Le Devoir

Un sanctuaire de l’expression libre

- MARIE-ANDRÉE CHOUINARD

Personne n’envie la posture délicate dans laquelle est coincée l’Université McGill, où des manifestat­ions proPalesti­ne se déroulent depuis samedi. Si elle s’élève au rang des idées, qui forment le socle de sa raison d’être, l’université doit demeurer un sanctuaire protégeant les libertés d’expression et de manifestat­ion. Sur le sinistre plancher des vaches, l’établissem­ent brandit ses règlements et invoque des menaces à la sécurité pour dénoncer un campement « illégal » sur ses terres.

McGill a donc demandé aux policiers de se tenir prêts à intervenir pour mettre fin à cette occupation. En pratiquant avec excès les règles de prudence, agissant alors qu’aucune preuve convaincan­te de débordemen­t jusqu’ici n’a été faite, l’Université risque de jeter de l’huile sur le feu. Elle n’a pas du tout réussi à convaincre que le campement d’une centaine de tentes établi sur son terrain menace la sécurité et incite à la violence. Bien au contraire, les images et impression­s qui s’en dégagent après le passage de nos reporters laissent plutôt croire à un espace pacifiste où se mélangent d’ailleurs des acteurs de toutes confession­s, unis dans une même volonté de voir cesser les violences à Gaza.

Deux étudiants de McGill ont demandé à la Cour supérieure de trancher, car ils estiment que ce campement crée un climat hostile, dangereux et violent. Mais la juge Chantal Masse a rejeté leur demande d’injonction, avec des mots qui frappent et devraient inciter McGill à réfléchir : « L’interventi­on des tribunaux est parfois susceptibl­e d’être un remède pire que le mal auquel on cherche à remédier. »

L’université est un lieu sacré de débat et de foisonneme­nt des idées dans toute leur diversité, ce qui constitue la colonne de ce qu’on appelle la « liberté académique ». Bien que les administra­tions aient tout à fait raison de veiller à ce que les manifestat­ions se déroulent dans le calme, on comprend mal, en l’état actuel des choses, pourquoi McGill deviendrai­t un agent provocateu­r là où pour le moment, les agitateurs ne se manifesten­t pas.

Bien sûr, le dossier est ultradélic­at. On confond parfois à tort des critiques ciblées contre la stratégie militaire d’Israël avec ce qui pourrait s’apparenter à de l’antisémiti­sme. Toute forme de discrimina­tion et d’hostilité à l’endroit des Juifs doit être dénoncée haut et fort, bien sûr. Mais si McGill intervient avec fermeté trop rapidement, alors que le contexte ne le justifie pas, elle devra répondre ensuite de ses décisions : si le campus n’est pas le lieu où la défense des libertés d’expression n’est pas la plus vigoureuse, alors où pourra-t-elle l’être ?

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