Un recul inexcusable dans l’accès aux soins
Depuis mai 2022, grâce à une entente conclue avec le gouvernement, les médecins de famille ont mis encore la main à la pâte pour améliorer l’accessibilité aux soins. En 18 mois, malgré la grave pénurie d’effectifs (il manque toujours 1500 médecins de famille au Québec), nous avons réussi à inscrire un peu plus d’un million de patients en inscription collective en lien avec l’implantation des guichets d’accès à la première ligne (GAP), dépassant largement l’objectif provincial, qui était de 500 000.
À Montréal, c’est 260 000 plages de rendez-vous par année qui ont été offertes dans ce contexte. Dans mon petit groupe de médecine de famille (GMF) de neuf médecins à Verdun, c’est 5200 plages par année. Et grâce à un projet auquel je crois : l’inscription collective.
La réalité est inéluctable : nous n’arriverons jamais à suivre tous les Québécois en inscription individuelle. Nous ne sommes pas assez nombreux et, malheureusement, depuis l’ère Barrette et face au dénigrement que subit notre profession, trop peu d’étudiants souhaitent se diriger vers la médecine de famille alors que les retraites et les départs se multiplient. De plus, les multiples embûches bureaucratiques et obligations de toutes sortes en GMF rendent notre pratique de plus en plus lourde et moins attractive.
Malgré tout, nous avons fait un pas vers un nouveau modèle d’accessibilité aux soins, un modèle qui a permis d’inscrire collectivement les patients à des groupes de médecins de famille tout en travaillant en équipe avec d’autres professionnels de la santé. Ce modèle, celui du GAP, permettait un triage par l’intermédiaire du service 811 afin que les patients puissent être dirigés aux bons endroits et vers les bons professionnels : un pharmacien, un physiothérapeute, un dentiste, un optométriste, vers des soins infirmiers en CLSC, un organisme communautaire, etc., ou qu’ils puissent avoir un rendezvous avec un médecin rapidement (en moins de 36 heures) dans leur clinique d’attache.
Le taux d’assignation de rendezvous aux patients avec le 811 à Montréal a été de plus 99 % au cours des deux dernières années. Je vois difficilement comment on peut faire mieux. Tout ça pour dire que de nombreux patients ont pu bénéficier de ce nouveau modèle d’accessibilité aux soins.
Contre toute attente et tout bon sens, le ministre de la Santé, Christian Dubé, a décidé dernièrement, unilatéralement, de mettre fin à cette entente. C’est à n’y rien comprendre. Il s’agit d’une des seules mesures qui a donné des résultats positifs dans les dernières années en santé ! Ne semblant pas avoir mesuré l’impact positif de ce travail colossal mis en place dans les deux dernières années, le ministre a mis fin à l’entente : coupes budgétaires. On aurait pu prolonger l’entente, l’améliorer, se diriger vers un autre modèle de soins en première ligne tous ensemble, mais non, tout cela a été jeté à la poubelle.
Des milliers de Québécois risquent de voir prochainement leur accès aux soins régresser en raison de cette mauvaise décision gouvernementale. Comme des milliers de médecins, malgré ma surcharge de travail, j’ai mis la main à la pâte pour aider des patients orphelins qui n’avaient pas eu de consultation médicale parfois depuis longtemps, certains âgés, malades, vulnérables, certains tout juste arrivés au pays, parlant à peine français ou anglais, d’autres qui n’avait qu’un petit bobo à régler.
Je sais que beaucoup de patients du GAP étaient satisfaits des services offerts, ils nous l’ont dit. On a humblement améliorer les choses dans leur vie. Et c’est à eux que j’aimerais donner une voix. On ne peut pas laisser cette avancée dans le domaine de l’accessibilité aux soins de première ligne ainsi que tous ces efforts investis depuis deux ans n’aboutir à rien. La première ligne, c’est la base de tout système de santé. Protégeons-la.