Sollers, vivant
La deuxième vie, dernier tour de piste de l’écrivain français Philippe Sollers
Longtemps directeur littéraire chez Gallimard, où il dirigeait la collection et la revue L’Infini, romancier (Le parc, Femmes, Portrait du joueur, Agent secret), biographe partisan (Casanova, Mozart), Philippe Sollers — né Philippe Joyaux à Bordeaux en 1936 — était devenu une sorte de « parrain » des lettres parisiennes, entouré de vénération et de chuchotements.
Après son décès en mai 2023, les salutations n’ont pas tardé, dont témoignait un Hommage à Philippe Sollers paru quelques mois plus tard (Gallimard, Paris, 2023, 144 pages). Colette Fellous, Jean-Jacques Schuhl, Bernard-Henri Lévy, Chantal Thomas, Arnaud Viviant ou Josyane Savigneau, qui, tour à tour, parmi la trentaine de personnes qui y contribuent, célèbrent l’ami, l’éditeur, l’écrivain.
« Tu n’as jamais manqué une occasion pour rappeler que la littérature, la poésie étaient une guerre. Une guerre essentielle, une guerre de position, une guerre amoureuse », écrit son ami et éditeur Antoine Gallimard.
L’essayiste de La guerre du goût (1994) nous récitait par coeur et depuis longtemps les leçons apprises chez Proust, chez Nietzsche et chez Céline, toujours un peu badigeonnées de ce XVIIIe siècle qu’il aimait tant. En 2007, dans Un vrai roman, des mémoires menés au pas de course, il résumait bien la place qu’occupait dans sa vie la littérature, celle qu’il lisait autant que celle qu’il faisait : « Elle est pour moi la forme vivante de mon engagement métaphysique. »
Et il ne se passait rien, pour ainsi dire, dans les derniers romans de Sollers, mais tout passait à travers lui : le temps, les livres, la musique, l’amour. Entre l’explication de texte et le commentaire social, il pouvait porter des charges tranquilles contre le puritanisme obscène contemporain, un éloge permanent de l’amour vrai, de la musique et du jeu mêlés à des bribes de son enfance.
Livre ultime, pied de nez fait à la mort et aux détestateurs, La deuxième vie, court roman inachevé écrit et dicté à l’hôpital, est son dernier tour de piste. Dans ce livre, traversé de « féroce ironie ou autodérision aigredouce, l’humour n’est jamais loin », écrit dans une courte postface son épouse depuis 1967, la philosophe et psychanalyste Julia Kristeva.
Une fugue méditative un rien stoïque où passent Venise, Rimbaud, Picasso, la mort (« condamnation éternelle à l’ennui »). Des gammes jouées et rejouées, ses « passions fixes », qui en font une sorte de concentré sollersien ouvert sur l’éternité, l’autre côté des choses : « Dans la Deuxième vie, chaque jour est octroyé comme un jour de plus, ce qui change la couleur de chaque minute. » Un programme de vie qui pourrait bien émaner de la Juliette de Sade : « Le passé m’encourage, le présent m’électrise, je crains peu l’avenir. »
Avec quelques coups de griffes un peu codés contre l’époque et sa moraline qui suinte de partout, l’écrivain nous dit une fois encore sa crainte de voir la société avalée par le spectacle en un « ensemble d’agrégats massifs d’illusions ».
« La vie est un tango et celui qui ne le danse pas est un idiot », croyait Concha, personnage capital d’Une curieuse solitude, son premier roman publié en 1959. Tout Sollers est dans cette phrase. Volontaire, joueur, constant.