La recherche au service de la transition numérique
« Plus que jamais, l’avenir des régions passe par le numérique », déclarait en 2021 par voie de communiqué Marie-Eve Proulx, alors ministre déléguée au Développement économique régional. Le gouvernement lançait son Offensive de transformation numérique (OTN) pour accélérer le virage numérique des entreprises de toutes les régions du Québec. Encouragé par des investissements majeurs, si cette transformation semble aujourd’hui bien enclenchée, le travail est loin d’être terminé. Mais à l’arsenal des entreprises québécoises s’ajoutent désormais deux nouveaux outils : des centres universitaires consacrés à l’innovation technologique.
« Beaucoup se sont inquiétés de voir que nos entreprises ne faisaient pas le saut du côté de la robotisation », observe Jonathan Gaudreault, directeur du Lab-Usine de l’Université Laval. « Ça s’explique parce qu’ici on produit des petites séries. On n’a pas beaucoup d’usines qui font la même chose chaque jour pendant 10 ans. Ce sont plutôt des commandes personnalisées, la production est différente chaque semaine. »
C’est ainsi, estime-t-il, que nos entreprises se sont démarquées face à la mondialisation. Le hic, cependant, est que cette personnalisation empêche beaucoup d’entrepreneurs québécois de passer à l’étape suivante de la transition numérique.
Lancé début avril, le Lab-Usine, une unité mixte de recherche (UMR) sur les systèmes manufacturiers innovants, vise justement à pallier ce problème. « On travaillait depuis des années en collaboration avec des entreprises qui voulaient trouver des solutions numériques au sein du Consortium de recherche en ingénierie des systèmes industriels 4.0 », raconte le directeur. Les travaux se heurtaient toutefois à un mur : « Nos partenaires nous disaient : “On finit toujours par écouter vos recommandations, mais deux ans plus tard. Il faudrait trouver une façon de nous amener à vous écouter dès le début.” »
La solution émerge finalement : un lieu pour expérimenter les solutions avant de les implanter en usine. « On ne pouvait pas arriver le lundi chez le client et prendre le contrôle de la ligne de production pour tester de nouvelles idées ! » illustre Jonathan Gaudreault. L’unité de recherche permet de peaufiner les solutions avant de les déployer sur le plancher de l’usine.
L’idée est tellement forte qu’elle mène à un nouveau nom. Exit le Consortium, c’est l’entrée en scène du Lab-Usine — qui, pour ajouter au réalisme, fabriquera un vrai produit. « Ça nous prenait une entreprise où on peut faire de la conception de produit, la programmation des machines, la mise en production », énumère-t-il. Bref, traverser réellement toutes les étapes de la production, à l’instar des entreprises qu’il travaille à aider.
Après quelques séances de réflexion, l’équipe s’est entendue pour démarrer une entreprise de mini-roulottes en bois que les clients pourront personnaliser. « On ne veut pas tricher, on veut vraiment faire du sur-mesure. Si on en fabrique mille, elles doivent toutes être différentes les unes des autres. »
À peine lancé, le Lab-Usine suscite déjà un engouement qui réjouit son directeur. « Ce n’est pas tout le monde qui nous contacte qui a besoin de nous, observe-t-il. Parfois, on connaît déjà la solution et on peut les diriger vers un service ou un produit qui existe déjà. » Il pointe vers les centres d’expertise industrielle (CEI), disséminés à travers le Québec, qui peuvent justement offrir ce type d’accompagnement. « D’autres fois, on fouille et on voit qu’il n’y a pas de solution connue. Dans ces cas-là, on leur dit : “Vous avez bien fait de venir nous voir !” »
Expertise interdisciplinaire
C’est dans un esprit similaire qu’a été lancée en 2021 l’Unité mixte de recherche sur la transformation numérique en appui au développement régional, mise sur pied par l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) et l’Université du Québec à Rimouski (UQAR).
Basée à Rimouski, cette unité de recherche vise à monter des projets interdisciplinaires en collaboration avec des acteurs de la région. « Notre but n’est pas seulement de répondre aux défis technologiques, explique Julia Frotey, professeure adjointe au Centre Urbanisation Culture Société de l’INRS. On veut aussi contribuer à un développement responsable, éthique et inclusif. » C’est pourquoi l’équipe de l’unité est à la fois composée de professeurs spécialisés en informatique, mais aussi de chercheurs en sciences humaines.
Concrètement, comment cette UMR viendra-t-elle aider la transition numérique en région ? Professeur en informatique à l’UQAR, Mehdi Adda répond en citant un exemple : « Comme les régions sont très étendues, les gens n’ont pas accès aux mêmes services de santé qu’en ville. On veut explorer les façons dont la technologie peut réduire ce fossé. » Il s’intéresse notamment aux manières dont des capteurs couplés à une intelligence artificielle
pourraient contribuer à l’indépendance de personnes vieillissantes, en ayant un oeil sur leurs comportements, de manière non intrusive.
Plus largement, sa collègue identifie une série de difficultés qui viennent freiner la transition en région : « Les entreprises n’ont pas toutes le même accès au réseau numérique et il y a des disparités au niveau de la littératie numérique des acteurs locaux, ce qui limite la capacité à accéder à toutes les opportunités d’Internet. »
Partenariats à l’horizon
Le travail de l’UMR sur la transformation numérique en appui au développement régional demeure balbutiant, le lancement officiel étant prévu pour l’automne. L’équipe se concentre pour le moment sur l’établissement d’une vision commune et des axes de recherche — la liste inclut des domaines comme l’éducation, le transport, le manufacturier et l’énergie, entre autres. « On est un peu un ovni », dit en souriant Julia Frotey. Mehdi Adda constate tout de même déjà l’avantage de travailler de manière collaborative : « Je suis habitué à l’interdisciplinarité, mais en ayant un noyau proche de collègues dont je connais l’expertise, j’ai plus facilement le réflexe de leur demander leur point de vue, ce qui m’aide à ne pas me limiter à des préoccupations techniques. »
La prochaine étape sera d’ouvrir la porte aux partenaires potentiels, pour mieux connaître leurs problématiques spécifiques et ainsi lancer des projets de recherche qui correspondent à leurs besoins. Parmi les objectifs, la formation de personnel hautement qualifié et l’augmentation du partage de l’information sont aussi cruciales.
Mehdi Adda espère voir émerger de l’UMR des solutions qui, ancrées dans un milieu précis, pourront être utiles dans d’autres régions du Québec, voire ailleurs dans le monde. « On veut s’inspirer d’expériences de réussites d’ailleurs, mais on croit que les expériences menées dans les régions ici peuvent s’appliquer ailleurs. »
« Les entreprises n’ont pas toutes le même accès au réseau numérique et il y a des disparités au niveau de la littératie numérique des acteurs locaux. »