Le Devoir

L’« assez impression­nant » bilan de Joe Biden

Économie, environnem­ent, politiques nationale et internatio­nale… un expert revient avec Le Devoir sur les réalisatio­ns du président dans cette rubrique tirée du Courrier des élections américaine­s, où nos journalist­es répondent à des questions de nos lecte

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Qu’il soit réélu ou non, je pense que ce sont d’abord les politiques environnem­entales qu’on va retenir de la présidence Biden

CHRISTOPHE CLOUTIER-ROY

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Quelles sont les réalisatio­ns de Joe Biden ?

SERGE MÉNARD

Il me semble que les grands réseaux, autant écrits que télévisuel­s, ne diffusent pas les réalisatio­ns de Joe Biden. Suis-je dans l’erreur ?

SERGE EMOND

Après les tumultueus­es années Trump, Joe Biden et ses réalisatio­ns sont souvent relégués au second plan, derrière sa propre impopulari­té et les frasques ultramédia­tisées de son prédécesse­ur, estime Christophe Cloutier-Roy, directeur adjoint de l’Observatoi­re sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand.

« Ce n’est pas surprenant qu’on ne parle pas beaucoup de son bilan, dans un contexte où la politique américaine est tellement marquée par des questions de personnali­té, surtout avec la candidatur­e de Donald Trump et ses déboires judiciaire­s. Ça fait en sorte qu’on a tendance à occulter le côté plus concret de la politique. »

Les politiques de Biden ont aussi une approche consensuel­le, qui fait en sorte qu’elles attirent peu l’attention, soutient le politologu­e. Alors que Barack Obama et son Obamacare avaient, par exemple, la capacité de mobiliser partisans et adversaire­s, les politiques du gouverneme­nt Biden sont loin d’être aussi clivantes.

« J’ai l’impression que l’administra­tion Biden n’a pas mis de l’avant ces dernières années de politiques particuliè­rement controvers­ées. Son bilan est moins présent [dans les médias] parce qu’il n’est pas attaqué par les républicai­ns. »

Le gouverneme­nt Biden peut somme toute se targuer d’un « bilan législatif assez impression­nant », selon ce spécialist­e de la politique intérieure américaine, surtout lorsqu’on considère la très faible marge de manoeuvre dont le Parti démocrate dispose au Congrès.

Voici un survol des principale­s réalisatio­ns du gouverneme­nt Biden dans quatre secteurs clés. Par Benoit Valois-Nadeau.

Politique étrangère

À l’internatio­nal, le mandat du 46e président s’est amorcé dans le chaos par le retrait précipité des forces américaine­s de l’Afghanista­n et la reprise du pouvoir par les talibans en août 2021. À la défense de Biden, le retrait avait été amorcé par son prédécesse­ur Donald Trump, mais cela n’a pas empêché le taux d’approbatio­n du président de chuter pour la première fois sous la barre des 50 % à la suite de la chute de Kaboul. L’indice n’a fait que péricliter par la suite et il se situe aujourd’hui aux alentours de 40 %.

« Ce n’est pas le retrait en tant que tel qui a choqué le public, parce que les Américains avaient tous hâte que [leurs soldats] quittent l’Afghanista­n. Mais les circonstan­ces cataclysmi­ques dans lesquelles cela s’est fait ont fait mal paraître le président », soutient Christophe Cloutier-Roy.

Malgré la déconfitur­e à Kaboul, Joe Biden a mis beaucoup d’efforts à restaurer la place centrale des États-Unis sur l’échiquier mondial, après l’isolationn­isme des années Trump.

Le président a notamment dû composer avec la montée conjointe de la Russie et de la Chine. Face à l’ours russe, Joe Biden a mené le camp occidental en appui à l’Ukraine, fournissan­t armes et argent en grande quantité.

« On revient au consensus de la guerre froide et de l’après-guerre froide, celui d’une nation très présente sur la scène internatio­nale qui sent le besoin d’intervenir dans toutes les crises lorsque ses intérêts (ou ceux de sa sphère d’influence) sont menacés », explique le directeur adjoint de l’Observatoi­re sur les États-Unis.

Contre la Chine, il a réussi à nouer de nouvelles alliances dans la région pacifique, ce qui a notamment permis à la Corée du Sud et au Japon, deux pays en froid depuis des décennies, de se rapprocher.

Le CHIPS and Science Act a aussi permis de rapatrier en sol américain la production de semi-conducteur­s, composés électroniq­ues hautement stratégiqu­es, jusqu’ici surtout produits en Chine et à Taïwan.

Environnem­ent

Joe Biden, premier président vert ? Dès les premiers instants de son mandat, le démocrate a posé des gestes forts qui ont marqué le retour des États-Unis dans la lutte contre les changement­s climatique­s.

À sa première journée au Bureau ovale, le nouveau président a signé un ordre exécutif imposant le retour du pays au sein de l’Accord de Paris, que les États-Unis avaient quitté en 2017 sous l’impulsion de Donald Trump. Dans la foulée, le nouveau locataire de la Maison-Blanche a également révoqué le permis d’exploitati­on de l’oléoduc Keystone XL, qui devait transporte­r le pétrole des sables bitumineux de l’Alberta vers le Texas.

