Un sanctuaire de l’expression libre
Personne n’envie la posture délicate dans laquelle est coincée l’Université McGill, où des manifestations proPalestine se déroulent depuis samedi. Si elle s’élève au rang des idées, qui forment le socle de sa raison d’être, l’université doit demeurer un sanctuaire protégeant les libertés d’expression et de manifestation. Sur le sinistre plancher des vaches, l’établissement brandit ses règlements et invoque des menaces à la sécurité pour dénoncer un campement « illégal » sur ses terres.
McGill a donc demandé aux policiers de se tenir prêts à intervenir pour mettre fin à cette occupation. En pratiquant avec excès les règles de prudence, agissant alors qu’aucune preuve convaincante de débordement jusqu’ici n’a été faite, l’Université risque de jeter de l’huile sur le feu. Elle n’a pas du tout réussi à convaincre que le campement d’une centaine de tentes établi sur son terrain menace la sécurité et incite à la violence. Bien au contraire, les images et impressions qui s’en dégagent après le passage de nos reporters laissent plutôt croire à un espace pacifiste où se mélangent d’ailleurs des acteurs de toutes confessions, unis dans une même volonté de voir cesser les violences à Gaza.
Deux étudiants de McGill ont demandé à la Cour supérieure de trancher, car ils estiment que ce campement crée un climat hostile, dangereux et violent. Mais la juge Chantal Masse a rejeté leur demande d’injonction, avec des mots qui frappent et devraient inciter McGill à réfléchir : « L’intervention des tribunaux est parfois susceptible d’être un remède pire que le mal auquel on cherche à remédier. »
L’université est un lieu sacré de débat et de foisonnement des idées dans toute leur diversité, ce qui constitue la colonne de ce qu’on appelle la « liberté académique ». Bien que les administrations aient tout à fait raison de veiller à ce que les manifestations se déroulent dans le calme, on comprend mal, en l’état actuel des choses, pourquoi McGill deviendrait un agent provocateur là où pour le moment, les agitateurs ne se manifestent pas.
Bien sûr, le dossier est ultradélicat. On confond parfois à tort des critiques ciblées contre la stratégie militaire d’Israël avec ce qui pourrait s’apparenter à de l’antisémitisme. Toute forme de discrimination et d’hostilité à l’endroit des Juifs doit être dénoncée haut et fort, bien sûr. Mais si McGill intervient avec fermeté trop rapidement, alors que le contexte ne le justifie pas, elle devra répondre ensuite de ses décisions : si le campus n’est pas le lieu où la défense des libertés d’expression n’est pas la plus vigoureuse, alors où pourra-t-elle l’être ?