Le Devoir

La nazificati­on d’Israël

- CHRISTIAN RIOUX

L’humour peut-il être ignoble et drôle tout à la fois ? Je l’avoue, il est arrivé que des humoristes qui flirtaient avec l’abject me fassent rire. Comme il m’est arrivé de m’ennuyer avec d’autres trop bien intentionn­és. C’est tout le mystère de l’humour. Et c’est toute l’ambiguïté de cette blague qui, cette semaine, a coûté son poste au comique de France Inter Guillaume Meurice, qui avait qualifié le premier ministre israélien, Benjamin Nétanyahou, d’une « sorte de nazi mais sans prépuce ».

Peut-on en rire sans pour autant adhérer à cette infamie sans nom qui consiste à nazifier le peuple de la Shoah ? L’idée n’est pas nouvelle. Quelle jouissance de démasquer le loup déguisé en mère-grand et de dire à la victime qu’elle est devenue semblable à son bourreau. Comme le disait le philosophe Michel Eltchanino­ff, rien de tel que de peindre les Israéliens en nazis pour « se libérer de la culpabilit­é d’une des plus grandes tragédies de l’histoire récente : le génocide des Juifs d’Europe » qui, à de très rares exceptions, n’a jamais été reconnu dans le monde arabo-musulman.

Ce n’est évidemment pas parce qu’on appartient à une droite dure, comme Nétanyahou, et qu’on s’est allié par pur opportunis­me politique à des partis extrémiste­s qui sont la honte d’Israël qu’on est un nazi et qu’on prépare un génocide. Génocide dont on attend encore la preuve sonnante et trébuchant­e. Les deux millions de citoyens d’origine arabe qui vivent librement en Israël étant la preuve éclatante du contraire.

Les slogans entendus ces jours-ci sur les campus américains, français et canadiens n’en finissent pourtant pas de nazifier Israël, quand ils n’expriment pas parfois un antisémiti­sme flagrant. Ainsi en est-il du mantra « from the river to the sea » (« du fleuve à la mer »), dont l’origine n’évoque rien de moins qu’une Palestine où Israël aurait été rayé de la carte. Faudrait-il, pour soutenir le peuple palestinie­n — qui mérite toute notre compassion, répétons-le —, aller jusqu’à qualifier le pogrom du 7 octobre d’acte de résistance ? Ou en taire l’horreur absolue, ce qui revient au même ?

On peut certes comprendre le désir d’une génération élevée en banlieue, dans un moralisme souvent étouffant, de se rejouer la grande épopée de l’opposition à la guerre du Vietnam. « En 67 tout était beau, c’était l’année de l’amour », disait la chanson.

Un demi-siècle plus tard, la mythologie a pourtant pris quelques rides. Si la libération du Vietnam méritait le soutien de tous, il n’en allait pas de même des ViêtCong et de leurs alliés communiste­s, dont le véritable visage nous a été révélé quelques années plus tard par les multiples vagues de boat people et le génocide des Khmers rouges au Cambodge. Un vrai, celui-là, puisqu’il fit 1,7 million de morts.

Un demi-siècle plus tard, malgré l’émotion légitime, c’est pourtant la même naïveté béate qui s’exprime à l’égard du Hamas, dont l’objectif avoué n’est pas de créer un État palestinie­n, mais de rétablir le califat en Palestine. Et pour cela, d’en finir avec l’État d’Israël. Serait-ce trahir « la cause » ou « faire le jeu de l’ennemi » que de rappeler à ces militants LGBTQ+ et autres « Queers for Palestine » le destin que leur réserverai­t la charia advenant une victoire du Hamas ? Quant à celles qui hurlent leur colère souvent légitime contre Israël, savent-elles le sort qu’on réserve aux femmes dans ces théocratie­s ?

C’est Raymond Aron qui disait que « les hommes font l’histoire, mais ils ne savent pas l’histoire qu’ils font ». Cette naïveté criminelle fait étrangemen­t penser à celle de cette gauche française qui, derrière Jean-Paul Sartre et Michel Foucault, n’avait dans les années 1970 que des mots doux à l’égard de l’ayatollah Khomeini, réfugié dans le petit village de Neauphle-le-Château. Parlez-en à cette jeunesse d’extrême gauche très active à l’époque dans les université­s iraniennes, et qui sera littéralem­ent exterminée après la révolution de 1979.

Si on a raison de dénoncer le cul-de-sac politique que représente Nétanyahou, l’émotion légitime que suscitent les souffrance­s des Palestinie­ns ne saurait justifier la moindre concession à une organisati­on qui, en islamisant la cause des Palestinie­ns au profit d’un pur délire religieux, signe pour ces derniers la plus terrible des défaites. « Ce que cherchait le Hamas, écrit l’ancien ambassadeu­r de France à Tel-Aviv Gérard Araud, c’est de commettre des atrocités qui rendent tout compromis inacceptab­le. Je crains qu’il n’ait réussi… »

Impossible d’écrire cette semaine sans lever bien haut son chapeau à un homme sans lequel nous ne serions pas ce que nous sommes. Bernard Pivot n’a pas été seulement le représenta­nt de cet art de la conversati­on à la française. Il fit renaître en les transposan­t au petit écran ces salons littéraire­s la plupart du temps animés par des femmes qui rythmaient la vie intellectu­elle française depuis le XVIe siècle.

Plus encore, il aura été l’éminent symbole de cette ère démocratiq­ue aujourd’hui révolue, où la télévision (avec l’école) consacra ses efforts à faire communier le plus grand nombre aux grandes oeuvres de la littératur­e. Une ère où l’on pouvait encore goûter des échanges civilisés, peu importe leur appartenan­ce politique, entre Jean d’Ormesson et Philippe Sollers, Alexandre Soljenitsy­ne et Jean Daniel, Jacques Godbout et Pierre Falardeau.

Souhaitons seulement qu’il n’ait pas été le dernier représenta­nt de cette noble idée.

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