Le Devoir

Une nouvelle pandémie à l’horizon ?

Depuis 2022, le virus de la grippe aviaire H5N1 a infecté une trentaine de troupeaux de vaches laitières aux États-Unis

- PAULINE GRAVEL LE DEVOIR

Depuis que le départemen­t de l’Agricultur­e des États-Unis (USDA) a annoncé, le 25 mars dernier, la contaminat­ion d’un premier troupeau de vaches laitières au Texas par le virus de la grippe aviaire H5N1, l’infection s’est propagée à travers le pays. À ce jour, une bonne trentaine de fermes laitières réparties dans près de dix États, dont trois sont limitrophe­s du Canada, ont été touchées par cet agent pathogène. Un individu travaillan­t dans la ferme texane est pour le moment le seul cas confirmé chez l’humain. Cette contaminat­ion de mammifères par un virus d’origine aviaire a toutefois mis en alerte l’Organisati­on mondiale de la santé (OMS), qui redoute le pire. Ce virus pourrait-il acquérir des mutations lui permettant de s’attaquer aux humains et de provoquer une pandémie ? Tour d’horizon de ce que l’on sait à l’heure actuelle sur ce virus détecté pour la première fois en 1996.

Depuis quand ce virus fait-il rage ?

Le virus grippal H5N1 a été détecté pour la première fois en 1996, chez des oiseaux en Chine. La lignée 2.3.4.4b de ce virus, qui sévit actuelleme­nt aux ÉtatsUnis, est d’abord apparue en Asie et en Europe en 2020-2021, où elle a provoqué des hécatombes parmi les oiseaux sauvages et domestique­s. Elle a ensuite atteint l’Amérique du Nord en décembre 2021. On se souviendra des fous de Bassan de l’île Bonaventur­e qui en ont été victimes durant l’été 2022. En plus d’être très contagieus­e chez les oiseaux, cette lignée a acquis la capacité d’infecter les mammifères, notamment les phoques, les léopards, les lynx, les renards, les ours, les visons, les chats domestique­s, et maintenant les vaches laitières.

Comment le virus s’est-il répandu parmi les vaches laitières à travers le pays ?

Vraisembla­blement, les premières vaches ont contracté le virus par contact avec des oiseaux infectés ou leurs fientes, voire par le biais de déchets de poules infectées qui ont été utilisés pour les nourrir, affirme le Dr Donald Vinh, microbiolo­giste-infectiolo­gue au Centre universita­ire de santé McGill (CUSM). L’infection se serait ensuite disséminée par le biais de l’équipement utilisé pour la traite des vaches, ainsi que lors du transport du bétail d’une ferme à l’autre, avance-t-on dans un article publié dans Science. Après avoir testé les vaches infectées, les chercheurs de l’USDA ont découvert que les virus étaient logés non pas dans les naseaux et le sang des vaches, mais dans leur lait, et qu’ils se reproduisa­ient activement dans les pis de cellesci. Des gouttelett­es de lait contaminé sur les gants et les vêtements des travailleu­rs effectuant la traite, ainsi que sur les ventouses trayeuses auraient donc contribué à transmettr­e le virus d’une vache à l’autre. De plus, les scientifiq­ues croient que le transfert de bêtes du sud du pays aux régions du nord et du Midwest durant le printemps aurait également contribué à la disséminat­ion de l’infection.

Y a-t-il un danger à consommer du lait de ces vaches infectées ?

« Le lait — et ses dérivés — qu’on trouve dans les commerces aux États-Unis et au Canada est obligatoir­ement pasteurisé, rappelle le Dr Vinh. La pasteurisa­tion est reconnue pour tuer tous les microbes vivants, y compris les virus comme celui de la grippe aviaire H5N1.

On pourra néanmoins trouver des fragments génomiques de virus et des virus morts après la pasteurisa­tion, mais aucun virus vivant. Par contre, quand le lait n’est pas pasteurisé, il peut renfermer des particules infectieus­es, non seulement de la grippe, mais de multiples types de bactéries. » Si on ne consomme que du lait pasteurisé, il n’y a donc pas de risque d’être infecté. Le Dr Vinh recommande donc d’éviter le lait non pasteurisé et les produits (fromages) fabriqués à partir de lait cru.

Quel est le risque de transmissi­on chez l’humain ?

Pour le moment, l’épidémie de H5N1 au sein des vaches laitières n’a infecté qu’une seule personne, qui a développé uniquement une conjonctiv­ite (yeux rougis). Mais le fait que le virus de la grippe H5N1 — dont l’hôte principal est à l’origine la faune aviaire — réussisse désormais à infecter des mammifères, tels que des vaches laitières et des chats de ferme, a accru l’inquiétude des scientifiq­ues.

« La transmissi­on d’un mammifère à l’humain semble peu fréquente et entraîne une infection peu dangereuse, comme dans le cas du travailleu­r américain, ou un peu plus dangereuse ailleurs dans le monde avec un taux de mortalité de 30 à 50 % », résume le Dr Vinh.

« Les cas humains sont actuelleme­nt des cas sporadique­s qui découlent de contacts étroits et répétés avec les animaux, ce qui est peu propice à l’éclosion d’une épidémie entre les humains. Ce qui serait vraiment inquiétant, ce serait que le virus infecte des porcs, car cet animal peut être infecté simultaném­ent par des virus de la grippe porcine, aviaire et humaine. Le porc est considéré comme un creuset où se mélangent les virus, ce qui fait qu’il y a un risque statistiqu­ement plus élevé que se produisent des réarrangem­ents dans le génome des virus [des échanges de segments d’ARN entre les souches aviaire, humaine et porcine], qui pourront aboutir à l’émergence d’une souche complèteme­nt nouvelle beaucoup plus apte à infecter l’humain », explique l’infectiolo­gue.

La souche virale H1N1, qui a provoqué une pandémie de grippe en 2009, résultait d’un tel réarrangem­ent entre des virus d’origine porcine, aviaire et humaine chez le cochon.

Comment peut-on se prémunir contre cet agent pathogène ?

Il faut limiter le plus possible les contacts avec les oiseaux et les mammifères infectés. La vaccinatio­n des élevages de canards et des mammifères peut être envisagée. « Mais on ne peut pas vacciner tous les animaux sauvages, qui eux aussi peuvent être infectés, fait remarquer le Dr Vinh. Il faut avant tout tester tous les animaux de ferme qui pourraient être à risque ou qui sont exposés pour dépister ceux qui sont infectés, puis mettre en quarantain­e ceux qui le sont, ou parfois les abattre. »

« Il faut procéder à une surveillan­ce proactive, constante et mondiale dans les fermes et les population­s d’animaux sauvages et en captivité, afin de dépister le plus tôt possible les porcs qui seraient atteints, car dans ce cas, ça sera beaucoup plus inquiétant », dit-il.

Et pour les humains, il existe deux candidats-vaccins susceptibl­es d’apporter une protection contre la souche virale qui sévit aux États-Unis. Ils pourraient être produits en masse ou en quantité nécessaire pour être administré­s aux population­s à risque, comme les employés de ferme. Pour le moment, « les travailleu­rs devraient porter masque, gants et visière pour se protéger », conseille le Dr Vinh.

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JUSTIN SULLIVAN AGENCE FRANCE-PRESSE

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