Le départ des manifestants est « non négociable »
L’Université se dit toutefois ouverte à tenir un « forum » avec les manifestants si ceux-ci acceptent de quitter les lieux
Ils utilisent des accusations très, très vagues pour criminaliser ce qui se passe à l’intérieur de ce campement. Et cela vise particulièrement les étudiants musulmans et arabes, et je pense que cela dévalorise l’accusation d’antisémitisme.
DANIEL SCHWARTZ »
Le démantèlement du campement établi depuis samedi sur le terrain de l’Université McGill est « non négociable », souligne l’établissement, qui se dit maintenant ouvert à tenir un « forum » sur les demandes des manifestants si ceux-ci cessent cette occupation. Les étudiants refusent pour leur part de baisser les bras tant que l’Université ne coupera pas ses liens — financiers et universitaires — avec des entreprises contribuant aux activités militaires israéliennes dans la bande de Gaza.
« Personne, encore moins les individus de l’extérieur de McGill, n’a le droit d’établir un campement sur la propriété de l’Université, y compris sur le terrain », a affirmé en milieu d’après-midi mercredi le recteur de McGill, Deep Saini, dans une déclaration publiée sur le site Web de l’établissement. Il a alors rappelé qu’une part importante des manifestants qui occupent certaines des quelque 80 tentes érigées sur le terrain de l’université, au centre-ville, n’étudient pas à McGill, cette mobilisation ayant attiré des étudiants de plusieurs autres campus de la métropole.
Réitérant que ce campement ne respecte pas les règles de l’Université encadrant des manifestations sur son terrain, Deep Saini a souligné que cette occupation « ne sera pas tolérée ». « Le campement doit être démantelé sans délai, et c’est là une demande non négociable », a-t-il martelé, tout en tendant une perche aux manifestants mobilisés pour une cinquième journée de suite sur ce site.
« Si les membres de la communauté de McGill quittent définitivement et immédiatement le camp, je m’engage à tenir un forum avec les membres de la communauté de McGill pour discuter de vos diverses demandes et de tout point de vue contraire de manière pacifique, respectueuse et civilisée », a-t-il écrit, avant de réitérer que tout membre de ce campement qui n’étudie pas à McGill doit quitter les lieux « immédiatement ».
Or, pour les étudiants rencontrés par Le Devoir en marge de cette déclaration, cette proposition ne suffira pas à les convaincre de quitter ce campement. « Nous voulons être sûrs que nos demandes seront satisfaites et nous sommes donc prêts à rester jusqu’à ce qu’ils nous prennent au sérieux et nous traitent sur un pied d’égalité », a notamment martelé une étudiante de l’Université Concordia, qui a demandé l’anonymat parce qu’elle craint de recevoir des menaces en ligne pour son soutien à la cause palestinienne.
Ali Salman, un des organisateurs de cette mobilisation, a pour sa part indiqué ne pas avoir suffisamment « confiance » en l’Université McGill pour accepter cette main tendue. « Ce n’est pas un vote ou une discussion de potentiels forums qui va nous faire partir, donc on va probablement rester ici », a aussi dit Ari Nahman, une étudiante juive de l’Université Concordia qui prend part à cette mobilisation depuis plusieurs jours.
Une gestion critiquée
Des professeurs de l’Université McGill ont d’ailleurs continué de prendre la parole mercredi pour critiquer l’établissement dans sa gestion de ce campement.
De confession juive, Daniel Schwartz, qui est professeur adjoint au Département de langues, littératures et cultures
de McGill, s’est dit troublé par la manière dont l’établissement s’est basé sur une vidéo circulant sur les réseaux sociaux, dont « l’authenticité » n’a pas été vérifiée, pour condamner cette semaine, dans un courriel à l’ensemble de la communauté universitaire, des propos antisémites qui auraient été tenus dans le contexte de ce campement.
« Ils utilisent des accusations très, très vagues pour criminaliser ce qui se passe à l’intérieur de ce campement. Et cela vise particulièrement les étudiants musulmans et arabes, et je pense que cela dévalorise l’accusation d’antisémitisme », qui est pourtant un problème réel dans notre société, a relevé M. Schwartz.
Le professeur au Département de sciences politiques de l’Université McGill et expert du Moyen-Orient Rex J. Brynen déplore pour sa part que l’établissement ait demandé au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) d’intervenir pour démanteler ce campement. Le SPVM refuse pour l’instant d’intervenir sur ce site, où la commission d’aucun acte criminel ne lui a été signalée.
« Je pense que l’opinion générale de la plupart de mes collègues est que protester est une chose assez normale et que l’Université devrait être assez flexible et essayer de ne pas impliquer la police, car cela fonctionne rarement bien », relève-t-il.
Jointe par Le Devoir, l’Université McGill a d’abord accepté notre demande d’entrevue, avant de décliner celle-ci en fin d’après-midi, sans se justifier.
« Les forces policières ont un rôle à jouer pour assurer la sécurité et le respect des règles », a pour sa part déclaré en début de soirée le ministre québécois de la Sécurité publique, François Bonnardel, qui a rappelé sur le réseau social X que ce campement ne respectait pas « les règlements internes de McGill ».
Soulagement
Les membres de ce campement ont d’autre part accueilli par des cris de joie, mercredi midi, la décision de la juge de la Cour supérieure Chantal Masse, qui a rejeté une demande d’injonction temporaire déposée par deux étudiants de l’Université McGill qui souhaitaient notamment interdire à des groupes militants pro-palestiniens de se trouver à moins de 100 mètres des entrées des quelque 154 édifices du campus universitaire situé en plein centre-ville de la métropole.
« Nous sommes extatiques. Ça vient vraiment réaffirmer pourquoi nous sommes ici et le fait que nous avons le droit d’être ici. On se bat pour que McGill cesse d’investir dans ce génocide. Jusqu’à maintenant, elle a refusé d’écouter nos demandes », a lancé en entrevue Leila Khaled, une étudiante à McGill qui demeure dans ce campement.
Tout en affirmant que les manifestants occupent « illégalement » le terrain de McGill en y campant, la juge Masse a indiqué dans son jugement ne pas voir d’urgence d’agir pour démanteler ce campement, alors que les classes et la tenue des examens ne sont pas mises en péril par les manifestants. L’accès aux bâtiments n’est pas non plus bloqué, selon la preuve présentée.
Sans prononcer une ordonnance explicite à ce sujet, la juge a toutefois lancé un appel au respect, en « invitant » les défendeurs et les manifestants à mieux choisir leurs mots sans renoncer à leur message antiguerre, et « à se dispenser d’utiliser ceux susceptibles d’être perçus, à tort ou à raison, comme des appels à la violence ou comme des propos antisémites ».
Elle s’est dite consciente que la situation sur le campus pouvait changer rapidement. Si elle devait se détériorer, il demeurerait possible de s’adresser à nouveau aux tribunaux, écrit-elle.