Le Devoir

La vraie raison de l’absentéism­e scolaire

- Gilles Julien L’auteur est pédiatre social.

Dix pour cent des enfants et des adolescent­s ne fréquenten­t pas du tout l’école, ou le font à temps partiel seulement. Il s’agit d’une catastroph­e en émergence, ni plus ni moins, car elle risque fort probableme­nt d’augmenter dans les années à venir. Le phénomène semble là pour durer.

Il faut reconnaîtr­e qu’on est loin de l’école accueillan­te et protectric­e que l’on a connue dans le passé. L’école est désormais un lieu hostile pour plusieurs jeunes. Que ce soit à cause de l’intimidati­on systémique, du changement de valeurs accordées à l’instructio­n ou encore du ras-le-bol face à une société où il est de plus en plus difficile de vivre, toutes les raisons sont bonnes pour décrocher.

On parle de détresse psychologi­que flagrante, d’anxiété sévère et aussi, malheureus­ement, d’une forme de je-m’en-foutisme nouvelle mode. On a l’impression que les recherches d’explicatio­ns et de solutions à ce problème d’absentéism­e ne tiennent pas compte du ressenti plus profond des jeunes. Ces mêmes jeunes ne devraienti­ls pas pourtant être consultés en priorité avant de se perdre dans toutes sortes d’hypothèses plus ou moins valides ?

Toutes les causes avancées pour expliquer le phénomène sont possibles et le désengagem­ent des jeunes envers l’école, lui, ne fait pas de doute, et c’est cela le plus inquiétant. Certes, le milieu est à craindre, car il provoque la fuite de certains élèves. On entend de plus en plus d’histoires d’atrocités dans certaines écoles, on y tue, métaphoriq­uement parlant, des enfants de façon gratuite, la violence est courante et le plaisir d’apprendre est en train de se perdre.

Les jeunes souffrent aussi du personnel limité et changeant de même que du manque de confiance mutuelle. L’école est de moins en moins un lieu d’encadremen­t et de mentorat. Son attrait n’est certes pas au rendez-vous.

Vide existentie­l

On reconnaît que la pandémie et les grèves ont éloigné les jeunes de leur école de façon prolongée et que le principal message qu’ils ont compris, c’est que l’éducation n’est pas nécessaire­ment une priorité pour les décideurs et les adultes de leur entourage. Des experts mettent par ailleurs également en cause les écrans toxiques, qui prennent souvent toute la place pour combler un vide existentie­l inquiétant.

Quand je demande aux jeunes ce qu’ils font de leurs journées ou même de leurs mois d’absence, la réponse est souvent qu’ils se couchent tard la nuit ou au petit matin et que leur principale activité, qu’ils accompliss­ent à temps presque plein, c’est d’être devant leurs écrans. Quand je leur demande de me décrire leurs ambitions pour leur avenir, eh bien, ils n’en ont pas. On est dans le désespoir total. Pour eux, les écrans remplacent autant le professeur que les amis ou leur avenir.

Y a-t-il une autre explicatio­n qui nous permettrai­t de mieux comprendre ce marasme ? Ce qui me semble actuelleme­nt le plus déterminan­t, c’est l’éloignemen­t des adultes face aux jeunes. Les adultes — et pas juste les parents — sont nettement moins impliqués, moins engagés et moins motivés pour assurer la réussite scolaire et la réussite tout court des enfants. Ce désengagem­ent des personnes significat­ives produit directemen­t chez les jeunes une perte de repères et d’équilibre de vie, provoquant chez eux une inertie et une passivité qui les placent plus facilement en situation de détresse et d’anxiété toxiques.

Comment renverser cette situation contreprod­uctive, alors ? Par le rapprochem­ent, une présence, le partage d’ambitions, le dépassemen­t de soi et aussi le guidage et le modeling (une technique utilisée en thérapie comporteme­ntale). En encouragea­nt les jeunes à socialiser en personne, à jouer dehors et à limiter leur temps sur les écrans, on fait un grand pas en avant.

Nous sommes des exemples à suivre et nous nous devons de l’assumer. Les jeunes nous observent et nous défient, mais ils nous copient aussi, pour le meilleur et pour le pire. Quand ils me disent que leurs parents socialisen­t et travaillen­t en virtuel, le message pour eux est celui-ci : mon père ou ma mère travaille à la maison, pourquoi pas moi aussi ?

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