Le Devoir

La recherche au service de la transition numérique

- GABRIELLE ANCTIL COLLABORAT­ION SPÉCIALE

« Plus que jamais, l’avenir des régions passe par le numérique », déclarait en 2021 par voie de communiqué Marie-Eve Proulx, alors ministre déléguée au Développem­ent économique régional. Le gouverneme­nt lançait son Offensive de transforma­tion numérique (OTN) pour accélérer le virage numérique des entreprise­s de toutes les régions du Québec. Encouragé par des investisse­ments majeurs, si cette transforma­tion semble aujourd’hui bien enclenchée, le travail est loin d’être terminé. Mais à l’arsenal des entreprise­s québécoise­s s’ajoutent désormais deux nouveaux outils : des centres universita­ires consacrés à l’innovation technologi­que.

« Beaucoup se sont inquiétés de voir que nos entreprise­s ne faisaient pas le saut du côté de la robotisati­on », observe Jonathan Gaudreault, directeur du Lab-Usine de l’Université Laval. « Ça s’explique parce qu’ici on produit des petites séries. On n’a pas beaucoup d’usines qui font la même chose chaque jour pendant 10 ans. Ce sont plutôt des commandes personnali­sées, la production est différente chaque semaine. »

C’est ainsi, estime-t-il, que nos entreprise­s se sont démarquées face à la mondialisa­tion. Le hic, cependant, est que cette personnali­sation empêche beaucoup d’entreprene­urs québécois de passer à l’étape suivante de la transition numérique.

Lancé début avril, le Lab-Usine, une unité mixte de recherche (UMR) sur les systèmes manufactur­iers innovants, vise justement à pallier ce problème. « On travaillai­t depuis des années en collaborat­ion avec des entreprise­s qui voulaient trouver des solutions numériques au sein du Consortium de recherche en ingénierie des systèmes industriel­s 4.0 », raconte le directeur. Les travaux se heurtaient toutefois à un mur : « Nos partenaire­s nous disaient : “On finit toujours par écouter vos recommanda­tions, mais deux ans plus tard. Il faudrait trouver une façon de nous amener à vous écouter dès le début.” »

La solution émerge finalement : un lieu pour expériment­er les solutions avant de les implanter en usine. « On ne pouvait pas arriver le lundi chez le client et prendre le contrôle de la ligne de production pour tester de nouvelles idées ! » illustre Jonathan Gaudreault. L’unité de recherche permet de peaufiner les solutions avant de les déployer sur le plancher de l’usine.

L’idée est tellement forte qu’elle mène à un nouveau nom. Exit le Consortium, c’est l’entrée en scène du Lab-Usine — qui, pour ajouter au réalisme, fabriquera un vrai produit. « Ça nous prenait une entreprise où on peut faire de la conception de produit, la programmat­ion des machines, la mise en production », énumère-t-il. Bref, traverser réellement toutes les étapes de la production, à l’instar des entreprise­s qu’il travaille à aider.

Après quelques séances de réflexion, l’équipe s’est entendue pour démarrer une entreprise de mini-roulottes en bois que les clients pourront personnali­ser. « On ne veut pas tricher, on veut vraiment faire du sur-mesure. Si on en fabrique mille, elles doivent toutes être différente­s les unes des autres. »

À peine lancé, le Lab-Usine suscite déjà un engouement qui réjouit son directeur. « Ce n’est pas tout le monde qui nous contacte qui a besoin de nous, observe-t-il. Parfois, on connaît déjà la solution et on peut les diriger vers un service ou un produit qui existe déjà. » Il pointe vers les centres d’expertise industriel­le (CEI), disséminés à travers le Québec, qui peuvent justement offrir ce type d’accompagne­ment. « D’autres fois, on fouille et on voit qu’il n’y a pas de solution connue. Dans ces cas-là, on leur dit : “Vous avez bien fait de venir nous voir !” »

Expertise interdisci­plinaire

C’est dans un esprit similaire qu’a été lancée en 2021 l’Unité mixte de recherche sur la transforma­tion numérique en appui au développem­ent régional, mise sur pied par l’Institut national de la recherche scientifiq­ue (INRS) et l’Université du Québec à Rimouski (UQAR).

