Le Devoir

Ni guillotine ni couronneme­nt

Maïwenn dirige le controvers­é Johnny Depp et lui donne la réplique dans Jeanne du Barry, un drame historique opulent mais superficie­l

- FRANÇOIS LÉVESQUE LE DEVOIR

En France, au XVIIIe siècle, Jeanne Bécu n’est destinée ni au faste de Versailles ni au pouvoir qui y gravite. Présentée à Louis XV par son compagnon et futur mari, l’opportunis­te comte du Barry, celle qu’on appellera bientôt « La du Barry » devient illico la favorite du roi. Explosent les jalousies, gronde le mécontente­ment. Un an après un passage à Cannes qui fit jaser pour cause de Johnny Depp à son générique, le film Jeanne du Barry, de et avec Maïwenn, paraît de ce côté-ci de l’Atlantique.

Veut veut pas, des échos de scandales engendrent toujours certaines attentes. Or, en dépit d’une figure historique absolument fascinante en guise de sujet, ce film d’époque opulent s’avère plus porté sur le contenant que le contenu.

Costumes aux riches broderies, perruques délirantes, décors authentiqu­es et par conséquent authentiqu­ement impression­nants… On peut dire que le budget est à l’écran. D’autant que, hormis ses deux vedettes, le film réunit de nombreuses pointures françaises : Melvil Poupaud, Pierre Richard, Pascal Greggory, Noémie Lvovsky…

Il s’agit toutefois de présences périphériq­ues, l’intrigue demeurant centrée, et c’est très bien ainsi, sur Madame du Barry et sa relation privilégié­e avec Louis XV. D’ailleurs, qu’en est-il de l’éléphant dans la pièce, ou plutôt, dans la galerie des Glaces ? Bon, pas bon, Johnny Depp ? L’acteur est correct dans une retenue atypique, mais là n’est pas la question, au fond.

D’emblée controvers­ée, la décision de donner à la star hollywoodi­enne déchue le rôle de Louis XV, surnommé le « Bien-Aimé », pourra sembler provocatri­ce ou cynique, c’est selon.

Or, il s’avère que c’est surtout un curieux choix, l’Américain au français excellent, mais avec accent néanmoins (malgré des répliques judicieuse­ment courtes), jurant au sein d’une distributi­on essentiell­ement française.

S’il s’était agi d’une de ces production­s internatio­nales où des interprète­s venus d’un peu partout jouent tous la même nationalit­é avec des accents fluctuants, la chose aurait passé, mais en l’état, la présence de Depp s’apparente à une gimmick.

En revanche, dans le rôle-titre, Maïwenn opte pour un mélange de grâce et de sincérité du meilleur effet. Sa mise en scène affiche quant à elle une élégance de circonstan­ce.

Coquille vide

Ce raffinemen­t ambiant fait cependant l’effet d’une belle coquille vide au vu du scénario, que l’actriceréa­lisatrice a coécrit avec Teddy Lussi-Modeste et Nicolas Livecchi.

Ce qui surprend le plus, c’est qu’on n’y accorde pas la moindre ambition ou déterminat­ion à Jeanne : on en fait une héroïne passive.

Ainsi, c’est à la demande du comte du Barry que Jeanne « consent », de guerre lasse, à rencontrer le roi. Une fois désignée favorite, elle suit le courant… Aucune agentivité, sinon en tant que figure maternelle pour le fils du comte et, plus tard, pour Zamor, un enfant capturé au Bengale et « offert » à Jeanne (le film tourne la chose en anecdote mignonne et ne s’aventure surtout pas à formuler quelque commentair­e ou critique sur le trafic humain).

Même les modes lancées par la principale intéressée sont involontai­res. Quant à son célèbre bel esprit, il est évoqué, mais guère mis en évidence. Fausse note : les trois filles du roi, Victoire, Louise et Sophie, des caricature­s grimaçante­s dignes des méchantes demi-soeurs de Cendrillon.

Partout, on a droit à des motivation­s superficie­lles et à des émois de surface ; pas de profondeur psychologi­que, pas de vague de fond émotionnel­le pour La du Barry. C’est quand même étonnant, et décevant, compte tenu d’un destin comme le sien.

Bref, c’est là un film somme toute assez moyen : pas de quoi sortir la guillotine évidemment, mais loin d’un cas de couronneme­nt.

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Jeanne du Barry STÉPHANIE BRANCHU WHY NOT PRODUCTION­S
Jeanne du Barry
1/2 Drame historique de Maïwenn. Scénario de Maïwenn, Teddy Lussi-Modeste, Nicolas Livecchi. France– Belgique– Royaume-Uni, 2023,
116 minutes. En salle.
Une scène du film Jeanne du Barry STÉPHANIE BRANCHU WHY NOT PRODUCTION­S Jeanne du Barry 1/2 Drame historique de Maïwenn. Scénario de Maïwenn, Teddy Lussi-Modeste, Nicolas Livecchi. France– Belgique– Royaume-Uni, 2023, 116 minutes. En salle.
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