L’ingérence étrangère n’a pas eu d’impact décisif sur les élections fédérales
L’intégrité du système électoral n’a pas été menacée, affirme la commissaire Hogue dans son rapport préliminaire
Des actes d’ingérence étrangère pourraient avoir eu des contrecoups sur les résultats électoraux d’un petit nombre de circonscriptions lors des deux dernières élections fédérales, mais ils n’ont eu aucune incidence sur l’élection du Parti libéral du Canada, conclut la commissaire MarieJosée Hogue dans son rapport préliminaire publié vendredi.
« Des actes d’ingérence étrangère ont été commis lors des deux dernières élections générales fédérales, mais ils n’ont pas porté atteinte à l’intégrité de notre système électoral », a-t-elle déclaré vendredi en s’adressant aux médias, peu après le dépôt de son rapport à Ottawa.
Bien que les élections n’aient pas été compromises, les activités d’ingérence ont tout de même « miné la confiance » du public envers la démocratie canadienne — « le plus grand préjudice que le Canada ait subi », estime-t-elle.
À partir de l’automne dernier, la commissaire Hogue s’est penchée sur les allégations d’ingérence qui aurait été exercée lors des deux dernières élections fédérales. Son rapport longuement attendu coïncide avec l’arrestation de trois hommes soupçonnés d’avoir assassiné le leader sikh Hardeep Singh Nijjar en sol canadien en juin 2023.
Dans son rapport de 227 pages, la commissaire révèle qu’« il est possible » que l’ingérence ait eu une incidence sur les résultats dans une poignée de circonscriptions : notamment en 2019, lors de la course à l’investiture du candidat libéral Han Dong, en Ontario, puis en 2021 dans la circonscription de Steveston–Richmond-Est, à Vancouver.
Incidence sur la nomination
L’an dernier, un reportage de Global News a révélé que des étudiants étrangers chinois auraient été conduits par autobus dans la circonscription de Don Valley-North, à Toronto, pour appuyer le candidat libéral Han Dong lors de son assemblée d’investiture.
La juge de la Cour d’appel du Québec note que ces allégations sont « plus corroborées » que d’autres, mais que, la circonscription étant considérée comme un bastion libéral, cela n’aurait probablement pas eu d’incidence sur le parti qui a remporté le siège.
En revanche, cela aurait pu avoir une incidence sur la personne qui a été élue au Parlement, signale-t-elle.
L’« incident » des autobus d’étudiants chinois démontre « à quel point les courses à l’investiture peuvent être des portes d’entrée pour les États étrangers qui veulent s’ingérer dans notre processus démocratique », prévient-elle dans son rapport.
Elle promet de se pencher sur les règles — et l’absence de règles — des assemblées d’investiture dans la deuxième phase des travaux de la commission.
À Ottawa, le ministre de la Sécurité publique et des Institutions démocratiques, Dominic LeBlanc, a affirmé que le gouvernement n’attendrait pas la deuxième phase des travaux pour « apporter des gestes ». Il s’apprête justement à déposer, dans les prochains jours, un projet de loi visant à « renforcer la capacité du gouvernement en ce qui a trait à l’ingérence étrangère ».
Une analyse limitée
La juge Hogue estime que la campagne de désinformation au sujet du député conservateur Kenny Chiu aurait aussi eu des répercussions sur les résultats électoraux dans la circonscription de Steveston–Richmond-Est, lors des dernières élections fédérales. La circonscription accueille une grande communauté de la diaspora chinoise.
Ce dernier avait été la cible de fausses histoires le dépeignant comme défavorable à la Chine. Il a finalement perdu son siège le soir des élections de 2021.
« Des indications claires de l’implication de la République populaire de Chine existent et il est raisonnable de croire que ces faux propos ont eu des répercussions sur les résultats dans cette circonscription », peut-on lire dans le rapport. La commission a par ailleurs affirmé que la Chine a été l’acteur étatique le plus actif en matière d’ingérence dans la politique du pays.
Or, la juge Hogue réitère que même en supposant que certains électeurs aient changé d’allégeance, on ne dispose d’aucun moyen de savoir s’il y en a eu suffisamment pour que le résultat s’en trouve modifié.
Lors des audiences publiques, le mois dernier, l’ancien chef conservateur Erin O’Toole avait affirmé que l’ingérence chinoise avait coûté « cinq à neuf sièges » à son parti lors des élections de 2021. Dans son rapport, la juge Hogue atteste toutefois que les preuves portées à sa connaissance ne lui ont pas permis de tirer une telle conclusion.
Plusieurs « problèmes de communication » au sein de l’appareil gouvernemental ont aussi été relevés dans le rapport de la commission. Les preuves entendues révèlent qu’à certaines occasions, de l’information en lien avec l’ingérence étrangère ne s’est pas rendue aux destinataires voulus, tandis qu’à d’autres occasions, les destinataires ont mal interprété l’information qu’ils ont reçue.
Même si elle convient que personne n’a agi de mauvaise foi, la juge Hogue indique qu’il s’agit de « sérieux problèmes sur lesquels il faudra enquêter ».
Contradictions avec le rapport Johnston
Les conclusions de la commissaire Hogue présentent certaines similitudes avec celles du rapporteur spécial David Johnston, qui s’était lui aussi penché sur les allégations d’ingérence, l’an passé. Ce dernier avait conclu que des gouvernements étrangers avaient tenté d’influencer les candidats et les électeurs canadiens, mais qu’il n’y avait pas de raison de remettre en question la validité des élections.
Il avait lui aussi constaté « de graves lacunes » dans la façon dont le renseignement est relayé aux ministères et aux politiciens.
Le reste des allégations étaient, selon M. Johnston, fondées sur des informations erronées, isolées ou incomplètes. La juge Hogue n’a pas confirmé ces constats dans son rapport.
Aux yeux des conservateurs, le présent rapport contredit les dires du premier ministre Trudeau, qui avait déclaré en avril que « pas une seule circonscription ni le résultat de l’élection dans son ensemble n’ont été touchés ou modifiés en raison de l’ingérence étrangère ».
Le dépôt du rapport préliminaire de la commission survient après plus de huit mois de travail et une vingtaine de jours d’audiences publiques tenues à partir du début de l’année. Une deuxième série d’audiences publiques aura lieu cet automne, et le rapport final doit être publié avant la fin de l’année.