Le Devoir

Une mince part du gâteau pour la culture et les arts

- CATHERINE LALONDE LE DEVOIR

Les arts et la culture n’arrivent pas à se hisser dans le top 10 des causes soutenues par les Québécois en philanthro­pie. Le secteur se retrouve en 11e position, bien derrière la religion et l’aide internatio­nale, à un pas des sports. C’est ce que révèle la neuvième Étude sur les tendances en philanthro­pie au Québec. Alors que de nombreux artistes dénoncent ces semaines-ci le manque de financemen­t des différents conseils des arts, cette étude peutelle aider à penser à d’autres voies de revenus ? Petit portrait en données de la situation.

La philanthro­pie culturelle, au Québec, est « en développem­ent », indique diplomatiq­uement la professeur­e honoraire aux HEC Wendy Reid, spécialist­e à qui Le Devoir a demandé un mini-état des lieux. « Ça s’en vient, c’est en évolution… » Sur ce plan, le Québec accuse un retard sur le Canada anglais — tout particuliè­rement sur son voisin l’Ontario.

« Ce n’est pas seulement à cause de la différence culturelle, précise Mme Reid. Les profession­nels de la philanthro­pie jouent un grand rôle dans son développem­ent, qu’on sous-estime souvent ; et ils n’existaient pas, ici, jusqu’à vraiment récemment… » Mme Reid, en effet, a donné le premier cours de philanthro­pie aux HEC de Montréal… en 2014. « En culture, ici, c’est vraiment assez nouveau. »

« Au sein de ce secteur, les Québécois contribuen­t de façon équivalent­e au théâtre, à la musique et aux musées, alors qu’ils donnent très peu à la danse », apprend-on en se penchant sur l’Étude sur les tendances en philanthro­pie au Québec, commandée à Léger par la firme Épisode. L’exercice, qui se fait depuis 10 ans, se penche sur les arts et la culture depuis trois ans seulement.

Ce qui saute aux yeux ? Les différente­s pratiques de don envers les arts faites par les entreprise­s (petites, moyennes ou grandes), qui ont intégré le secteur à leurs habitudes, et celles des donateurs individuel­s, qui semblent le bouder.

Si les arts n’apparaisse­nt pas « en tête de liste des secteurs privilégié­s par les PME de 25 employés et plus, ce sont cependant 32 % d’entre elles qui y ont accordé leur soutien en 2023 », peut-on lire. « Une proportion de 20 % d’entre elles ont alloué des montants dépassant 1000 $ à ce secteur en 2023, avec une contributi­on totale moyenne annuelle de 2152 $ ».

Du côté des grandes entreprise­s, 28 % d’entre elles soutiennen­t les arts. Une hausse de 8 % par rapport à 2020, note l’étude.

Les entreprise­s donatrices ont un intérêt plus marqué pour la musique et les musées. Quelque 82 % d’entre elles ont versé des dons inférieurs à 249 000 $ au cours de l’année, tandis que 9 % ont dépassé le million de dollars. En 2023, le secteur représenta­it près de 15 % du portefeuil­le de dons des entreprise­s qui lui ont apporté leur soutien.

C’est du côté des donateurs individuel­s qu’on voit le manque de réflexe à soutenir les arts. Pourquoi ? L’étude indique que « 70 % de l’ensemble des répondants québécois disent ne pas avoir été sollicités […], un pourcentag­e qui s’apparente à celui de 2020. Évidemment, sans sollicitat­ion, les dons se font assurément plus rares, surtout dans le contexte actuel », très concurrent­iel.

« On observe que le pourcentag­e de répondants qui donnent à la culture ne varie pas vraiment », résume de vive voix Amélie L’Heureux, conseillèr­e principale et directrice des études chez

Épisode. « Il demeure autour de 5 % à 6 %. Mais on voit que ces donateurs ont une meilleure compréhens­ion de pourquoi ils donnent à la culture. On pense que c’est un des effets “positifs” de la pandémie. »

Exemple : plusieurs répondants ont l’impression d’avoir déjà « donné » aux arts en achetant des billets de spectacles ou des produits culturels. Ils étaient 23 % à le penser dans la plus récente étude. « Bonne nouvelle, lit-on, cette considérat­ion a connu une baisse significat­ive depuis 2020, alors qu’elle avait été invoquée à hauteur de 31 %. »

Ce sont les répondants matures (79 ans et plus) qui donnent davantage aux arts et à la culture, dirigeant là 8 % de leurs dons. Ensuite, saut de génération : les X forment le deuxième groupe le plus sensible à cette catégorie, à laquelle ils octroient 6 % de leur charité.

D’abord, les abonnés

Pour Mme L’Heureux comme pour Mme Reid, le premier geste des organismes culturels qui désirent développer la philanthro­pie, c’est de se tourner vers les abonnés. « Ce sont ces spectateur­s qui ont déjà un attachemen­t très grand à un diffuseur culturel particulie­r », indique Mme L’Heureux.

Elle remarque également que plusieurs donateurs semblent un plus intéressés à contribuer en plus à l’accessibil­ité et à l’éducation aux arts. « Je crois que c’est la notion d’impact qui est ici en jeu ; le donateur cherche un impact, plus facile à sentir sur un groupe — la relève artistique, les nouveaux arrivants, les jeunes défavorisé­s qui n’ont pas accès aux arts… »

Wendy Reid n’est pas tout à fait d’accord avec cette vision. « La base de l’engagement en philanthro­pie culturelle, c’est la passion pour les arts », estime la professeur­e retraitée. « Les gens qui deviennent donateurs, petits ou grands, sont motivés par cette passion, et par le désir de s’impliquer dans une organisati­on qu’ils aiment. »

« Vrai qu’il est bon, pour un organisme culturel, d’avoir un pro de philanthro­pie avec qui travailler avec nous, parce que c’est un domaine très technique », enchaîne Mme Reid. « Mais la philanthro­pie implique absolument tout le monde dans une compagnie artistique. Ce n’est pas comme le marketing, qu’on peut confier à une seule personne. Il faut un engagement des directeurs artistique­s, des artistes, des gens des communicat­ions, de toute l’équipe, pour impliquer les donateurs au sein même de la vision et de la création. Ça demande beaucoup d’humanité », conclut la spécialist­e.

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