Excuses présentées aux Innus d’Unamen Shipu
En signant une entente de 32 millions sur 23 ans, Hydro-Québec reconnaît les torts liés à l’ouverture de la centrale du Lac-Robertson
Le grand patron d’Hydro-Québec, Michael Sabia, a présenté ses excuses lundi aux Innus d’Unamen Shipu (La Romaine), en marge de la signature d’une entente de 32 millions de dollars sur 23 ans pour « régler » le délicat dossier de la centrale hydroélectrique du Lac-Robertson, construite en 1995 sur le territoire des Innus sans que ceux-ci soient consultés ou impliqués dans le projet.
Cette façon de faire était « inacceptable », a lancé M. Sabia devant des membres de la communauté rassemblés au centre communautaire. « Pour ça, je suis désolé et vous avez mes excuses », a-t-il ajouté.
Près de trente ans après la mise en service de la centrale, M. Sabia s’est envolé vers la communauté innue de la Basse-Côte-Nord pour faire ce geste de réparation, qu’il inscrit dans sa volonté de « réconciliation économique ». Il était attendu par quelques dizaines de résidents, surtout des aînés, dont certains s’étaient affairés à préparer un pâté de caribou, ou encore de l’outarde, pour tous les convives.
« Aujourd’hui, notre équipe vient reconnaître un comportement d’HydroQuébec dans le passé qui n’était pas acceptable », a déclaré M. Sabia à Agathe Mestenapéo, une résidente de 69 ans qui venait tout juste de l’interpeller en Innu, en pointant vers lui un doigt accusateur. Dans la salle, JeanBaptise Bellefleur était incrédule. « Pourquoi c’est lui qui est là ? » a-t-il demandé, en cherchant les responsables qui étaient en poste au moment de lancer la centrale.
À l’époque, des membres de la communauté — qui n’est accessible que par les airs ou par bateau, l’été — avaient utilisé des hélicoptères pour aller manifester contre le projet sur le futur site de la centrale, a raconté l’homme de 81 ans. La barque des
protestataires n’avait pas fait le poids pour freiner l’afflux de matériaux apportés par bateau pour la construction de la centrale, s’est aussi rappelé Joseph Mollen. La centrale a perturbé les habitudes de chasse et de pêche dans le secteur, a précisé le grand chef d’Unamen Shipu, Raymond Bellefleur. Les Innus de la Basse-Côte-Nord ontils eu des retombées ? « Pas du tout », a reconnu M. Sabia en entrevue.
La centrale du Lac-Robertson, d’une puissance de 21 mégawatts et d’une capacité de production d’énergie de 5,5 térawattheures, a été aménagée en 1995 sur la rivière Ha ! Ha ! afin d’alimenter une série de villages de la côte du Labrador et de la Basse-Côte-Nord. Elle fait partie d’un complexe qui comprend aussi une centrale thermique à moteur diesel. Celle-ci alimentait Unamen Shipu jusqu’en 2022 — année du raccordement de la communauté au réseau principal d’Hydro-Québec, dans un souci de « décarbonation ».
Aussi présents sur placeoules ministres Ian Lafrenière et Kateri Champagne Jourdain ont utilisé l’adjectif « historique » pour qualifier l’entente. Le chef Bellefleur s’est engagé à utiliser cinq millions de dollars pour construire une maison pour les aînés. Il souhaite utiliser les fonds pour juguler la crise du logement. Ici, les matériaux arrivent par bateau, et les coûts de construction sont énormes, a-t-il souligné.
Il espère ouvrir des centres de ressourcement pour les jeunes, dit aussi s’inquiéter des ravages de la drogue et de l’alcool dans cette « communauté sèche », où les substances se vendent donc sur le marché noir, à fort prix. « La moyenne d’âge, c’est 25 ans. Il y a plus de jeunes que d’aînés. Ces jeunes-là, on veut les rattraper », a-t-il dit.
Des ambitions pour un nouveau barrage
En toile de fond, en plus d’un historique de tensions, planaient lundi les visées d’Hydro-Québec pour un nouveau barrage sur la rivière du Petit Mécatina, en plein coeur du Nitassinan, le territoire traditionnel des Innus. Une étude sur le potentiel hydroélectrique de ce cours d’eau a d’ailleurs été lancée en avril. Celui-ci a été évalué à 1200 mégawatts (MW) par le passé, mais son aménagement demanderait d’inonder 228 km2, soit près de la moitié de la superficie de l’île de Montréal. Le chef d’Unamen Shipu a affirmé qu’il s’y opposait toujours. « Mais notre population, les Innus, ce sont eux qui décideront », a-t-il souligné. M. Bellefleur estime, pour le moment, que la majorité des 1200 Innus d’Unamen Shipu sont contre le projet. « Ils vont encore à la chasse là-bas. Nous, on est protecteurs du territoire », a-til souligné.
M. Sabia n’a pas caché l’intérêt d’Hydro-Québec pour le cours d’eau. Sauf que le dernier mot sur ce projet reviendra à la communauté, a-t-il dit à de multiples reprises. « La décision est à vous », a-t-il attesté. Cet éventuel barrage n’est pas un élément fondamental à la réussite du plan d’action 2035 d’Hydro-Québec, a-t-il affirmé.
« Si les communautés d’Unamen Shipu et de Pakua Shipi [située plus à l’est] sont à l’aise, après une période de conversation, ça, c’est une chose. Mais sinon, nous allons poursuivre d’autres options. Nous ne sommes pas dans une situation où un projet est absolument indispensable », a-t-il dit.
Aux résidents présents, M. Sabia a assuré que « nos façons de faire sont en train de changer » et que l’ère où Hydro-Québec pouvait « simplement imposer sa volonté à une communauté » était révolue. L’époque où les ententes exigeaient une extinction des droits ancestraux — comme l’a fait la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, en 1975 — a elle aussi changé, a-t-il convenu.
« Pour une communauté qui veut devenir partenaire avec nous, nous avons plusieurs options : nous pouvons aider au financement avec une aide d’Hydro-Québec ou du gouvernement du Québec », a-t-il avancé. En clair, M. Sabia souhaite que les projets de développement d’Hydro-Québec fournissent « des revenus autonomes aux communautés », qui décideront à leur tour de la manière de les investir.