Basée à Rimouski, cette unité de recherche vise à monter des projets interdisci­plinaires en collaborat­ion avec des acteurs de la région. « Notre but n’est pas seulement de répondre aux défis technologi­ques, explique Julia Frotey, professeur­e adjointe au Centre Urbanisati­on Culture Société de l’INRS. On veut aussi contribuer à un développem­ent responsabl­e, éthique et inclusif. » C’est pourquoi l’équipe de l’unité est à la fois composée de professeur­s spécialisé­s en informatiq­ue, mais aussi de chercheurs en sciences humaines.

Concrèteme­nt, comment cette UMR viendra-t-elle aider la transition numérique en région ? Professeur en informatiq­ue à l’UQAR, Mehdi Adda répond en citant un exemple : « Comme les régions sont très étendues, les gens n’ont pas accès aux mêmes services de santé qu’en ville. On veut explorer les façons dont la technologi­e peut réduire ce fossé. » Il s’intéresse notamment aux manières dont des capteurs couplés à une intelligen­ce artificiel­le

pourraient contribuer à l’indépendan­ce de personnes vieillissa­ntes, en ayant un oeil sur leurs comporteme­nts, de manière non intrusive.

Plus largement, sa collègue identifie une série de difficulté­s qui viennent freiner la transition en région : « Les entreprise­s n’ont pas toutes le même accès au réseau numérique et il y a des disparités au niveau de la littératie numérique des acteurs locaux, ce qui limite la capacité à accéder à toutes les opportunit­és d’Internet. »

Partenaria­ts à l’horizon

Le travail de l’UMR sur la transforma­tion numérique en appui au développem­ent régional demeure balbutiant, le lancement officiel étant prévu pour l’automne. L’équipe se concentre pour le moment sur l’établissem­ent d’une vision commune et des axes de recherche — la liste inclut des domaines comme l’éducation, le transport, le manufactur­ier et l’énergie, entre autres. « On est un peu un ovni », dit en souriant Julia Frotey. Mehdi Adda constate tout de même déjà l’avantage de travailler de manière collaborat­ive : « Je suis habitué à l’interdisci­plinarité, mais en ayant un noyau proche de collègues dont je connais l’expertise, j’ai plus facilement le réflexe de leur demander leur point de vue, ce qui m’aide à ne pas me limiter à des préoccupat­ions techniques. »

La prochaine étape sera d’ouvrir la porte aux partenaire­s potentiels, pour mieux connaître leurs problémati­ques spécifique­s et ainsi lancer des projets de recherche qui correspond­ent à leurs besoins. Parmi les objectifs, la formation de personnel hautement qualifié et l’augmentati­on du partage de l’informatio­n sont aussi cruciales.

Mehdi Adda espère voir émerger de l’UMR des solutions qui, ancrées dans un milieu précis, pourront être utiles dans d’autres régions du Québec, voire ailleurs dans le monde. « On veut s’inspirer d’expérience­s de réussites d’ailleurs, mais on croit que les expérience­s menées dans les régions ici peuvent s’appliquer ailleurs. »

« Les entreprise­s n’ont pas toutes le même accès au réseau numérique et il y a des disparités au niveau de la littératie numérique des acteurs locaux. »

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ISTOCK L’Unité mixte de recherche sur la transforma­tion numérique en appui au développem­ent régional, mise sur pied par l’INRS et l’UQAR, se concentre pour le moment sur l’établissem­ent d’une vision commune et des axes de recherche — la liste inclut des domaines comme l’éducation, le transport, le manufactur­ier et l’énergie, entre autres.

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