Un plein de couleurs
La transposition de La Traviata de Verdi dans le Paris des années 1920 est une belle réussite
La Traviata de Verdi prenait l’affiche à l’Opéra de Montréal samedi à la salle Wilfrid-Pelletier. C’est un spectacle haut en couleur, marqué par la beauté de son cadre, une direction modèle et l’incarnation juste et sensible de l’héroïne.
La Traviata coproduite par l’Opéra de Montréal est un beau spectacle, tout comme Les noces de Figaro en début de saison étaient un « beau spectacle ». Par ce qualificatif, on désigne une production intelligente, réalisée avec culture et goût. Il est vraiment singulier que de tels sommets de raffinement aient été promus par des campagnes aussi décalées, aux antipodes de la réelle proposition artistique.
Prétextes
Dans La Traviata d’Alain Gauthier, la fatalité de Violetta est bel et bien d’être, hors l’arrivée d’Alfredo dans sa vie, le jouet de la destinée et celui des hommes. Leur désir et leur argent, d’abord. Puis leur pouvoir moral (incarné par Germont père), ensuite.
À ce titre, il est sain de faire table rase de cette histoire de « Joséphine Baker » et de la prendre pour ce qu’elle est. D’abord, un prétexte pour laisser le champ libre à la brillante scénographe, costumière et accessoiriste Christina Poddubiuk afin qu’elle s’en donne à coeur joie et nous en mette plein la vue. Ensuite, une astuce pour forcer l’engagement de chanteuses noires dans le rôle-titre, ce qui ne pouvait que dorer le blason des compagnies coproductrices et anticipait, à l’époque de la conception du projet, une tendance de l’heure.
La grande actrice et femme libre Joséphine Baker aurait envoyé paître ce gros bourgeois, catho, misogyne et moraliste infatué de Giorgio Germont. Et la scène n’aurait pas été triste ! Donc Violetta est noire (mais le côté racisme n’est pas utilisé dans les attitudes du rejet de la famille Germont), et le spectacle a lieu dans un cadre Art déco exceptionnellement beau et raffiné. Fin de ce chapitre-là.
Le travail d’Alain Gauthier est excellent et très efficace dans le placement étagé du choeur à l’acte I et au 2e tableau de l’acte II. Leurs mouvements sont naturels. Il y a nombre de bonnes idées comme Douphol et Alfredo s’arrêtant sur l’escalier à la fin de l’acte II, prédisant le duel à venir.
Mais de manière inattendue, ce superbe spectacle nous a valu un incroyable instant de type « travelling de Kapo ». Le « travelling de Kapo », l’un des concepts les plus forts en cinéphilie (il se rapporte à une critique de Jacques Rivette, en 1961, d’un film de Gillo Pontecorvo, théorisé ensuite par le grand critique Serge Daney), est le moment de l’absolu « ça ne se peut pas », la seconde qui tue. C’est lorsque Germont père s’essuie les yeux au moment où Violetta renonce à Alfredo. Mais à ce moment-là encore, du haut de sa morgue, Violetta est pour lui une « chose » qui se doit de s’effacer. Germont est en mission/manipulation pour qu’elle abdique. Comment un tel geste, impossible, incroyable, « kapoïstique », a-t-il pu germer dans quel esprit ?
Grand chef
Musicalement cette Traviata est avant tout portée par la direction exemplaire de Jordan de Souza. Le mot « Portée » est utilisé au sens propre, vis-à-vis des chanteurs, dans les nuances, les phrasés, le creusement du spectre sonore (la profondeur de la fatalité par les graves). Indice de grandeur, avant l’acte III, le chef est caché dans la fosse pour que son entrée ne provoque pas d’applaudissements et qu’on entre dans le drame de la mort de Violetta.
Talise Trevigne est une excellente Traviata, pas une énorme voix, mais une chanteuse sensible et raffinée avec les justes inflexions, véhiculant les exactes émotions. Déception du côté de James Westman, vieux routier du rôle, mais dont (à 51 ans seulement) le chant est syllabique au lieu de déployer une belle ligne verdienne. Antoine Bélanger avait pris la place de Rame Lahaj en Alfredo dans la semaine sans que l’Opéra de Montréal juge l’information pertinente. Après un premier acte assez instable, le ténor québécois a trouvé ses marques dès le début de l’acte II faisant très honorable figure dans cette salle ingrate pour les voix.
Très bon plateau de seconds rôles, où se distinguaient le ténor Angelo Moretti en Gastone et le Docteur Grenvil de la basse Jean-Philippe McClish, et excellent choeur préparé par Claude Webster.
La Traviata
Opéra en trois actes de Verdi. Orchestre Métropolitain, Jordan de Souza. Mise en scène : Alain Gauthier. Salle Wilfrid-Pelletier, les 7, 9, 14 mai à 19 h 30 et le dimanche 12 mai à 14 h.