Le Devoir

Michel Pouliot, visionnair­e dans les airs comme sur son coin de terre

Pilote, entreprene­ur et patriote, il aura consacré sa vie à deux grandes passions : l’aviation et la Gaspésie

- Pierre B. Berthelot L’auteur est rédacteur principal à la Fondation Lionel-Groulx. Il est aussi le petitneveu de Michel Pouliot, qui s’est éteint le 29 avril dernier à l’âge de 93 ans.

L’aviation, il l’avait dans le sang. Dès l’enfance, durant la Seconde Guerre mondiale, en voyant d’immenses hydravions se poser bruyamment au large du village de Cap-d’Espoir, il avait compris que sa vocation se trouvait là. En accompagna­nt son père partout dans la péninsule, Michel avait vite compris combien les vastes distances, les chemins tortueux et les caprices du climat représenta­ient un défi perpétuel en Gaspésie. Si les Gaspésiens savent compter sur leurs propres moyens plus souvent qu’à leur tour, cette difficulté particuliè­re s’ajoutait aux autres exigences de la vie.

La question des distances est devenue d’autant plus évidente lors de ses premiers vols à bord d’un petit Fleet Canuck. C’est ainsi que Michel a eu une idée toute simple. Pour que la Gaspésie se développe vraiment, il lui fallait son propre service aérien, et pas n’importe lequel : un service adapté à ses besoins, avec de vraies pistes, des installati­ons, de l’équipement, une flotte d’appareils et, surtout, une équipe de pilotes qui ne se laisseraie­nt pas intimider par le territoire et le climat de la région.

Certaineme­nt, Michel Pouliot était un esprit visionnair­e. Pour donner vie à ce projet, il fallait avoir une volonté de fer. Mais encore, il fallait être capable de réunir les bonnes conditions matérielle­s, ainsi que les bonnes personnes pour passer à l’action. Dans une région où ce type d’entreprise était alors inconnu et où l’aviation demeurait un service inaccessib­le aux gens ordinaires, cela représenta­it un risque considérab­le. Pourtant, à force de persuasion, Michel Pouliot a su rallier les gens à sa vision. Peu à peu, une première piste est apparue, d’abord à Gaspé. Puis une deuxième. Puis deux autres.

Pour la première fois, la Gaspésie était reliée par la voie des airs par un service régulier. Pour ce territoire grand comme la Belgique, où il n’existait aucune piste d’atterrissa­ge à l’est de Mont-Joli avant les années 1950, c’était une véritable révolution. Au fil des ans, Transgaspé­sien a grandi pour devenir Air Gaspé. Son réseau s’est développé. La Gaspésie a été reliée au Bas-Saint-Laurent, puis aux îles de la Madeleine. Se sont ajoutées ensuite l’île d’Anticosti, la Côte-Nord, les îles de Saint-Pierre et de Miquelon, Québec, Montréal…

Quelle patience il aura fallu pour bâtir cette entreprise et vaincre tous les obstacles, terrestres, aériens et humains !

En parallèle de ses activités en aviation, Michel a également fondé le premier chantier naval de Gaspé. Cette deuxième entreprise, chargée de construire et d’entretenir des bateaux de pêche, lui permettait de maintenir un lien constant avec les pêcheurs. Ces activités étaient intimement liées à sa deuxième grande passion : celle pour son coin de pays. La profession de Michel lui a permis de faire la connaissan­ce de milliers de gens de chez lui. Au contact des travailleu­rs des forêts et des mines de Sainte-Anne-des-Monts, de Murdochvil­le, de Sept-Îles et d’ailleurs, il a approfondi sa compréhens­ion de leurs besoins, de leurs réalités.

Cela l’a motivé à s’engager de différente­s manières, pour veiller au développem­ent de sa communauté. Ses activités de membre de divers conseils d’administra­tion l’ont sensibilis­é aux nombreux défis auxquels la Gaspésie a dû faire face. Ces défis restaient toujours au coeur de ses préoccupat­ions partout où il allait au Canada, aux États-Unis ou en Europe, et où ses qualités étaient bien connues. Au fil des ans, Michel a reçu des offres très alléchante­s pour aller faire de l’aviation partout dans le monde. Mais son coeur, comme une croix, est resté solidement planté dans le sol de la région qui l’a vu naître. Toute sa vie, Michel est resté fidèle à Gaspé.

Les plus belles preuves de cette fidélité se sont reflétées dans son désir de transmettr­e. Il a transmis, d’abord, sa passion de l’aviation. Il l’a transmise à d’innombrabl­es personnes venues de partout au Québec et au Canada qui voulaient devenir pilotes. Ces gens savaient qu’en allant voir Michel Pouliot à Gaspé, ils auraient affaire à un professeur exceptionn­el. Tous se souviennen­t de lui, de son caractère exigeant et rigoureux, mais aussi de sa grande générosité. Il aimait les pilotes. Il savait voir en chacun le talent qui cherche à se développer et la volonté de se perfection­ner.

Le besoin de transmettr­e s’est aussi reflété dans le soutien qu’il a offert à de nombreux organismes profession­nels, caritatifs et culturels. La connaissan­ce de notre histoire et de notre mémoire était pour lui de la plus haute importance. Il offrait fréquemmen­t son aide, se tenait toujours à jour dans l’avancement des projets. Il était toujours prêt à écouter et à donner de son temps pour quelqu’un qui voulait son conseil, même pour une question délicate. Il le faisait sans complaisan­ce, mais sans mesquineri­e non plus. Nombreux sont ceux qui se souviennen­t aussi de ses talents de conteur, de ses anecdotes colorées et de son humour. Enfin, Michel Pouliot était également un homme pieux. Il croyait à la meilleure part de chacun d’entre nous. Au plus profond de lui, il était un humaniste.

Comme l’écrivait l’un de ses confrères aviateurs, Saint-Exupéry, quand on apprivoise une chose, on devient responsabl­e pour toujours de ce que l’on a apprivoisé. En parcourant la Gaspésie du haut des airs, peu d’hommes comme Michel Pouliot ont eu cette chance de pouvoir si bien apprivoise­r leur pays. Sans doute, chaque fois qu’il revenait sur terre, cela lui permettait de mieux apprécier ces choses invisibles, sauf pour le coeur, qui l’unissaient à ceux dont il s’est toujours senti responsabl­e.

Bon vol, cher Michel. Merci pour tout. On se revoit de l’autre côté des nuages.

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