L’extrême droite galvanisée par les politiques climatiques
Une étude indique que cette résurgence de la droite pourrait ralentir la transition verte
lya plus de dix ans, les Pays-Basse sont lancés dans un plan simple de réduction des émissions de carbone. Leur gouvernement a augmenté les taxes sur le gaz naturel et utilisé les fonds ainsi gagnés pour aider les ménages néerlandais à installer des panneaux solaires. D’après la plupart des indicateurs, le programme a fonctionné. À partir de 2022, 20 % des maisons aux Pays-Bas étaient équipées de panneaux solaires, alors que c’était le cas pour environ 2 % des maisons en 2013. Les prix du gaz naturel ont quant à eux augmenté de près de 50 %.
Mais, selon une nouvelle étude, il s’est également produit autre chose. Les familles néerlandaises les plus vulnérables à l’augmentation du prix de l’essence — les locataires qui payaient eux-mêmes leurs factures — ont dérivé vers la droite du spectre politique.
Les familles qui sont aux prises avec une augmentation des coûts de l’énergie domestique sont de 5 % à 6 % plus susceptibles de voter pour l’un des partis d’extrême droite des Pays-Bas.
Une réaction semblable a lieu dans toute l’Europe, au moment où les partis d’extrême droite se positionnent en opposition aux politiques vertes. En Allemagne, une loi qui aurait obligé les propriétaires à installer des thermopompes a galvanisé le parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) et lui a donné un coup de pouce. En France, des agriculteurs ont fait entrer des tracteurs dans Paris pour protester contre des règles de la Politique agricole commune (PAC). En Italie et en Grande-Bretagne, des conducteurs ont protesté contre les initiatives visant à interdire l’accès aux centres-villes aux voitures à forte consommation d’essence.
Cette résurgence de la droite pourrait ralentir la transition verte en Europe, qui a été moins polarisée sur le réchauffement climatique, et sert d’avertissement aux États-Unis, où les politiques relatives aux véhicules électriques et aux cuisinières à gaz ont déjà suscité des réactions négatives. Cette évolution montre également qu’à mesure que les politiques climatiques touchent de plus en plus la vie des citoyens, même les pays dont les électeurs soutiennent fermement les énergies propres peuvent se heurter à des obstacles.
« Cela a vraiment élargi la coalition de l’extrême droite », explique Erik Voeten, professeur de géopolitique à l’Université Georgetown et auteur de la nouvelle étude sur les Pays-Bas.
Études aux résultats semblables
D’autres études ont abouti à des résultats similaires. Dans une étude réalisée à Milan, des chercheurs de l’Université Bocconi ont étudié les habitudes de vote de conducteurs dont les voitures avaient été interdites d’accès au centreville parce qu’elles étaient trop polluantes. Ces conducteurs, qui avaient perdu en moyenne l’équivalent de 4000 dollars en raison de l’interdiction, étaient nettement plus susceptibles de voter pour le parti de droite la Lega lors des élections suivantes. En Suède, les chercheurs ont constaté que les familles à faible revenu aux prises avec des prix élevés de l’électricité étaient également plus susceptibles de se tourner vers l’extrême droite.
Les partis d’extrême droite en Europe ont commencé à se positionner contre l’action climatique, en élargissant leur programme à l’anti-immigration et à l’antimondialisation. Il y a dix ans, le Parti pour la liberté, un parti de droite néerlandais, a insisté sur le fait qu’il n’était pas opposé aux énergies renouvelables, mais plutôt à l’augmentation des prix de l’énergie. Mais en 2021, la formation a évolué vers un vocabulaire plus radical dans son manifeste. « L’énergie comble un besoin fondamental, mais la folie climatique l’a transformée en un produit de luxe très coûteux », indiquait son programme.
« L’extrême droite commence de plus en plus à faire campagne sur l’opposition aux politiques environnementales et au changement climatique », explique M. Voeten.
Cette réticence reflète également, en partie, l’ampleur de la décarbonation de l’Europe. Plus de 60 % de l’électricité du continent provient déjà de sources renouvelables ou de l’énergie nucléaire. Pour atteindre les objectifs de l’Union européenne en matière de climat, il faut donc s’attaquer à d’autres secteurs : les transports, les bâtiments, l’agriculture.
