Une mince part du gâteau pour la culture et les arts
Les arts et la culture n’arrivent pas à se hisser dans le top 10 des causes soutenues par les Québécois en philanthropie. Le secteur se retrouve en 11e position, bien derrière la religion et l’aide internationale, à un pas des sports. C’est ce que révèle la neuvième Étude sur les tendances en philanthropie au Québec. Alors que de nombreux artistes dénoncent ces semaines-ci le manque de financement des différents conseils des arts, cette étude peutelle aider à penser à d’autres voies de revenus ? Petit portrait en données de la situation.
La philanthropie culturelle, au Québec, est « en développement », indique diplomatiquement la professeure honoraire aux HEC Wendy Reid, spécialiste à qui Le Devoir a demandé un mini-état des lieux. « Ça s’en vient, c’est en évolution… » Sur ce plan, le Québec accuse un retard sur le Canada anglais — tout particulièrement sur son voisin l’Ontario.
« Ce n’est pas seulement à cause de la différence culturelle, précise Mme Reid. Les professionnels de la philanthropie jouent un grand rôle dans son développement, qu’on sous-estime souvent ; et ils n’existaient pas, ici, jusqu’à vraiment récemment… » Mme Reid, en effet, a donné le premier cours de philanthropie aux HEC de Montréal… en 2014. « En culture, ici, c’est vraiment assez nouveau. »
« Au sein de ce secteur, les Québécois contribuent de façon équivalente au théâtre, à la musique et aux musées, alors qu’ils donnent très peu à la danse », apprend-on en se penchant sur l’Étude sur les tendances en philanthropie au Québec, commandée à Léger par la firme Épisode. L’exercice, qui se fait depuis 10 ans, se penche sur les arts et la culture depuis trois ans seulement.
Ce qui saute aux yeux ? Les différentes pratiques de don envers les arts faites par les entreprises (petites, moyennes ou grandes), qui ont intégré le secteur à leurs habitudes, et celles des donateurs individuels, qui semblent le bouder.
Si les arts n’apparaissent pas « en tête de liste des secteurs privilégiés par les PME de 25 employés et plus, ce sont cependant 32 % d’entre elles qui y ont accordé leur soutien en 2023 », peut-on lire. « Une proportion de 20 % d’entre elles ont alloué des montants dépassant 1000 $ à ce secteur en 2023, avec une contribution totale moyenne annuelle de 2152 $ ».
Du côté des grandes entreprises, 28 % d’entre elles soutiennent les arts. Une hausse de 8 % par rapport à 2020, note l’étude.
Les entreprises donatrices ont un intérêt plus marqué pour la musique et les musées. Quelque 82 % d’entre elles ont versé des dons inférieurs à 249 000 $ au cours de l’année, tandis que 9 % ont dépassé le million de dollars. En 2023, le secteur représentait près de 15 % du portefeuille de dons des entreprises qui lui ont apporté leur soutien.
C’est du côté des donateurs individuels qu’on voit le manque de réflexe à soutenir les arts. Pourquoi ? L’étude indique que « 70 % de l’ensemble des répondants québécois disent ne pas avoir été sollicités […], un pourcentage qui s’apparente à celui de 2020. Évidemment, sans sollicitation, les dons se font assurément plus rares, surtout dans le contexte actuel », très concurrentiel.
« On observe que le pourcentage de répondants qui donnent à la culture ne varie pas vraiment », résume de vive voix Amélie L’Heureux, conseillère principale et directrice des études chez
Épisode. « Il demeure autour de 5 % à 6 %. Mais on voit que ces donateurs ont une meilleure compréhension de pourquoi ils donnent à la culture. On pense que c’est un des effets “positifs” de la pandémie. »
Exemple : plusieurs répondants ont l’impression d’avoir déjà « donné » aux arts en achetant des billets de spectacles ou des produits culturels. Ils étaient 23 % à le penser dans la plus récente étude. « Bonne nouvelle, lit-on, cette considération a connu une baisse significative depuis 2020, alors qu’elle avait été invoquée à hauteur de 31 %. »
Ce sont les répondants matures (79 ans et plus) qui donnent davantage aux arts et à la culture, dirigeant là 8 % de leurs dons. Ensuite, saut de génération : les X forment le deuxième groupe le plus sensible à cette catégorie, à laquelle ils octroient 6 % de leur charité.
D’abord, les abonnés
Pour Mme L’Heureux comme pour Mme Reid, le premier geste des organismes culturels qui désirent développer la philanthropie, c’est de se tourner vers les abonnés. « Ce sont ces spectateurs qui ont déjà un attachement très grand à un diffuseur culturel particulier », indique Mme L’Heureux.
Elle remarque également que plusieurs donateurs semblent un plus intéressés à contribuer en plus à l’accessibilité et à l’éducation aux arts. « Je crois que c’est la notion d’impact qui est ici en jeu ; le donateur cherche un impact, plus facile à sentir sur un groupe — la relève artistique, les nouveaux arrivants, les jeunes défavorisés qui n’ont pas accès aux arts… »
Wendy Reid n’est pas tout à fait d’accord avec cette vision. « La base de l’engagement en philanthropie culturelle, c’est la passion pour les arts », estime la professeure retraitée. « Les gens qui deviennent donateurs, petits ou grands, sont motivés par cette passion, et par le désir de s’impliquer dans une organisation qu’ils aiment. »
« Vrai qu’il est bon, pour un organisme culturel, d’avoir un pro de philanthropie avec qui travailler avec nous, parce que c’est un domaine très technique », enchaîne Mme Reid. « Mais la philanthropie implique absolument tout le monde dans une compagnie artistique. Ce n’est pas comme le marketing, qu’on peut confier à une seule personne. Il faut un engagement des directeurs artistiques, des artistes, des gens des communications, de toute l’équipe, pour impliquer les donateurs au sein même de la vision et de la création. Ça demande beaucoup d’humanité », conclut la spécialiste.