Le Devoir

Un terreau fertile de médiation culturelle

- CAROLINE BERTRAND COLLABORAT­ION SPÉCIALE

Créer un pont entre les arts et les citoyens, démocratis­er la culture, favoriser les rencontres humaines : voilà l’essence de la médiation culturelle, qui permet à tout le monde d’être partie prenante de l’art, et non pas que spectateur. Le Saguenay– Lac-Saint-Jean, qui a sa propre Cellule régionale d’innovation en médiation culturelle, fait belle figure en la matière par la multiplici­té des pratiques à l’oeuvre sur son territoire.

« On prêche beaucoup pour de saines habitudes avec le sport, mais être actif — ce qui est bon pour la santé mentale —, ça peut aussi se réaliser à travers l’art », affirme Vicky Tremblay, coordonnat­rice à l’organisme culturel communauta­ire Mosaïque sociale, à Roberval.

Les activités de médiation culturelle, qui se veulent des expérience­s aussi enrichissa­ntes sur le plan humain que sur le plan créatif, se destinent à l’ensemble de la population, répondant ainsi à des défis de cohésion et d’inclusion sociales.

« La médiation culturelle, ça permet l’égalité des chances, d’ouvrir des horizons, des esprits, un univers de possibles pour bien des gens, même de rêver grand », expose Camille Brisson, coordonnat­rice à la médiation culturelle au centre d’art actuel Langage Plus, à Alma.

« C’est du liant social. Des citoyens m’ont souvent dit : “Ça nous aide à comprendre le monde” », indique la professeur­e et chercheuse à l’UQAC et membre de l’Observatoi­re des médiations culturelle­s Marcelle Dubé, qui a analysé les pratiques au Saguenay– Lac-Saint-Jean.

Une constellat­ion de pratiques

« J’ai étudié en arts, mais de plus en plus, mon média, c’est l’humain, illustre joliment Mme Tremblay. J’aime créer des mécanismes qui permettent aux gens de rencontrer les réalités de l’autre. »

Faisant appel aux arts tous azimuts, les pratiques de médiation culturelle revêtent une multitude de formes : visites guidées, ateliers dans des lieux extérieurs ouverts à tous, projets de création à long terme, résidences d’artistes, etc. « La médiation culturelle, c’est protéiform­e, “constellai­re” », image Mme Dubé.

Chez Mosaïque sociale, la parole de citoyens créateurs investit l’espace public par l’entremise d’oeuvres collective­s exposées dans les écoles, les bibliothèq­ues, les centres commerciau­x ou encore les locaux d’organismes communauta­ires. « On doit avoir plusieurs centaines d’oeuvres un peu partout dans le Saguenay–Lac-SaintJean », se réjouit Vicky Tremblay. Accessible­s à tous, ces créations aux multiples points de vue peuvent susciter des conversati­ons, fait-elle observer. « Elles ont de la portée, elles permettent d’amener des débats sociaux dans l’espace public à travers les sujets qu’elles abordent. »

Le milieu scolaire, avec lequel collabore énormément Langage Plus, constitue un environnem­ent des plus fertiles pour la médiation culturelle. Le centre d’art fait se rencontrer élèves et artistes en organisant notamment des sorties scolaires et des résidences d’artistes de quelques mois dans les écoles, desquelles naissent oeuvres collective­s, exposition­s et livres.

Camille Brisson souligne l’importance pour les élèves de vivre un projet qui s’étale dans le temps. « Ça permet de persister dans l’exploratio­n, mais aussi dans les questionne­ments, de l’aborder sous divers angles, d’explorer différents médias, relève-t-elle. On est très heureux quand les écoles nous ouvrent leurs portes. »

Derrière celles de Langage Plus, les visiteurs peuvent compter sur l’accompagne­ment d’une médiatrice, le centre d’art préférant les échanges humains et l’interactio­n aux panneaux explicatif­s. « Ça permet de légitimer les expérience­s des visiteurs, puisque chaque personne a ses propres référents, sa propre lecture de l’art », explique Mme Brisson, qui y voit une façon pour les gens de gagner en assurance face à l’art actuel.

De plus, en collaboran­t avec divers organismes communauta­ires, Mosaïque sociale et Langage Plus vont à la rencontre des clientèles plus marginalis­ées ou ayant moins accès à la culture. « On profite de cette proximité pour s’inscrire sur notre territoire et rappeler que la culture est présente pour tous », souligne la coordonnat­rice à la médiation culturelle.

Citoyens marqués pour toujours

La participat­ion à des projets artistique­s collectifs s’est révélée salutaire pour beaucoup. « Il y en a qui sont allés chercher leur cinquième secondaire, qui ont accompli des étapes de vie importante­s, qui avaient besoin de vivre des réussites, de socialiser ; ils le partagent avec moi lorsque je les croise dans la rue », confie Vicky Tremblay, de Mosaïque sociale.

Si les organismes se sont longtemps battus pour faire valoir la médiation culturelle, la coordinatr­ice assure qu’ils ont fait des gains — Mosaïque sociale a même obtenu son premier financemen­t à la mission. « Quand on frappait aux portes des ministères il y a 15 ans, on se faisait dire qu’on ne faisait pas de l’art, mais de la réinsertio­n ou de la santé mentale, se souvient-elle. Aujourd’hui, les politicien­s se rendent compte que l’art, c’est bien plus que des artistes qui présentent des projets. »

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CATHERINE GAGNON Des élèves de l’école primaire Saint-Antoine participen­t à un projet de médiation culturelle en collaborat­ion avec le centre d’art actuel Langage Plus.

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