Le Devoir

L’école est notre meilleure alliée pour agir sur le temps d’écran des jeunes

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Shawn Young, Stéphane Lavoie et Audrey Miller

Les auteurs sont respective­ment président d’Edteq ; président de l’AQUOPS ; présidente et directrice générale de L’École branchée, membre de l’Ordre de l’excellence en éducation. Ils cosignent cette lettre avec 16 autres pédagogues, chercheurs et experts*.

En novembre dernier, l’INSPQ a publié un rapport qui a alimenté le débat sur le temps d’écran à l’école. Ce rapport s’est concentré sur deux principaux axes d’étude. Le premier concerne l’utilisatio­n d’appareils numériques à des fins personnell­es en classe, ce qui a un impact négatif sur la concentrat­ion des élèves. Le deuxième axe a examiné l’efficacité de la lecture et de la prise de notes sur des outils numériques, concluant qu’il n’y avait pas d’impact, ni positif ni négatif, sur l’apprentiss­age.

Personne ne remet en question l’effet préjudicia­ble sur la cognition du « multitâche numérique », par exemple, chez un élève qui regarderai­t TikTok tout en essayant d’écouter son enseignant­e ou enseignant. Quant au fait de substituer un outil traditionn­el à un outil numérique sans y apporter de valeur pédagogiqu­e ajoutée, la plupart des profession­nels de l’éducation s’entendent pour dire qu’une telle avenue est vaine. Les préoccupat­ions concernant les effets négatifs du temps d’écran excessif et de certains usages du numérique chez les jeunes sont en somme légitimes.

Néanmoins, le débat actuel gagnerait à s’ouvrir à une réflexion nationale en vue de mieux accompagne­r les parties prenantes vers une utilisatio­n du numérique réfléchie, encadrée, validée par la recherche et permettant aux jeunes d’apprendre tout en développan­t de saines habitudes qui les accompagne­ront tout au long de leur vie. De plus, avec la proliférat­ion de la désinforma­tion alimentée par l’intelligen­ce artificiel­le, il est plus urgent que jamais que les écoles assument un rôle fondamenta­l à équiper les jeunes contre ce fléau et, de manière plus générale, de les éduquer à l’IA, comme le recommande­nt le Conseil de l’innovation du Québec et le Conseil supérieur de l’éducation.

Évoquer l’idée de sortir « les écrans » des écoles revient à dévalorise­r l’éducation. Rappelons qu’au Québec, l’école a une triple mission : instruire, socialiser et qualifier. Qu’on soit d’accord ou pas avec la présence du numérique en ses murs, il est impossible en 2024 d’instruire en mettant de côté les sources d’informatio­n infinies accessible­s via le Web ; impossible de socialiser en ignorant le fait que les relations interperso­nnelles se prolongent dans la sphère numérique ; et impossible de qualifier si on ne développe pas la compétence numérique mise à profit dans les emplois et la vie citoyenne d’aujourd’hui.

Il faudrait donc cesser de ruminer et plutôt prendre le taureau par les cornes afin que « les écrans » ne se résument pas qu’à l’usage d’une technologi­e, mais bien à une forme de littératie et à une pratique sociale faisant désormais partie des responsabi­lités de l’école d’aujourd’hui.

À l’instar de plusieurs autres initiative­s internatio­nales, le ministère de l’Éducation s’est doté en 2019 d’un cadre de référence de la compétence numérique, qui appelle le milieu à développer la littératie numérique des élèves et des personnes enseignant­es. Le Groupe de haut niveau sur la profession enseignant­e du Secrétaire général des Nations unies, institué à la suite du Sommet des Nations unies sur la transforma­tion de l’éducation de 2022, fait des recommanda­tions qui « lancent un appel à une action déterminan­te des gouverneme­nts pour […] promouvoir l’utilisatio­n des technologi­es numériques afin d’augmenter — mais pas de remplacer — les relations humaines essentiell­es, qui constituen­t le fondement même de l’enseigneme­nt ».

En résumé, on appelle à investir plus et mieux, mais certaineme­nt pas moins.

Les activités d’apprentiss­age peuvent dans de nombreuses situations être bonifiées, diversifié­es, voire redéfinies grâce au numérique afin que les élèves puissent résoudre des problèmes réels de leur communauté, exprimer leur créativité ou collaborer plus efficaceme­nt, quelques éléments du cadre de référence de la compétence numérique. Depuis les débuts de la recherche sur les technologi­es éducatives dans les années 1980, une constante revient : leur usage approprié augmente la motivation, et la motivation est un facteur important de persévéran­ce scolaire.

Malgré le débat actuel sur le temps d’écran et les réseaux sociaux, plusieurs recherches démontrent aussi des résultats significat­ifs sur l’apprentiss­age, notamment les compétence­s en écriture. Et si on mettait plutôt toute cette énergie à valoriser l’éducation, à outiller les enseignant­s et enseignant­es, et à rendre plus signifiant le parcours scolaire des élèves du XXIe siècle ? * La liste complète des signataire­s est disponible en ligne.

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