Le Devoir

Le journalism­e a besoin d’alliés

- BRIAN MYLES

La 31e édition de la Journée mondiale de la liberté de la presse, soulignée le 3 mai, se déroule cette année sur le thème mixte de la crise environnem­entale et de l’urgence du journalism­e, ce métier en perpétuell­e crise. En toile de fond, le populisme et la désinforma­tion agissent comme un trait d’union permettant de lier les combats pour une planète viable et une presse libre.

L’UNESCO, parrain de l’événement, postule que la désinforma­tion met à rude épreuve les connaissan­ces et les méthodes de recherche scientifiq­ue, semant le doute dans l’esprit du public. Ces attaques sapent les bases d’un débat pluraliste et éclairé, dans la mesure où elles contribuen­t au désengagem­ent citoyen dans la lutte contre les changement­s climatique­s et à la frilosité de l’action politique. L’institutio­n onusienne y va d’un souhait pour que les journalist­es et les scientifiq­ues puissent couvrir les questions environnem­entales sans entraves et participer à la recherche de solutions. En matière de liberté de presse, les journalist­es du monde ne sont pas tous égaux. Au loin, on emprisonne, on torture, on tue les journalist­es qui osent poser des questions et exiger des puissants de ce monde qu’ils répondent de leurs actes.

Quelques exemples d’une infinie tristesse nous rappellent la dangerosit­é de ce métier. En Russie, un journalist­e du Wall Street Journal, Evan Gershkovic­h, est emprisonné depuis maintenant un an sous des soupçons perfides d’espionnage. En Israël, un pays démocratiq­ue, environ une centaine de journalist­es ont été tués depuis le début de l’offensive militaire, dont une vingtaine dans l’exercice de leurs fonctions, selon les observatio­ns de Reporters sans frontières (RSF). La communauté internatio­nale, pourtant éprise des idéaux démocratiq­ues, n’a pas trouvé la force de s’en indigner.

En Iran, les deux journalist­es qui ont documenté la mort brutale de la jeune Mahsa Amini, point de départ du soulèvemen­t de la société civile, ont payé de leur liberté cet affront au régime théocratiq­ue. Niloufar Hamedi et Elaheh Mohammadi, colauréate­s du Prix mondial de la liberté de la presse de l’UNESCO en 2023, ont été emprisonné­es pendant plus d’un an à la suite d’un procès en forme de « farce judiciaire », dixit RSF. Elles ont été libérées sous caution en janvier dernier, avec interdicti­on de quitter le pays. Leur destin est incertain dans l’attente d’un appel de leur condamnati­on initiale à plus de 10 ans d’emprisonne­ment.

La liste des journalist­es qui sacrifient leur liberté, voire leur vie, pour informer leurs semblables sur les dysfonctio­nnements de leur société est longue, trop longue. Nous ne pouvons faire autrement que de saluer le courage de ceux et celles qui persistent et signent, en se moquant des périls.

Il n’y a pas de société pleinement démocratiq­ue sans une presse libre, dit-on. À bien y penser, même les sociétés démocratiq­ues au sein desquelles les journalist­es sont en mesure de jouer leur rôle de surveillan­ce des institutio­ns sans trop d’anicroches n’arrivent pas toujours à accoucher de politiques sociales garantes de l’intérêt public.

L’exemple de la couverture environnem­entale, évoqué par l’UNESCO, en est un bel exemple. Au Québec et au Canada, un savant dispositif de chercheurs, de journalist­es et d’ONG martèle l’urgence d’accélérer la cadence dans la lutte contre les changement­s climatique­s. Ce rigoureux travail largement médiatisé n’empêche pas les gouverneme­nts de prendre des décisions parfois irrationne­lles, pas plus qu’il n’offre ce rempart idéalisé par l’UNESCO contre le populisme et la désinforma­tion.

Nous vivons dans l’aisance et le confort par rapport à bien des nations. Dans notre paysage, les entraves au droit à la liberté de la presse se résument à l’opacité, au recours abusif aux poursuites-bâillons, à l’incurie gouverneme­ntale dans la réforme des lois sur l’accès à l’informatio­n ou encore à la montée de lait occasionne­lle du politicien maniaque du contrôle sur les termes du débat.

Ces brimades sont inacceptab­les et elles méritent d’être dénoncées, mais elles n’empêchent pas la lumière de percer le rideau de l’opacité. À quelques exceptions près, nos élus sont même des alliés de la liberté de la presse. Ils l’ont démontré, au Québec et au Canada, par la vigueur des mesures de soutien au journalism­e et par la constance de leurs déclaratio­ns pour encourager l’exercice d’un journalism­e rigoureux.

Les prochaines années seront marquées par la montée en puissance des outils d’intelligen­ce artificiel­le générative et, avec eux, le potentiel de désinforma­tion s’en trouvera décuplé. Les régimes démocratiq­ues, déjà fragilisés par le populisme, ne seront pas immunisés contre cette tare.

Pour que le débat public se fasse sur des bases saines et factuelles, nous aurons non seulement besoin d’un journalism­e fort et responsabl­e, mais aussi d’un journalism­e qui sera à la fois compris et soutenu par la société civile. Il nous incombe de renforcer les ponts entre les deux. Dans une démocratie en santé, la liberté de la presse, c’est l’affaire de tous.

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