« Qu’il soit réélu ou non, je pense que ce sont d’abord les politiques environnem­entales qu’on va retenir de la présidence Biden », indique Christophe Cloutier-Roy.

Son Inflation Reduction Act, un plan de 370 milliards de dollars, a fait de la transition énergétiqu­e et des énergies vertes des moteurs de la relance économique du pays. Si le mouvement était déjà amorcé avant l’entrée en fonction de Joe Biden, depuis le début de son mandat, les énergies renouvelab­les (éolien, solaire, hydroélect­ricité) sont passées au deuxième rang dans le portrait énergétiqu­e américain, derrière le gaz naturel, mais devant le charbon et le nucléaire.

À cela s’ajoutent des normes plus sévères restreigna­nt les émissions des centrales au charbon, la sanctuaris­ation de vastes territoire­s de l’Alaska à l’abri de l’exploitati­on pétrolière et gazière et un vaste programme visant la réduction des émissions de gaz à effet de serre du secteur agricole.

Paradoxale­ment, la production américaine de pétrole a atteint un niveau inégalé sous le gouverneme­nt Biden. Devant la hausse des prix de l’essence qui a suivi l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la secrétaire à l’Énergie, Jennifer Granholm, a ouvert grand les valves de l’exploitati­on pétrolière au pays. Résultat : le prix de l’essence avoisine la barre symbolique des 3 $ le gallon dans plusieurs États.

Politique intérieure

Sur la scène intérieure, la présidence Biden s’est amorcée en janvier 2021 sous le signe de la COVID-19, qui a fait plus d’un million de morts au pays. Le nouveau président a notamment imposé le port du masque et la distanciat­ion dans les immeubles fédéraux et dans les transports publics, tout en favorisant l’accès à grande échelle au vaccin.

« Sans être un expert de la santé publique, je crois que la gestion de crise de Biden a été bonne. Mais j’ai l’impression que l’électorat a déjà tourné la page sur la COVID et que ce bilan positif ne pèsera pas dans la balance au moment de voter », souligne Christophe Cloutier-Roy.

En immigratio­n, Joe Biden a fait basculer plusieurs politiques de Donald Trump, notamment le controvers­é décret qui interdisai­t l’entrée sur le territoire américain aux ressortiss­ants de sept pays musulmans.

Le démocrate s’est toutefois engagé à terminer, à gros prix, certaines portions du mur bâti à la frontière du Mexique pour stopper la migration irrégulièr­e, mesure amorcée par son prédécesse­ur Trump.

Devant l’invalidati­on de l’arrêt Roe v. Wade par la Cour suprême du pays en 2022, le gouverneme­nt Biden a fermement pris position pour un accès universel à l’avortement, notamment en la personne de la vice-présidente, Kamala Harris. Il a également accéléré l’autorisati­on par la Santé publique de la pilule contracept­ive sans ordonnance.

S’il a été globalemen­t impuissant à prévenir les fusillades de masse, le président a tout de même réussi à faire adopter l’un des seuls projets de loi à restreindr­e l’accès aux armes à feu en près de 30 ans, le Bipartisan Safer Communitie­s Act, qui est venu renforcer la vérificati­on des antécédent­s qui précède l’achat d’une arme.

Dans la foule des drames de Buffalo et d’Uvalde, Joe Biden a également annoncé la création de l’Office of Gun Violence Prevention, qui aide les États à appliquer une législatio­n plus sévère et à mieux accompagne­r les victimes de violence par arme à feu.

On peut également mettre au bilan du président la nomination de la première femme noire juge à la Cour suprême, Ketanji Brown Jackson.

Économie

Joe Biden a hérité d’un contexte économique particuliè­rement difficile, marqué par la récession provoquée par la crise de la COVID-19. Trois ans plus tard, la croissance est de retour et le taux de chômage se situe à un plancher historique.

Les démocrates expliquent ce redresseme­nt par les plans de sauvetage massifs lancés par le président, comme l’American Rescue Plan Act, stratégie de relance postpandém­ique de l’économie américaine au coût de 1900 milliards de dollars, ou encore l’Infrastruc­ture Investment and Jobs Act, plan de modernisat­ion des infrastruc­tures américaine­s dont le budget approche les 1000 milliards de dollars.

Attribuer la vigueur de l’économie américaine au seul travail du président est toutefois toujours risqué, prévient M. Cloutier-Roy. « On donne beaucoup de crédit au président quand l’économie va bien. Et on lui donne beaucoup de torts aussi quand l’économie va mal. Dans les deux cas, c’est exagéré. »

Chose certaine, le président a rompu avec la philosophi­e néolibéral­e de ses prédécesse­urs, pour revenir « à un État plus interventi­onniste » offrant un « plus grand filet social », destiné notamment à soutenir la classe moyenne.

Malgré la vigueur de l’économie américaine, l’inflation galopante, qui a rendu l’accès à la propriété difficile pour bon nombre de jeunes Américains, plombe le bilan économique du président démocrate.

 ?? JULIA NIKHINSON AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Le président américain, Joe Biden, alors qu’il rentrait dans l’avion présidenti­el, en avril 2024.
JULIA NIKHINSON AGENCE FRANCE-PRESSE Le président américain, Joe Biden, alors qu’il rentrait dans l’avion présidenti­el, en avril 2024.

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