Retour au bercail
La mise en scène de La traviata du Montréalais Alain Gauthier est enfin visible chez nous
Grand habitué des scènes québécoises, le Montréalais Alain Gauthier amène enfin dans la métropole sa Traviata, qui a fait le tour du pays. L’opéra de Verdi prend l’affiche samedi soir à l’Opéra de Montréal après deux reports.
La Traviata mise en scène par Alain Gauthier est le fruit de la collaboration de cinq institutions : l’Opéra d’Edmonton, l’Opéra du Manitoba, l’Opéra de Vancouver, l’Opéra pacifique de Victoria et l’Opéra de Montréal. Le spectacle, qui devait ouvrir la saison 2020-2021 en septembre 2020, avait été annulé puis reprogrammé en janvier 2022, où il a, une nouvelle fois, fait les frais d’une vague pandémique. Marie-Josée Lord devait alors incarner l’héroïne. La troisième tentative, en ce mois de mai 2024, est la bonne, mais avec l’Américaine Talise Trevigne dans le rôle de Violetta Valéry.
La distribution du rôle principal à une chanteuse noire est consubstantielle au spectacle d’Alain Gauthier, car sa Traviata s’inspire du personnage de Joséphine Baker. Ce parti pris permet à l’équipe conceptrice de La traviata de transposer l’action dans le Paris des années folles (1920). Ce n’est pas la première fois qu’un tel mécanisme est utilisé. En 2003, l’Allemand Peter Mussbach, à Aix-en-Provence, inventait une traviata-Marilyn Monroe perdue sur une autoroute après un accident fatal et voyant défiler le film de sa vie.
Dans la foulée des reports montréalais, le spectacle a été loué entre-temps par l’Opéra de Calgary, qui avait engagé Talise Trevigne. Alain Gauthier aime retravailler avec les chanteurs. Il en sera même à sa quatrième collaboration dans cet opéra avec James Westman, qui incarne Germont père : « Chaque fois, on remet en question des détails », se réjouit le metteur en scène, interrogé par Le Devoir. Une des particularités du travail d’Alain Gauthier est d’avoir donné une identité à chaque choriste. « C’est un truc que j’ai développé à certaines occasions : j’invente des biographies pour chaque choriste. À l’époque de Joséphine Baker, il y a une faune artistique très inspirante, des gens lumineux, des gens excentriques. Cela permet de donner une direction d’acteur à chaque choriste. Une fois que j’ai créé mon petit monde, je le mets sur scène et ça vit tout seul. Évidemment, il y a des mouvements de foule à gérer, mais ça les implique davantage et ils ont l’impression de participer à l’histoire. »
Violetta n’est pas Joséphine Baker en tant que telle. « Il y a plusieurs raisons pour expliquer le choix de cette époque. Il y avait cinq coproducteurs et La traviata, comme La bohème ou Carmen, revient au programme tous les six ou sept ans. Il fallait trouver un point de vue qui faisait que tout le monde apporte quelque chose de nouveau dans sa compagnie. Cela a pris un moment à trouver ce qui pouvait apporter une nouvelle esthétique, et quand les directeurs artistiques se sont entendus sur cette idée-là, avec les concepteurs, nous l’avons développée. Plus on travaillait, plus on trouvait que cela fonctionnait. Violetta n’est pas Joséphine Baker, mais c’est une femme forte, indépendante. Ce qui m’intéressait, c’était la force de caractère du personnage. On le voit bien à l’acte II. »
Le poids de l’image
Comme nous sommes dans les années 1920 et que le personnage n’est pas littéralement Joséphine Baker, il n’y aura pas d’affaire d’espionnage se greffant à la trame, alors que la vraie Joséphine fut — mais plus tardivement, pendant la Seconde Guerre mondiale — une espionne de haut vol au service de la France.
Alain Gauthier insiste sur le travail scrupuleux de la décoratrice, costumière et accessoiriste Christina Poddubiuk : « J’ai rencontré une personne érudite qui connaît l’histoire du costume, évidemment, mais l’histoire en général aussi. Une femme brillante qui aime le détail. » Comment un metteur en scène louant ce respect et cette précision voit-il alors la campagne publicitaire de l’Opéra de Montréal, l’image projetée de son spectacle ? A-t-il été consulté ? « Nous ne sommes jamais consultés pour le travail de communication des compagnies. » Mais Alain Gauthier ne s’en offusque pas. « De ce que j’ai compris, il y a une direction artistique amenant quelque chose de plus choquant, contemporain, alternatif. Cela arrive souvent que la communication et l’image ne soient pas collées à la production. Il y a des gens qui pensent que la production ressemble aux affiches, et ils vont être déçus. Il y a des gens qui espéreraient voir ce qu’on va présenter et qui ne viendront pas. Peut-être cela va-t-il amener des gens déstabilisés qui vont être agréablement surpris par le côté plutôt classique. Car, même si nous déplaçons l’action au début du XXe siècle, il n’y a rien pour choquer : nous racontons une histoire d’amour comme elle est écrite, en le faisant comme dans un beau film. Un peu
La traviata
Talise Trevigne (Violetta), Rame Lahaj (Alfredo), James Westman (Giorgio Germont), Choeur de l’Opéra de Montréal, Orchestre Métropolitain, Jordan de Souza. Mise en scène : Alain Gauthier. Scénographie et costumes : Christina Poddubiuk. Éclairage : Kevin Lamotte. Salle Wilfrid-Pelletier, les 4, 7, 9, 14 mai 2024 à 19 h 30 et le dimanche 12 mai 2024 à 14 h.