Le Devoir et Christian Rioux blâmés par le Conseil de presse
Le Conseil de presse du Québec (CPQ) blâme Le Devoir et son chroniqueur Christian Rioux, jugeant que ce dernier a fait preuve de « discrimination entretenant les préjugés » sur les jeunes des banlieues françaises issus de l’immigration, dans l’une de ses chroniques. Le tribunal d’honneur des médias rejette par contre le grief « d’information inexacte » du plaignant.
La chronique Solitude française, publiée le 14 juillet 2023, revenait sur le climat tendu dans l’Hexagone après la mort de Nahel Merzouk, un Franco-Algérien de 17 ans tiré à bout portant par un policier lors d’un contrôle routier le 27 juin 2023. Cet événement a conduit à plusieurs nuits d’émeutes, qui ont nécessité une forte mobilisation des forces de l’ordre afin de contenir les violences.
Dans sa plainte envoyée au CPQ, François Gosselin Couillard reproche à Christian Rioux de faire preuve de discrimination envers les jeunes des banlieues issus de l’immigration arabo-musulmane. Selon lui, le chroniqueur entretient des préjugés en faisant un « amalgame absurde entre des attentats terroristes islamistes et des émeutes ».
Il fait ici référence à ce passage : « En 2015, les djihadistes s’en étaient pris aux symboles mêmes de la civilité française en assassinant de simples Français attablés aux terrasses des cafés. Les dizaines de milliers de vandales qui ont enflammé les banlieues il y a deux semaines à peine ont eux aussi visé la France au coeur en prenant pour cible les symboles mêmes de l’État et de son idéal social : des écoles, des bibliothèques, des garderies… »
Après analyse, le CPQ lui a donné raison. « Le chroniqueur met sur un pied d’égalité des terroristes qui ont tué 130 personnes et des jeunes des banlieues qui ont causé des dommages matériels qui n’ont aucune commune mesure avec le terrorisme islamiste. Le chroniqueur aurait dû s’abstenir d’utiliser des termes qui peuvent entretenir les préjugés en associant les Arabes et les musulmans à des terroristes », peut-on lire dans la décision rendue publique jeudi.
Manque de prudence
Le plaignant a pointé du doigt un autre passage, dans lequel il estime cette fois que le chroniqueur se base sur la couleur de la peau des gens pour pouvoir évaluer leur légitimité ou leur illégitimité. « Comme si tous les Français n’avaient pas constaté de visu que ces émeutes étaient, pour l’essentiel, le fait de populations issues de l’immigration, peu importe qu’elles soient de la première, de la deuxième ou de la troisième génération », avait écrit Christian Rioux.
« M. Rioux exclut arbitrairement les émeutiers qui n’ont pas le bon teint de la nationalité française », insiste François Gosselin Couillard.
À la majorité — cinq sur six —, le CPQ est arrivé à la conclusion que « le chroniqueur a manqué à son devoir de prudence en n’évitant pas les préjugés ». « En utilisant l’expression “de visu”, le chroniqueur attribue l’origine des émeutes à un groupe défini d’habitants des banlieues : ceux de minorités visibles issus de l’immigration. De plus, il sépare dans cette phrase les “Français” des “populations issues de l’immigration” […] comme si les personnes issues de l’immigration, même de troisième génération, n’étaient pas de vrais Français. »
Dans les deux exemples cités, le CPQ ne va par contre pas aussi loin que le plaignant, qui voyait dans les mots utilisés un appel à la haine et au mépris qui « encourage les gens à avoir peur des personnes arabes ».
Information exacte
Le troisième grief, portant sur la présence « d’information inexacte », a par ailleurs été rejeté par le CPQ. Le plaignant considérait qu’il était faux de dire « que les quartiers populaires ont été inondés de généreux subsides de l’État », avançant « que l’État français ait investi dans les banlieues ne signifie pas que cet argent répondait aux besoins en quantité suffisante ». Or, M. Rioux ne fait que rappeler que des « milliards » ont été investis dans les banlieues, sans émettre de jugement sur l’intérêt ou le résultat de cet investissement, fait valoir le tribunal d’honneur des médias. « Bien que le plaignant soit en désaccord avec l’opinion du chroniqueur, le passage visé par la plainte ne comporte pas d’information inexacte. »
« Nous prenons acte de cette décision et nous l’analyserons à l’interne dans un souci d’amélioration continue de nos pratiques journalistiques », a commenté pour sa part la rédactrice en chef du Marie-Andrée Chouinard.