Mobilité durable, virage ou mirage?
Les mots sont le reflet de nos intentions et il importe de les choisir avec soin, surtout lorsqu’il s’agit de faire la distinction entre « investissement » et « dépense » dans le secteur public. Un discours bien rodé embrouille trop souvent ces termes, jusqu’à leur faire perdre leur essence. C’est comme si on peignait de la même couleur des concepts qui devraient pourtant vibrer de nuances distinctes.
Dans l’univers du transport québécois, ces deux termes s’entrechoquent au point de créer une dissonance qui brouille l’entendement. Dans ces conditions, tenter de démêler les fils qui relient l’investissement dans les infrastructures aux dépenses opérationnelles suffirait à égarer jusqu’au plus aguerri des gardes forestiers. Même à la lisière d’un simple boisé urbain.
En scrutant le paysage de la mobilité durable, on peut se questionner sur ce que signifie réellement « investir » dans les infrastructures routières, celles qui servent presque exclusivement au transport automobile. Cette interrogation est encore plus pertinente lorsque l’on prend conscience des conséquences environnementales de la combustion des énergies fossiles et de notre dépendance chronique à l’automobile. Sur le front de l’empreinte carbone, même une flotte de véhicules électriques ne saurait concurrencer l’efficience et la pérennité du transport collectif.
Du côté de l’Ontario, l’engagement est net : sur dix ans, à partir de 2023, plus de 72 % des fonds consacrés aux infrastructures seront alloués au transport en commun. Pendant ce temps, au Québec, nous nous maintenons modestement autour de 30 %, une proportion qui a même légèrement chuté dans le dernier Plan québécois des
infrastructures 2024-2034. Il faut maintenant espérer que nos aspirations à rattraper nos voisins ontariens deviendront aussi un leitmotiv en matière de mobilité durable.
Parler d’innovation, c’est souvent espérer que la transition énergétique et l’électrification des transports ouvriront la voie à des lendemains radieux. Cependant, juste remplacer la source d’énergie d’un véhicule ne constitue pas, au fond, une réelle avancée.
Prenons un exemple concret : électrifier les balais mécaniques de rue ne bouleverse pas la gestion municipale. La nature de l’activité reste inchangée avec l’introduction de l’électricité. En vérité, l’innovation ne réside pas dans la transition vers une formule électrique, mais dans la réinvention des objectifs poursuivis et des méthodes utilisées. Le défi est de remettre en question les pratiques établies pour atteindre une transformation significative. La clé de l’innovation urbaine réside là, dans la remise en cause du statu quo qui permet de poser la première pierre d’une ville véritablement novatrice.
Dans le domaine du transport, nous sommes souvent séduits par l’illusion de la technologie. On pense qu’elle est synonyme d’innovation. Or, bien que le produit puisse être novateur, son utilisation ne l’est pas toujours de façon intrinsèque.
Concevez un instant la possibilité de coordonner votre déplacement urbain par le biais d’une combinaison de services de mobilité, le tout orchestré par l’accès ouvert aux données de divers opérateurs tels que Bixi, Communauto, la STM, Netlift, et autres. Imaginez maintenant une application qui vous permettrait de réserver et d’enchaîner sans heurt vos modes de transport — vélo, métro, voiture partagée — d’un simple effleurement du doigt.
Et si, en sus, on vous proposait une facturation mensuelle calibrée sur le forfait le plus avantageux en fonction de votre usage réel ? Ajoutez à cela l’avantage d’un compte numérique municipal unifié, véritable identité numérique centralisant l’accès à tous ces services en un lieu unique. Voilà une vision de la mobilité qui marie réellement l’innovation technologique à une transformation profonde de nos pratiques de transport.
L’utilisation astucieuse des données en temps réel sur les déplacements nous aiderait à affiner la gestion et la planification de nos services de mobilité. Cette méthode, spécialement pertinente dans notre ère de télétravail, permettrait de surcroît d’adapter plus précisément le réseau de transport aux besoins actuels.
L’idée d’un tel modèle d’affaires en transport n’est pas nouvelle à Montréal. Elle était au coeur du projet Montréal en commun, qui a valu à la Ville le prix du concours fédéral Défi des villes intelligentes en 2019, doté d’une enveloppe de 50 millions de dollars pour explorer de nouveaux modèles de mobilité, tels que la mobilité intégrée. Malheureusement, en raison de conflits de champs de compétence sur la tarification, l’ARTM a directement contribué à mettre fin à ce projet, se contentant par la suite d’introduire le paiement des transports par carte Opus par le truchement du téléphone intelligent en guise de projet de remplacement. Soyons honnêtes, cette initiative ne représente pas une véritable innovation.
Des villes comme Rennes, Lyon et Helsinki ont été des sources d’inspiration pour Montréal. Celles-ci évoluent vers un modèle d’affaires innovant semblable en matière de mobilité. Il est essentiel que le Québec envisage une approche similaire pour l’avenir des transports. Il serait judicieux de mettre de côté les querelles puériles sur les champs de compétence afin de rassembler toutes les parties autour de ce défi financier et de repenser le modèle d’affaires dans une perspective de mobilité intégrée, comme Montréal l’avait envisagé en 2019. C’est ainsi que nous parviendrons à innover, avec la technologie comme levier essentiel pour atteindre ces objectifs.