Alors que la plupart des gens ne prêtent pas attention à la manière dont ils obtiennent leur électricité, les changements apportés à la conduite automobile, au chauffage domestique et à l’agriculture commencent à affecter les Européens, suscitant critiques et colère.
« Ce qui se passe, à mesure que nous accélérons le rythme de la transition, c’est que nous commençons à entrer dans des secteurs qui touchent inévitablement à la vie des gens », soutient Luke Shore, directeur de la stratégie pour Project Tempo, un organisme de recherche à but non lucratif qui évalue l’impact des politiques climatiques sur les habitudes de vote en Europe. « Nous avons atteint le point où la question devient personnelle — et pour cette raison, elle devient également plus politique. »
Ce qui se passe, à mesure que nous accélérons le rythme de la transition, c’est que nous commençons à entrer dans des secteurs qui touchent inévitablement à la vie des gens
LUKE SHORE
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Selon les chercheurs, le problème se pose lorsque les consommateurs ont l’impression que le coût du poids de la transition énergétique est porté par eux, plutôt que par les gouvernements et les entreprises.
« Les gens ont l’impression d’être les fers de lance du changement, a déclaré Pandora Lefroy, directrice générale de Project Tempo. Ils ont l’impression d’être obligés de porter le fardeau du changement, et que ce n’est pas juste. »
Des schémas de vote semblables ont également été observés aux États-Unis. Selon une étude réalisée par Alexander Gazmararian, politologue à l’Université Princeton, les communautés où le charbon était au centre de l’économie, historiquement démocrates, mais qui ont perdu des emplois lors du passage au gaz naturel, ont augmenté de 5 % leur soutien aux candidats républicains. Le changement était plus important dans les zones situées plus loin des nouvelles centrales électriques au gaz, c’est-à-dire dans les zones où les électeurs ne pouvaient pas constater que c’était le gaz naturel, et non les réglementations environnementales, qui avait affaibli le charbon.
Selon M. Gazmararian, si le déni lié au changement climatique et la désinformation sur les combustibles fossiles ont certainement joué un rôle, de nombreux électeurs sont simplement motivés par les pressions financières qu’ils subissent. « Ils se trouvent dans une situation économique où ils n’ont pas beaucoup d’options », déclare-t-il.
La solution, selon les experts, consiste à concevoir des politiques qui évitent de faire peser une charge financière trop lourde sur les consommateurs de manière individuelle. En Allemagne, où la loi sur l’installation de thermopompes aurait coûté aux propriétaires de 7500 à 8500 dollars de plus que l’installation de chaudières à gaz, les décideurs politiques ont rapidement fait marche arrière. Mais à ce moment-là, le nombre de membres des partis d’extrême droite avait déjà augmenté.
Lee Beck, directrice principale pour l’Europe et le Moyen-Orient au sein du groupe de réflexion sur l’énergie Clean Air Task Force, estime que l’élaboration de politiques climatiques axées sur les avantages économiques et la sécurité énergétique pourrait constituer une meilleure voie vers un changement durable. Jusqu’à présent, c’est l’approche qu’a adoptée le président Joe Biden, qui se concentre davantage sur les crédits d’impôt et les avantages accordés aux véhicules électriques et aux thermopompes que sur les interdictions pures et simples.
La majeure partie de l’Europe a longtemps échappé au clivage culturel et politique qui a frappé l’Australie et les États-Unis. Mais avec la poussée de l’extrême droite pour obtenir une plus grande part des voix, la situation pourrait changer.
« Je m’inquiète d’une polarisation politique accrue sur la question du climat et de son enracinement », fait valoir Mme Beck.
Certains analystes politiques prédisent un important virage à droite lors des élections européennes de juin. Si cela se produit, cela pourrait ralentir la transition verte que l’Europe a menée jusqu’à présent. « Nous pourrions assister à une réduction assez brutale des nouvelles actions », avance M. Voeten.