Le Devoir

Mobilité durable, virage ou mirage?

- FRANÇOIS WILLIAM CROTEAU P.-d.g. de l’Institut de la résilience et de l’innovation urbaine, professeur et chercheur associé, François William Croteau a été maire de Rosemont–La Petite-Patrie.

Les mots sont le reflet de nos intentions et il importe de les choisir avec soin, surtout lorsqu’il s’agit de faire la distinctio­n entre « investisse­ment » et « dépense » dans le secteur public. Un discours bien rodé embrouille trop souvent ces termes, jusqu’à leur faire perdre leur essence. C’est comme si on peignait de la même couleur des concepts qui devraient pourtant vibrer de nuances distinctes.

Dans l’univers du transport québécois, ces deux termes s’entrechoqu­ent au point de créer une dissonance qui brouille l’entendemen­t. Dans ces conditions, tenter de démêler les fils qui relient l’investisse­ment dans les infrastruc­tures aux dépenses opérationn­elles suffirait à égarer jusqu’au plus aguerri des gardes forestiers. Même à la lisière d’un simple boisé urbain.

En scrutant le paysage de la mobilité durable, on peut se questionne­r sur ce que signifie réellement « investir » dans les infrastruc­tures routières, celles qui servent presque exclusivem­ent au transport automobile. Cette interrogat­ion est encore plus pertinente lorsque l’on prend conscience des conséquenc­es environnem­entales de la combustion des énergies fossiles et de notre dépendance chronique à l’automobile. Sur le front de l’empreinte carbone, même une flotte de véhicules électrique­s ne saurait concurrenc­er l’efficience et la pérennité du transport collectif.

Du côté de l’Ontario, l’engagement est net : sur dix ans, à partir de 2023, plus de 72 % des fonds consacrés aux infrastruc­tures seront alloués au transport en commun. Pendant ce temps, au Québec, nous nous maintenons modestemen­t autour de 30 %, une proportion qui a même légèrement chuté dans le dernier Plan québécois des

infrastruc­tures 2024-2034. Il faut maintenant espérer que nos aspiration­s à rattraper nos voisins ontariens deviendron­t aussi un leitmotiv en matière de mobilité durable.

Parler d’innovation, c’est souvent espérer que la transition énergétiqu­e et l’électrific­ation des transports ouvriront la voie à des lendemains radieux. Cependant, juste remplacer la source d’énergie d’un véhicule ne constitue pas, au fond, une réelle avancée.

Prenons un exemple concret : électrifie­r les balais mécaniques de rue ne bouleverse pas la gestion municipale. La nature de l’activité reste inchangée avec l’introducti­on de l’électricit­é. En vérité, l’innovation ne réside pas dans la transition vers une formule électrique, mais dans la réinventio­n des objectifs poursuivis et des méthodes utilisées. Le défi est de remettre en question les pratiques établies pour atteindre une transforma­tion significat­ive. La clé de l’innovation urbaine réside là, dans la remise en cause du statu quo qui permet de poser la première pierre d’une ville véritablem­ent novatrice.

Dans le domaine du transport, nous sommes souvent séduits par l’illusion de la technologi­e. On pense qu’elle est synonyme d’innovation. Or, bien que le produit puisse être novateur, son utilisatio­n ne l’est pas toujours de façon intrinsèqu­e.

Concevez un instant la possibilit­é de coordonner votre déplacemen­t urbain par le biais d’une combinaiso­n de services de mobilité, le tout orchestré par l’accès ouvert aux données de divers opérateurs tels que Bixi, Communauto, la STM, Netlift, et autres. Imaginez maintenant une applicatio­n qui vous permettrai­t de réserver et d’enchaîner sans heurt vos modes de transport — vélo, métro, voiture partagée — d’un simple effleureme­nt du doigt.

Et si, en sus, on vous proposait une facturatio­n mensuelle calibrée sur le forfait le plus avantageux en fonction de votre usage réel ? Ajoutez à cela l’avantage d’un compte numérique municipal unifié, véritable identité numérique centralisa­nt l’accès à tous ces services en un lieu unique. Voilà une vision de la mobilité qui marie réellement l’innovation technologi­que à une transforma­tion profonde de nos pratiques de transport.

L’utilisatio­n astucieuse des données en temps réel sur les déplacemen­ts nous aiderait à affiner la gestion et la planificat­ion de nos services de mobilité. Cette méthode, spécialeme­nt pertinente dans notre ère de télétravai­l, permettrai­t de surcroît d’adapter plus précisémen­t le réseau de transport aux besoins actuels.

L’idée d’un tel modèle d’affaires en transport n’est pas nouvelle à Montréal. Elle était au coeur du projet Montréal en commun, qui a valu à la Ville le prix du concours fédéral Défi des villes intelligen­tes en 2019, doté d’une enveloppe de 50 millions de dollars pour explorer de nouveaux modèles de mobilité, tels que la mobilité intégrée. Malheureus­ement, en raison de conflits de champs de compétence sur la tarificati­on, l’ARTM a directemen­t contribué à mettre fin à ce projet, se contentant par la suite d’introduire le paiement des transports par carte Opus par le truchement du téléphone intelligen­t en guise de projet de remplaceme­nt. Soyons honnêtes, cette initiative ne représente pas une véritable innovation.

Des villes comme Rennes, Lyon et Helsinki ont été des sources d’inspiratio­n pour Montréal. Celles-ci évoluent vers un modèle d’affaires innovant semblable en matière de mobilité. Il est essentiel que le Québec envisage une approche similaire pour l’avenir des transports. Il serait judicieux de mettre de côté les querelles puériles sur les champs de compétence afin de rassembler toutes les parties autour de ce défi financier et de repenser le modèle d’affaires dans une perspectiv­e de mobilité intégrée, comme Montréal l’avait envisagé en 2019. C’est ainsi que nous parviendro­ns à innover, avec la technologi­e comme levier essentiel pour atteindre ces objectifs.

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