Le Devoir

Un musée pour quelle nation ?

Le futur Musée national de l’histoire du Québec présentera un « récit qui sera le plus rassembleu­r possible », selon l’historien Éric Bédard

- DAVE NOËL À QUÉBEC

Le Musée national de l’histoire du Québec (MNHQ), dont la création a été annoncée à la fin avril par le premier ministre François Legault, sera un lieu de découverte plutôt qu’un monument célébrant les héros, affirme l’historien Éric Bédard qui sera consultant pour ce projet.

« Si on présente un récit jovialiste [de notre histoire], c’est la crédibilit­é de l’opération qui sera mise en cause et, si on fait un musée des horreurs, ce ne sera pas intéressan­t de le visiter non plus », précise-t-il dans un entretien avec Le Devoir.

Le contenu de la nouvelle institutio­n sera défini par le Musée de la civilisati­on (MCQ), par l’entremise d’un comité scientifiq­ue auquel se joindra Éric Bédard. « L’intelligen­ce collective va permettre d’arriver à un récit qui sera le plus rassembleu­r possible et le plus au fait de l’historiogr­aphie », espère l’auteur des Réformiste­s et de L’histoire du Québec pour les nuls.

Éric Bédard n’aura pas de droit de veto sur les décisions du comité, à l’instar de sa collègue Jenny Thibault, la directrice générale et artistique de la Société des arts technologi­ques, responsabl­e du volet numérique. « On donne notre avis et ils en font ce qu’ils veulent. Le ministre [Mathieu Lacombe] a souhaité ça, avoir deux consultant­s externes pour accompagne­r le musée », explique le professeur à la TELUQ.

Source de fierté, « on verra »

Les visiteurs du musée qui sera implanté au pavillon central du Séminaire de Québec devront en ressortir avec un élan de fierté, a prévenu François Legault le 25 avril dernier, en jetant un oeil complice au présidentd­irecteur général du MCQ, qui fait office de maître d’oeuvre. « Qu’ils se disent : “eh que je suis fier d’être Québécois”, c’est ça qui est l’objectif visé, je l’ai dit au moins 25 fois à Stéphan [La Roche], donc je suis certain qu’il l’a compris », a lancé le chef du gouverneme­nt au milieu des boiseries redessinée­s en 1910 par l’architecte Georges-Émile Tanguay.

« Le premier ministre a présenté ça à sa façon, commente Éric Bédard. Bon, on verra. Moi, j’ai envie de dire qu’un musée, c’est d’abord pour faire découvrir, pour apprendre, transmettr­e quelque chose. Moi, c’est dans cette perspectiv­e-là que j’ai voulu m’engager dans cette aventure. »

L’échéancier fixé par le premier ministre est serré, le MNHQ devant ouvrir ses portes dès le printemps 2026. « Moi, franchemen­t, j’ai confiance, souligne Éric Bédard. On la connaît, cette histoire, nous pataugeons làdedans. Ce n’est pas comme si on rédigeait un manuel de 500 pages. »

Le cadre géographiq­ue des exposition­s devra-t-il être contenu à l’intérieur des frontières du Québec établies au lendemain de la conquête britanniqu­e de 1760 ? « C’est une bonne question, je n’ai pas la réponse, observe Éric Bédard. L’anthropolo­gue Serge Bouchard nous rappelait constammen­t que les Canadiens avaient arpenté l’Amérique. »

L’arrivée de l’explorateu­r Jacques Cartier à Gaspé en 1534 peut-elle constituer le point de départ de la « communauté de destin » québécoise, comme l’a suggéré François Legault cette semaine ? L’an zéro doit-il plutôt être repoussé à la tabagie de Tadoussac de 1603 ou à la fondation de Québec par Samuel de Champlain cinq ans plus tard ? « J’ai mes opinions là-dessus, mais je vais les garder pour le comité scientifiq­ue », se contente de dire M. Bédard.

L’historien en profite pour nuancer ses propos tenus lors du point de presse du premier ministre, où il avait laissé entendre que les Autochtone­s représenta­ient la « préhistoir­e du Québec » en l’absence d’écrits.

« Ce que je voulais juste dire, c’est qu’on nous a appris que l’histoire commence par l’écriture. Avant, c’est l’oralité, donc c’est pour ça qu’on se rabat sur des travaux d’archéologi­e, d’ethnohisto­ire pour essayer de décoder comment vivaient les habitants du territoire avant l’arrivée des Français. »

Patrimoine

Le MNHQ sera logé au pavillon Camille-Roy du Séminaire de Québec, reconnaiss­able à son toit mansardé recouvert de tôle étincelant­e. L’édifice érigé en 1854 vient tout juste d’être rénové pour 92 millions de dollars.

L’institutio­n occupera ainsi les locaux qui étaient destinés au quartier général des Espaces bleus annoncé en grande pompe par la CAQ en 2021. Ce projet de réseau muséal doté d’antennes régionales a été abandonné en mars dernier après que ses coûts estimés furent passés de 259 millions à un milliard de dollars.

« J’étais complèteme­nt hors de ça », assure Éric Bédard, qui a été sollicité un peu avant Noël par le ministre de la Culture, Mathieu Lacombe. « Sur le coup, ça m’a emballé, un musée entièremen­t consacré à l’histoire du Québec ! »

Le professeur s’étonne qu’on n’y ait pas songé avant. « Il y en a partout dans le monde, et même dans des États non souverains, comme la Corse. Peut-être que ça traduit notre rapport complexe au passé. »

Le projet lui paraît d’autant plus pertinent qu’il permettra de donner une seconde vie au patrimoine bâti du Séminaire situé sur les terres du premier colon de la Nouvelle-France, Louis Hébert. « C’est une des forces du projet. Pas besoin de lancer de concours d’architectu­re. On a un bel édifice, la vue qu’on a des fenêtres est à couper le souffle ! »

L’historien ne voit pas de double emploi entre le MNHQ et le MCQ, qui se trouve à moins d’une centaine de mètres, au pied des falaises du cap aux Diamants. « Le Musée de la civilisati­on est un musée de société avec une approche plus anthropolo­gique. Ce n’est pas sa vocation de nous proposer un récit chronologi­que. »

Les deux institutio­ns voisines devront toutefois partager le même bassin d’artefacts, soit celui du MCQ, dont la nouvelle exposition permanente sur le Québec va ouvrir ses portes à la fin du mois. On y trouvera notamment les restes présumés de la Petite Hermine, l’un des trois navires de Cartier lors de son voyage de 1535, et un corbillard d’apparat fabriqué par la Maison Lépine en 1900.

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