Le poids d’un symbole I
ly a une quinzaine d’années, le grand méchant loup en santé portait les habits d’un PPP. Il s’en est déchiré, des chemises, autour de ces partenariats public-privé au blason ternis. Le moindre accroc — de fait ou de principe — sonnait alors comme un coup de semonce. Il en faut beaucoup plus aujourd’hui pour s’indigner de la progression du privé tant ses activités sont imbriquées à celles du public.
L’arrivée de Geneviève Biron à la tête de Santé Québec est l’aboutissement de cette logique voulant que le privé possède une agilité et une hardiesse que le public n’a jamais su cultiver. Le duo que forme la femme d’affaires avec son numéro 2, Frédéric Abergel, incarne le yin et le yang d’une refondation destinée à « “shaker” les colonnes du temple ». Vrai, le réseau a besoin d’un électrochoc de grande intensité.
Le ministre Dubé tire beaucoup de fierté de cette formule bicéphale. Le symbole n’en est pas moins fort, car c’est là une dualité de surface. C’est bien celle qui a fait l’essentiel de sa carrière au sein de l’entreprise familiale Biron Groupe Santé (800 employés) qui tiendra le volant de l’agence (330 000 employés). Le gestionnaire public de carrière, lui, sera dans le side-car. Ensemble, ils auront à rendre « plus humain et plus performant » un mammouth écrasé par ses pénuries, sa bureaucratie et son hospitalocentrisme.
Mme Biron possède des qualités indéniables pour ce poste. On entend son intention de rester « concentrée sur le système public », mais la marche qu’il lui faudra monter pour y arriver est haute. La femme d’affaires s’est au surplus engagée à prendre les mesures nécessaires pour éliminer tout conflit d’intérêts potentiel. En plus d’ériger un « mur de Chine » entre elle, son conjoint (qui fait aussi carrière en santé) et les membres de sa famille, dont l’entreprise a fleuri dans les interstices abandonnés par le réseau public.
La vertu, cependant, s’accommode mal de la crudité du quotidien. On est en droit de se demander où ira l’allégeance de Mme Biron lorsque viendra le temps d’éteindre son premier feu, puis les suivants. À l’humain ou à la performance ? Au public ou au privé ?
Il faudra suivre étroitement la dynamique qui s’installera dans les hautes sphères de l’agence. Et agir immédiatement si d’aventure la complémentarité du yin et du yang devait céder à la répulsion de deux pôles condamnés à rejouer la même partition usée. Les Québécois ont déjà trop chèrement payé pour écouter encore cette vieille rengaine.