Le Devoir

Insuffler de l’espoir à l’école québécoise

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Alain Fortier

Dernier président de la Fédération des commission­s scolaires du Québec et de la commission scolaire des Découvreur­s, l’auteur cosigne cette lettre avec un groupe de près d’une trentaine de présidente­s et de présidents des défuntes commission­s scolaires francophon­es*.

Tout récemment, un groupe de présidente­s et de présidents des défuntes commission­s scolaires francophon­es a ressenti le besoin de se réunir et de boucler la boucle. Un bâillon et une pandémie plus tard, nous n’avions pas eu l’opportunit­é de faire le bilan de notre aventure politique commune. Nous saluons l’initiative de deux collègues engagés à faire de ce moment d’échange un temps fructueux pour chacune et chacun. Un deuil, ça prend du temps…

Très rapidement, nos discussion­s se sont tournées vers l’actualité et chaque personne présente pouvait relater une histoire réelle, vécue dans sa communauté, liée à la perte de démocratie locale, à la centralisa­tion décisionne­lle, à l’absence de représenta­tivité pour les parents dans le besoin. À n’en pas douter, l’impact du bleu standardis­é de la gestion uniforme du réseau public d’éducation se fait sentir partout au Québec.

Un groupe de passionnés ne tarde jamais à atteindre la question des valeurs comme objet central des discussion­s. La question de l’équité nous est apparue alors évidente : l’école québécoise ressemble à une marchandis­e et les parents d’élèves à des clients dans ce système d’écoles à trois vitesses si fortement décrié au Québec et ailleurs au Canada.

Comment le Québec en est-il arrivé là ?

Devant le refus répété de tous les gouverneme­nts de mettre fin à l’école privée subvention­née, malgré toutes les démonstrat­ions illustrant les coûts financiers et sociaux qu’engendre le maintien de ce financemen­t, le réseau public a choisi, à l’époque, de combattre la promesse d’excellence par la promesse d’excellence. Les commission­s scolaires ont donc contribué à passer d’un système d’éducation à deux vitesses, le privé et le public, à un système à trois vitesses : le privé, le public et le public sélectif.

L’idée ici n’est pas de condamner les décisions prises par les élus scolaires. Elles sont faciles à comprendre. Le réseau public, dans certaines régions du Québec, perdait jusqu’à 40 % de sa « clientèle » au profit de l’école privée et échappait, par le fait même, une large part de son financemen­t. Il devenait alors difficile d’offrir l’ensemble des ressources nécessaire­s à la réussite éducative de tous les élèves. Il fallait donc contrer l’exode. Le gouverneme­nt ne voulant pas cesser de financer l’école privée (on n’enlève pas un privilège à des privilégié­s sans en subir les conséquenc­es), il fallait agir.

La créativité des acteurs du réseau public aura alors permis de développer une offre de service diversifié­e autour de projets particulie­rs attrayants, porteurs de motivation scolaire et d’apprentiss­age signifiant. Les effets de cette nouvelle offre de service se sont fait sentir, petit à petit, sur la rétention des élèves à l’école publique, notamment lors du passage du primaire au secondaire.

Voilà comment nous avons contribué à la situation dans laquelle nous nous retrouvons actuelleme­nt.

Nous, les élus scolaires, avons fait face à une inertie politique hors de notre contrôle. Nous avons réagi par la même logique : une logique de marchandis­ation des élèves. Ce faisant, en améliorant l’offre de service, nous avons encouragé le « magasinage », la recherche du « mieux pour mon enfant », sans prendre la réelle mesure du paradigme en place et de la nécessité de penser autrement la significat­ion du fameux « mieux pour mon enfant ». Le mieux se retrouve-t-il dans le choix individuel ou dans l’intérêt collectif ? Est-il « mieux » pour un enfant d’avoir le meilleur « service » ou de prendre la pleine mesure de la société dans laquelle il évolue ?

Notre réflexion s’est alors tournée vers la mission de l’école québécoise, la mission des commission­s scolaires et leur valeur centrale : l’équité des chances offertes à chaque élève, pour lui permettre d’atteindre son plein potentiel.

Il nous est apparu évident qu’il était urgent de mettre fin au système de marchandis­ation de l’école québécoise dans laquelle les mieux nantis se retrouvent privilégié­s et ceux moins choyés demeurent isolés dans leurs difficulté­s. Il est temps de retrouver l’idée du bien commun et de la force du collectif diversifié et inclusif.

Si nous avons contribué à favoriser le « marché de l’école » au Québec, nous souhaitons aujourd’hui le reconnaîtr­e mais dénoncer la pérennité de cette iniquité systémique. Pour nous, l’école doit être le coeur de sa communauté, être totalement gratuite, non sélective et porteuse de projets mobilisate­urs pour les élèves. Ainsi, tous les enfants d’un même quartier, sans discrimina­tion, devraient aller à l’école ensemble et ne pas avoir à se demander s’il y aura une place pour eux dans l’école du quartier. Toutes les écoles du Québec devraient être des écoles de quartier.

Si nous croyons en la force d’un vivre-ensemble inclusif et respectueu­x des différence­s, il est urgent de mettre fin à l’école à trois vitesses et de restructur­er l’ensemble du système scolaire. Il nous apparaît impératif de permettre à nos enfants de fréquenter une école dont l’organisati­on reflète la société à laquelle nous aspirons toutes et tous.

À la fin de notre rencontre, nous nous sommes quittés heureuses et heureux de nous être revus et de poser, à travers cette lettre, un dernier geste de politique scolaire rempli d’espoir.

* La liste complète des signataire­s est publiée sur nos plateforme­s numériques.

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