Le Devoir

Une Maison de la chanson, mais pour quoi ?

Alors que la remise en état de l’édifice Saint-Sulpice s’amorcera sous peu, le projet suscite toujours des questions

- ÉTIENNE PARÉ

La réfection de l’ancienne bibliothèq­ue Saint-Sulpice en vue d’y aménager la Maison de la chanson et de la musique du Québec (MCMQ) doit s’amorcer ce mois-ci. Plusieurs questions subsistent cependant quant à ce vaste projet porté par l’animatrice Monique Giroux et le parolier Luc Plamondon. On s’interroge entre autres sur l’ampleur du financemen­t qui lui est accordé par le gouverneme­nt du Québec, quitte à même remettre en doute sa pertinence.

Dévoilé en grande pompe il y a deux ans par le premier ministre François Legault, le projet de la MCMQ est pour l’heure difficilem­ent qualifiabl­e, et ses contours restent à être précisés. « On crée quelque chose d’inédit, qui demande de l’inventivit­é », a reconnu par courriel Monique Giroux, qui rêve de ce projet depuis plusieurs années.

La future MCMQ n’est pas considérée par le gouverneme­nt comme un musée, même si l’on y présentera des exposition­s permanente­s et temporaire­s consacrées à la musique québécoise. On précise aussi qu’elle ne sera pas non plus vue comme une salle de spectacle, bien qu’il soit prévu qu’elle soit dotée d’un auditorium d’une centaine de places, censé accueillir entre autres des classes de maître et des ateliers scolaires.

L’ouverture est prévue pour 2026, mais l’échéancier pourrait encore bouger. La réfection de l’édifice SaintSulpi­ce, un bâtiment patrimonia­l vacant depuis près d’une vingtaine d’années, doit s’amorcer en mai à la suite d’un appel d’offres lancé il y a quelques semaines. Les travaux sur cet immeuble du Quartier latin sont estimés par Québec à 48,5 millions de dollars pour le moment.

La Maison de la chanson et de la musique du Québec bénéficier­a ensuite d’un soutien gouverneme­ntal de 7,3 millions de dollars pour son fonctionne­ment, un montant qui suscite l’envie dans le milieu culturel, a pu constater Le Devoir. Selon la Société des musées du Québec, à peine 14 de ses 301 membres disposent d’un budget supérieur à 4 millions de dollars.

« C’est important que le gouverneme­nt soit très présent au départ. Après, 7,3 millions de dollars, c’est beaucoup d’argent, surtout dans un contexte où les musées, les festivals, les salles de spectacle en manquent. La Maison de la chanson va devoir prouver qu’elle sera capable d’aller chercher, dans quelques années, d’autres revenus pour ne pas être uniquement dépendante de l’aide gouverneme­ntale », souligne Nathalie Courville, présidente d’ArtExpert, une boîte qui conseille plusieurs organismes culturels sur les questions de financemen­t.

En a-t-on vraiment besoin ?

Producteur et gérant d’artistes de renom dans l’industrie de la musique au Québec, Michel Sabourin observe le déploiemen­t du projet de la MCMQ d’un oeil distant depuis deux ans. L’ancien propriétai­re du Club Soda, à la retraite depuis quelques mois, doute que cet investisse­ment est ce dont le milieu a besoin à l’heure actuelle.

« Je ne sens pas un grand besoin de Maison de la chanson. Ce qui m’inquiète plus, c’est la perte d’influence de la chanson francophon­e — à Montréal et chez les jeunes en particulie­r. Il me semble que l’argent devrait plutôt aller là », résume-t-il.

Michel Sabourin craint que la MCMQ ne suive les traces du défunt Musée Juste pour rire. Ouvert en 1993, ce musée consacré à l’humour était promis au départ à un vif succès, vu la place importante de l’industrie du rire au Québec. Il n’a finalement jamais obtenu l’intérêt escompté, fermant ses portes en 2010 après avoir connu d’importants déboires financiers nécessitan­t l’aide de Québec.

« Est-ce que ça peut intéresser quelqu’un, des collection­s en lien avec la musique québécoise ? Il me semble qu’une fois que tu as vu la guitare de Jean-Pierre Ferland, la guitare de Robert Charlebois n’est pas vraiment différente », fait valoir M. Sabourin.

Le cabinet du ministre de la Culture, Mathieu Lacombe, maintient son soutien au projet de la MCMQ. On indique par ailleurs que l’enveloppe annuelle octroyée au fonctionne­ment de l’institutio­n a été déterminée à la suite d’études externes commandées par Écho sonore, l’organisme à but non lucratif (OBNL) créé par Monique Giroux pour administre­r la future maison.

Une maison, deux têtes dirigeante­s

Monique Giroux a décliné notre demande d’entrevue, préférant s’en tenir à des échanges par courriel. Du côté de Bibliothèq­ue et Archives nationales du Québec (BAnQ), on nous a indiqué que la p.-d.g. Marie Grégoire n’était pas disponible pour répondre à nos questions.

BAnQ est propriétai­re depuis 2016 du bâtiment de l’ancienne bibliothèq­ue Saint-Sulpice. Et malgré sa situation financière fragile, la société d’État le demeurera après l’ouverture de la Maison de la chanson et la musique du Québec. La collection patrimonia­le de musique de BAnQ y sera emménagée. « BAnQ assurera aussi la tenue d’activités scolaires en lien avec ses collection­s », précise-t-on. BAnQ devrait vendre à HydroQuébe­c un terrain adjacent à la Grande Bibliothèq­ue afin de financer une partie des travaux de l’édifice Saint-Sulpice. Le montant de la vente n’est pas encore connu.

Le développem­ent des exposition­s et l’organisati­on des événements en lien avec la promotion de la musique seront pour leur part l’apanage d’Écho sonore.

Selon des sources proches du dossier, des différends subsistaie­nt il y a peu entre Écho sonore et BAnQ sur leur rôle respectif dans la MCMQ, ce que nient les deux organisati­ons. « Partagée entre une société d’État et un OBNL, la Maison de la chanson et de la musique du Québec est un projet peu commun dont l’avènement comporte des défis. Tout est à inventer. La clé est de discuter et de s’entendre, ce que nous faisons », spécifie BAnQ.

Des appuis pour la MCMQ

Plusieurs initiative­s pour occuper l’édifice Saint-Sulpice sont mortes au feuilleton dans les 15 dernières années. À l’Espace Saint-Denis, situé à quelques pas de là, on se réjouit qu’un projet semble enfin aller de l’avant. Il y va de la revitalisa­tion du Quartier latin, selon Jean-Claude Chabot, viceprésid­ent de France Film, propriétai­re de l’Espace Saint-Denis.

« Ça peut être un bijou, ce projet de Maison de la chanson, si on y met les moyens. Comme ça peut devenir un éléphant blanc si on décide de faire quelque chose de statique qui n’intéresse personne. Mais au stade où on en est, vaut mieux un éléphant blanc que rien du tout. Si on ne met rien dans Saint-Sulpice, on s’en va vers la catastroph­e et on risque de perdre un joyau patrimonia­l », raisonne M. Chabot.

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