, et la foi se perd davantage.
Comme d’autres, Lessard-Therrien avait soif d’incarner concrètement ses principes. Elle n’a pas été libre de le faire. En bon québécois, on dirait qu’un des problèmes de QS, c’est que les bottines ne suivent pas les babines (sauf pour rectifier le tir radicalement en limitant les candidatures masculines). Ainsi, quatre mois suffisent à ce qu’on s’épuise quand on constate qu’on ne réussira pas à changer la machine.
Un miroir à saisir
Dans Les têtes brûlées (Lux), Catherine Dorion raconte qu’une conseillère lui avait demandé de policer son style vestimentaire, en plus de lui dire : « Féminise partout : “les étudiants et les étudiantes”, etc. » Louable. Mais faire apparaître les femmes dans la langue sans les soutenir pour pérenniser leur place autour de la table, ça devient du féminisme d’apparat, de la langue de bois.
Le salaire de co-porte-parole d’Émilise Lessard-Therrien tournait autour de 80 000 $ par année. Environ la moitié de celui de Nadeau-Dubois, qui assume en outre des fonctions de député. Méganne Perry Mélançon, qui a un statut comparable à celui de LessardTherrien, mais au Parti québécois, touche environ 100 000 $, en plus de disposer d’un appartement de fonction. « Ce sont des choix », m’a dit Myriam Lapointe-Gagnon, ex-candidate de QS dans Rivière-du-Loup–Témiscouata, qui ne briguera pas de siège aux prochaines élections, à l’instar de plusieurs collègues féminines.
En 2023, Émilise Lessard-Therrien déplorait déjà le manque de soutien apporté aux femmes de Québec solidaire. Elle incitait le parti à « mieux accompagner les femmes entre deux élections », leur engagement politique étant plus difficile à poursuivre en raison de la « charge mentale, des enfants, de la maison et de l’organisation familiale ».
Lors des derniers mois, ce manque de soutien s’est fait cruellement sentir : des milliers de kilomètres parcourus en solitaire, sans chauffeur, dans des autobus de nuit ; des événements couverts sans protection ni accompagnement ; aucun photographe pour la visibilité. Des ressources asymétriques : un co-porte-parolat qui n’avait de « co- » que le nom.
En cette fin avril, la publication d’Émilise Lessard-Therrien est un miroir qu’elle tend courageusement à Québec solidaire. Comme l’a fait Dorion avant elle, mais sans les « fuck you ». Elle nous rappelle que les partis nous avalent et met en lumière le paradoxe de l’engagement (et celui des femmes et des mères en particulier) : à quoi bon nous battre au sein d’un parti pour l’avenir de nos enfants quand nos idéaux, notre voix n’y sont pas entendus, tandis que nos enfants à nous dessinent dans un rayon de soleil loin du regard de leur mère absente ?
Ce miroir, espérons que Québec solidaire aura le courage de le regarder en face, ainsi que de reconnaître ses travers et de s’en affranchir. Les femmes et les personnes racisées ne sont pas des greffons, elles devraient être au coeur de QS, seul parti de gauche au Québec. Mais surtout, ne nous leurrons pas : le problème des femmes en politique touche tous les partis. La seule différence, c’est que celles de QS ont le courage de parler.