Gare au mélange des rôles et aux conflits d’intérêts dans la gouvernance de la science
Les auteurs sont respectivement membre démissionnaire du CA du Fonds de recherche du Québec – Société et culture ; directeur de l’Observatoire des sciences et des technologies ; titulaire de la Chaire UNESCO sur la science ouverte ; ancien président du Conseil de la science et de la technologie et ancien sous-ministre de l’Enseignement supérieur, de la Science et de la Technologie ; directrice du Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie ; chercheur au Centre de recherche en droit public (président de l’Acfas de 2008 à 2012).
Le projet de loi 44 a déjà fait l’objet de nombreuses critiques. On a surtout dénoncé la fusion des trois fonds de recherche au sein d’un unique Fonds de recherche du Québec (FRQ). On a cependant porté moins d’attention à la nature et à l’étendue du mandat du scientifique en chef du Québec.
En effet, dans sa version actuelle, le scientifique en chef du Québec aurait la responsabilité de conseiller le gouvernement « sur toute question scientifique susceptible d’éclairer les politiques publiques » en formulant « des opinions de nature scientifique », en plus d’être président-directeur général du FRQ. Ce cumul est, à notre avis, une très mauvaise idée, comme l’ont d’ailleurs déjà souligné des experts internationaux de cette question.
En effet, dans un texte cosigné en 2022 par les dirigeants de l’International Science Council (ISC) et de l’International Network for Government Science Advice (INGSA), dont l’actuel scientifique en chef du Québec, on distinguait clairement deux types de conseil scientifique. Le premier concerne le conseil sur la politique scientifique, qui porte sur les façons de « gérer le système de recherche publique par le financement et les infrastructures ». C’était là le mandat original assigné au scientifique en chef du Québec en 2011 et qui est toujours en vigueur. Le terme même de « scientifique en chef » était inspiré du cas d’Israël, qui fascinait, à l’époque, le ministre Clément Gignac. Le Québec est toutefois allé plus loin que l’exemple israélien en lui attribuant aussi la tâche d’administrer les trois Fonds de recherche du Québec.
L’autre type de conseil scientifique, nullement inclus dans le mandat initial du scientifique en chef, consiste à fournir « des preuves scientifiques pour éclairer l’élaboration des politiques publiques sur un large éventail de questions ». À l’échelle fédérale, au Canada, la conseillère en chef, Mona Nemer, a le mandat d’organiser ce type de conseil. Mais elle ne dirige pas les conseils subventionnaires fédéraux.
Un poste semblable existe aussi dans d’autres États, dont la NouvelleZélande. Sur le site néo-zélandais du Bureau du conseiller scientifique en chef du premier ministre, on prend la peine de préciser que le conseiller scientifique en chef « ne cherche pas à influencer les questions opérationnelles ou de financement au sein du système scientifique ».
Le texte de l’ISC et de l’INGSA précise d’ailleurs que l’on ne doit pas mélanger les deux rôles : le conseil pour les politiques publiques requiert « un ensemble de compétences et une approche plus large, pluraliste et différente » de celles exigées pour le conseil sur la politique scientifique, rôle beaucoup plus étroit. En effet, la personne qui mérite d’être écoutée sur des questions de modes de financement de la science n’est pas nécessairement celle qui a les connaissances requises pour conseiller le gouvernement sur la protection des caribous…
Indépendance
À ce problème de compétences s’ajoute celui de la relation au pouvoir politique. Toujours selon le texte de 2022, le premier principe pour un conseil scientifique crédible est de préserver « un degré d’indépendance par rapport à l’appareil politique ». Le conseiller scientifique doit avoir toute la latitude pour dire des vérités inconfortables aux décideurs. Comme nous l’avons noté ailleurs, en tant qu’administrateur d’agences de soutien à la recherche, le scientifique en chef est très clairement dans une relation de dépendance vis-à-vis des différents ministères qui soutiennent financièrement la recherche.
Le projet de loi 44 tente de régler ce problème en notant que la fonction doit être exercée « avec l’indépendance qu’elle requiert » ; nous croyons plutôt que la seule façon d’avoir une telle indépendance est, justement, de ne pas mélanger les rôles.
La centralisation du pouvoir entre les mains d’une seule personne est également un problème. La NouvelleZélande l’a reconnu, et sa conseillère scientifique en chef est maintenant soutenue par un forum de conseillers scientifiques associés à différents ministères. La question de l’influence disproportionnée s’applique a fortiori à un poste qui combine à la fois les deux types de conseil scientifique, mais également la gestion de l’organisme de financement de la recherche.
L’Irlande a tenté ce mélange des rôles de 2012 à 2022, à l’époque où le conseiller scientifique en chef agissait également en tant que directeur général de la Science Foundation Ireland. À la suite de nombreuses critiques, y compris celles de la Royal Irish Academy, le poste a été scindé en deux.
En somme, l’Irlande, la NouvelleZélande et Israël, tous des États d’une taille comparable à celle du Québec, ont déjà expérimenté des rôles en matière de gouvernance de la recherche et des politiques scientifiques. Le projet de loi du ministre Fitzgibbon semble avoir ignoré ces exemples des meilleures pratiques. Il est encore temps de corriger le projet de loi pour éviter la confusion des rôles et les conflits d’intérêts, qui ne pourront que mener à de mauvaises décisions.