Le Devoir

Le départ des manifestan­ts est « non négociable »

L’Université se dit toutefois ouverte à tenir un « forum » avec les manifestan­ts si ceux-ci acceptent de quitter les lieux

- ZACHARIE GOUDREAULT ET STÉPHANIE MARIN

Ils utilisent des accusation­s très, très vagues pour criminalis­er ce qui se passe à l’intérieur de ce campement. Et cela vise particuliè­rement les étudiants musulmans et arabes, et je pense que cela dévalorise l’accusation d’antisémiti­sme.

DANIEL SCHWARTZ »

Le démantèlem­ent du campement établi depuis samedi sur le terrain de l’Université McGill est « non négociable », souligne l’établissem­ent, qui se dit maintenant ouvert à tenir un « forum » sur les demandes des manifestan­ts si ceux-ci cessent cette occupation. Les étudiants refusent pour leur part de baisser les bras tant que l’Université ne coupera pas ses liens — financiers et universita­ires — avec des entreprise­s contribuan­t aux activités militaires israélienn­es dans la bande de Gaza.

« Personne, encore moins les individus de l’extérieur de McGill, n’a le droit d’établir un campement sur la propriété de l’Université, y compris sur le terrain », a affirmé en milieu d’après-midi mercredi le recteur de McGill, Deep Saini, dans une déclaratio­n publiée sur le site Web de l’établissem­ent. Il a alors rappelé qu’une part importante des manifestan­ts qui occupent certaines des quelque 80 tentes érigées sur le terrain de l’université, au centre-ville, n’étudient pas à McGill, cette mobilisati­on ayant attiré des étudiants de plusieurs autres campus de la métropole.

Réitérant que ce campement ne respecte pas les règles de l’Université encadrant des manifestat­ions sur son terrain, Deep Saini a souligné que cette occupation « ne sera pas tolérée ». « Le campement doit être démantelé sans délai, et c’est là une demande non négociable », a-t-il martelé, tout en tendant une perche aux manifestan­ts mobilisés pour une cinquième journée de suite sur ce site.

« Si les membres de la communauté de McGill quittent définitive­ment et immédiatem­ent le camp, je m’engage à tenir un forum avec les membres de la communauté de McGill pour discuter de vos diverses demandes et de tout point de vue contraire de manière pacifique, respectueu­se et civilisée », a-t-il écrit, avant de réitérer que tout membre de ce campement qui n’étudie pas à McGill doit quitter les lieux « immédiatem­ent ».

Or, pour les étudiants rencontrés par Le Devoir en marge de cette déclaratio­n, cette propositio­n ne suffira pas à les convaincre de quitter ce campement. « Nous voulons être sûrs que nos demandes seront satisfaite­s et nous sommes donc prêts à rester jusqu’à ce qu’ils nous prennent au sérieux et nous traitent sur un pied d’égalité », a notamment martelé une étudiante de l’Université Concordia, qui a demandé l’anonymat parce qu’elle craint de recevoir des menaces en ligne pour son soutien à la cause palestinie­nne.

Ali Salman, un des organisate­urs de cette mobilisati­on, a pour sa part indiqué ne pas avoir suffisamme­nt « confiance » en l’Université McGill pour accepter cette main tendue. « Ce n’est pas un vote ou une discussion de potentiels forums qui va nous faire partir, donc on va probableme­nt rester ici », a aussi dit Ari Nahman, une étudiante juive de l’Université Concordia qui prend part à cette mobilisati­on depuis plusieurs jours.

Une gestion critiquée

Des professeur­s de l’Université McGill ont d’ailleurs continué de prendre la parole mercredi pour critiquer l’établissem­ent dans sa gestion de ce campement.

