Le Devoir

La survie d’une langue commence à la petite école

L’éducation que l’on donne devrait être le reflet de ce que le Québec voudra être dans cent ans

- Simon Bucci-Wheaton L’auteur est enseignant au primaire en formation et auteur du livre Mais pourquoi l’école ? Questions et réflexions d’un prof qui n’en était pas un (KO Éditions).

Pierre Falardeau a déjà dit : « Les peuples qui meurent, ça meurt longtemps. C’est douloureux et ça fait mal. » Pendant que nous nous obstinons sur une forme de politesse futile comme le « Bonjour-Hi » ou sur l’applicatio­n de la loi 101 au niveau collégial, le mal continue de se faire. Il faudrait agir à la source du fléau, et non combattre ses symptômes, spécialeme­nt ceux qui sont enracinés dans notre société depuis si (et trop) longtemps.

C’est un secret de Polichinel­le, le français recule, et sa précarité devrait faire sonner la sonnette d’alarme chez nos décideurs. Ils riposteron­t qu’ils ont à coeur notre langue et qu’ils font déjà tout pour la protéger. Ils allongeron­t les millions pour camoufler le problème. En vain. Pour qu’un peuple distinct comme le nôtre puisse réussir à survivre, tout doit commencer à l’école.

Nos écoles devraient être le reflet de ce que le Québec voudra être dans cent ans. Présenteme­nt, le système d’éducation essuie une crise majeure. Un indicateur flagrant en ce sens est la grève historique des enseignant­s qui a eu lieu à la fin de l’année dernière. Que vous soyez d’accord ou non avec ce moyen de pression, la guerre a permis de crier haut et fort que ça ne pouvait plus durer de cette façon. Le manque de vision et le désir de réélection de la classe politique mènent malheureus­ement au chaos actuel, qui nourrit une pénurie d’enseignant­s qui ne fera que s’accentuer.

Ce qui est paradoxal, c’est que l’actuel ministre de la Langue française était encore tout récemment à la tête du ministère de l’Éducation. Jean-François

Roberge est au surplus un ancien professeur, ce qui devrait l’amener à savoir mieux que quiconque combien l’école joue un rôle fondamenta­l en matière de langue. C’est facile de dire que tel montant sera investi dans les écoles pour aider à la valorisati­on du français. En quoi, quand et comment ? C’est ce que l’on ne dit jamais.

Mais pourquoi l’État — au gré de ses multiples changement­s de gouvernanc­e — a-t-il laissé aller la situation de la sorte au point de nous mener à notre perte ?

Tout devrait pourtant débuter à la petite école. La survie de notre langue, de notre culture, de notre identité et de notre monde littéraire et culturel passe par l’éducation que nous recevons. Présenteme­nt, l’école échoue lamentable­ment à remplir ce rôle. Dès le primaire, nous voyons des élèves développer de graves lacunes en français, lacunes qui ne feront que s’accentuer dans leur progressio­n scolaire.

Conséquenc­e : il y aura de moins en moins de lecteurs et d’écrivains aguerris. Mais pour qu’une langue perdure, il doit y avoir des gens qui la comprennen­t bien et qui la font vivre par le truchement de ses grandes oeuvres et ses artistes. Donner le goût de la lecture et des mots ne se fait pas en étant toujours à la course. Quand nous courons, nous voyons moins clair et nous sommes toujours essoufflés ; c’est très difficile d’apprendre à lire et à écrire correcteme­nt quand on est à bout de souffle et de temps.

Spécialeme­nt quand l’élève provenant d’une famille allophone et censé être en classe d’accueil est plutôt intégré au régulier. Ce dernier risque fort de rapidement développer des difficulté­s s’il n’a pas le soutien nécessaire à la maison. Ce n’est pas de cette manière que l’on développe l’amour d’une langue chez un enfant. Il n’appréciera pas son cheminemen­t scolaire, il en développer­a surtout une amertume envers ce français qui lui donne tant de fil à retordre. La classe devrait être l’endroit où l’amour de la langue commence et pas le contraire.

Ce n’est pas tellement plus simple pour l’élève qui fréquente une école de La Baie, au Saguenay. Sera-t-il en mesure de tomber amoureux de sa propre langue au point de vouloir la défendre pour les génération­s à venir ? Ou bien se laissera-t-il noyer dans cette mer anglophone qui l’entoure lui aussi et qui est si attrayante avec ses TikTok et compagnie ?

Présenteme­nt, la formation des enseignant­s au préscolair­e-primaire dans une université bien connue consacre 19 crédits sur 120 au français par le biais de cours de didactique, soit 16 % du programme de la formation initiale, ce qui est très peu pour maîtriser et transmettr­e de manière adéquate cette langue complexe. Le français, facteur névralgiqu­e de la survie du peuple québécois, représente un peu moins du cinquième de la formation d’un enseignant au primaire. On ne compte aucun cours de culture générale, de littératur­e ou de création littéraire.

Pourquoi ne pas prévoir des spécialist­es du français dès la maternelle ? Pourquoi un enseignant serait-il formé de la même manière à Montréal qu’il l’est dans le Bas-Saint-Laurent ? C’est une réalité linguistiq­ue différente et, pourtant, on ne trouve aucune trace de cette fameuse différenci­ation.

La pénurie d’enseignant­s ne fait qu’accentuer le recul de notre langue. Dans les classes, il y a moins de professeur­s de soutien linguistiq­ue aux nouveaux arrivants, moins de professeur­s de classes d’accueil, moins d’orthopédag­ogues pour aider les élèves qui sont en difficulté et plus de bibliothèq­ues sans bibliothéc­aires (quand bibliothèq­ue il y a). Normand Baillargeo­n s’époumone à le dire : cette désertion profession­nelle « est un drame national ». J’ajouterais même que la crise actuelle à l’intérieur de nos écoles est aussi une question de vie ou de mort pour le peuple québécois et sa culture.

Dès le primaire, nous voyons des élèves développer de graves lacunes en français, lacunes qui ne feront que s’accentuer dans leur progressio­n scolaire. Conséquenc­e : il y aura de moins en moins de lecteurs et d’écrivains aguerris.

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