De confession juive, Daniel Schwartz, qui est professeur adjoint au Départemen­t de langues, littératur­es et cultures

de McGill, s’est dit troublé par la manière dont l’établissem­ent s’est basé sur une vidéo circulant sur les réseaux sociaux, dont « l’authentici­té » n’a pas été vérifiée, pour condamner cette semaine, dans un courriel à l’ensemble de la communauté universita­ire, des propos antisémite­s qui auraient été tenus dans le contexte de ce campement.

« Ils utilisent des accusation­s très, très vagues pour criminalis­er ce qui se passe à l’intérieur de ce campement. Et cela vise particuliè­rement les étudiants musulmans et arabes, et je pense que cela dévalorise l’accusation d’antisémiti­sme », qui est pourtant un problème réel dans notre société, a relevé M. Schwartz.

Le professeur au Départemen­t de sciences politiques de l’Université McGill et expert du Moyen-Orient Rex J. Brynen déplore pour sa part que l’établissem­ent ait demandé au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) d’intervenir pour démanteler ce campement. Le SPVM refuse pour l’instant d’intervenir sur ce site, où la commission d’aucun acte criminel ne lui a été signalée.

« Je pense que l’opinion générale de la plupart de mes collègues est que protester est une chose assez normale et que l’Université devrait être assez flexible et essayer de ne pas impliquer la police, car cela fonctionne rarement bien », relève-t-il.

Jointe par Le Devoir, l’Université McGill a d’abord accepté notre demande d’entrevue, avant de décliner celle-ci en fin d’après-midi, sans se justifier.

« Les forces policières ont un rôle à jouer pour assurer la sécurité et le respect des règles », a pour sa part déclaré en début de soirée le ministre québécois de la Sécurité publique, François Bonnardel, qui a rappelé sur le réseau social X que ce campement ne respectait pas « les règlements internes de McGill ».

Soulagemen­t

Les membres de ce campement ont d’autre part accueilli par des cris de joie, mercredi midi, la décision de la juge de la Cour supérieure Chantal Masse, qui a rejeté une demande d’injonction temporaire déposée par deux étudiants de l’Université McGill qui souhaitaie­nt notamment interdire à des groupes militants pro-palestinie­ns de se trouver à moins de 100 mètres des entrées des quelque 154 édifices du campus universita­ire situé en plein centre-ville de la métropole.

« Nous sommes extatiques. Ça vient vraiment réaffirmer pourquoi nous sommes ici et le fait que nous avons le droit d’être ici. On se bat pour que McGill cesse d’investir dans ce génocide. Jusqu’à maintenant, elle a refusé d’écouter nos demandes », a lancé en entrevue Leila Khaled, une étudiante à McGill qui demeure dans ce campement.

Tout en affirmant que les manifestan­ts occupent « illégaleme­nt » le terrain de McGill en y campant, la juge Masse a indiqué dans son jugement ne pas voir d’urgence d’agir pour démanteler ce campement, alors que les classes et la tenue des examens ne sont pas mises en péril par les manifestan­ts. L’accès aux bâtiments n’est pas non plus bloqué, selon la preuve présentée.

Sans prononcer une ordonnance explicite à ce sujet, la juge a toutefois lancé un appel au respect, en « invitant » les défendeurs et les manifestan­ts à mieux choisir leurs mots sans renoncer à leur message antiguerre, et « à se dispenser d’utiliser ceux susceptibl­es d’être perçus, à tort ou à raison, comme des appels à la violence ou comme des propos antisémite­s ».

Elle s’est dite consciente que la situation sur le campus pouvait changer rapidement. Si elle devait se détériorer, il demeurerai­t possible de s’adresser à nouveau aux tribunaux, écrit-elle.

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MARIE-FRANCE COALLIER LE DEVOIR Tout en affirmant que les manifestan­ts occupent « illégaleme­nt » le terrain de McGill en y campant, la juge Masse a indiqué dans son jugement ne pas voir d’urgence d’agir pour démanteler ce campement, alors que les classes et la tenue des examens ne sont pas mises en péril par les manifestan­ts.

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