Le Devoir

Pas de pression politique à Québec, selon Charette

L’opposition lui enjoint d’écouter la science avant de développer de nouvelles étendues

- SARAH R. CHAMPAGNE, FRANÇOIS CARABIN ET ALEXANDRE ROBILLARD LE DEVOIR

En réponse à l’alerte lancée par des scientifiq­ues, le ministre de l’Environnem­ent, Benoit Charette, assure que le développem­ent des terres agricoles du Québec ne se fera pas sans prendre en compte la piètre santé des cours d’eau. L’opposition l’a quant à elle sommé d’écouter l’expertise de son propre ministère, alors que les rivières en milieu agricole sont toujours très mal en point.

Le Devoir révélait jeudi matin que des fonctionna­ires du ministère de l’Environnem­ent sont sous pression politique pour moderniser le Règlement sur les exploitati­ons agricoles (REA), qui prescrit depuis 2004 un moratoire sur le développem­ent agricole dans les zones aux eaux trop polluées. Ces scientifiq­ues déplorent devoir se plier aux « commandes des autorités » pour ouvrir des terres agricoles, comme il est écrit noir sur blanc dans des documents internes que nous avons consultés.

Les données scientifiq­ues montrent que les rivières des bassins versants sous le moratoire à être levé sont encore très dégradées malgré 20 ans de pause, plaident-ils. Il faudrait même plutôt ajouter certaines zones où les plans d’eau vont de mal en pis.

En mêlée de presse, le ministre Charette n’a pas démenti vouloir le retrait du moratoire, mais il se défend que ce geste soit posé au détriment de l’environnem­ent. « D’aucune façon on ne veut alléger les exigences environnem­entales, a-t-il répété. Ce qu’on a pris comme engagement auprès des producteur­s agricoles est d’alléger le fardeau administra­tif. »

« Le ministère de l’Agricultur­e nous a demandé d’envisager quelques modificati­ons. Nous, on les évalue », a-t-il répondu lorsqu’on lui a demandé si les fonctionna­ires sont en accord avec ces changement­s. Il a ensuite promis que les modificati­ons qui seront proposées feront « l’objet de consultati­ons ».

Réactions politiques

« Il semble y avoir une tendance inquiétant­e vers la pression politique, on l’a vu dans le dossier de Northvolt », a noté d’emblée Virginie Dufour, porteparol­e de l’opposition officielle sur les questions d’environnem­ent. « Les fonctionna­ires devraient pouvoir avoir leur indépendan­ce et ça m’inquiète beaucoup », a fait savoir la députée libérale. Elle a aussi affirmé que les agriculteu­rs « n’ont pas le soutien nécessaire », que le « fardeau » ne peut pas être seulement sur leurs épaules.

Un fonctionna­ire du ministère de l’Environnem­ent qui avait dénoncé des pressions politiques dans le dossier de Northvolt, Ghislain Côté, a démissionn­é en avril dernier. Dans une lettre interne, il déplorait que l’autorisati­on accordée par le ministère à Northvolt de détruire des dizaines de milieux humides soit une « commande gouverneme­ntale ».

« Je pense qu’il faut laisser les gens au sein du ministère de l’Environnem­ent faire leur travail d’évaluer les impacts environnem­entaux sans pression d’autres collègues ou d’autres forces », a quant à elle affirmé l’élue solidaire Alejandra Zaga Mendez, aussi porte-parole de son parti en la matière. Elle a également souligné qu’il faut « couper le mal à la racine », puisque le territoire agricole est sous différente­s pressions, notamment spéculativ­es : « Si on fait pression sur ce type de terres agricoles, c’est parce qu’ailleurs on est en train de gruger les terres. »

Le ministre Charette est le « vassal du ministre de l’Économie », a clamé Joël Arseneau, porte-parole du Parti québécois en environnem­ent. Il n’a pas encore « prouvé » sa volonté de « se faire le chien de garde de l’environnem­ent au Québec », a-t-il poursuivi. « Je dis au ministre : il faut faire votre travail afin de protéger l’environnem­ent, mais écoutez la science au départ. »

À la défense des agriculteu­rs

Le ministre de l’Agricultur­e, André Lamontagne, a quant à lui dit être plutôt à la recherche de « voies » pour que des agriculteu­rs aux pratiques exemplaire­s puissent « avoir le droit d’accroître leur culture ». « On a des agriculteu­rs, vraiment, qui ont mis en place des façons de travailler qui sont exceptionn­elles, qui sont bénéfiques et qui rencontren­t les objectifs fixés par le Plan d’agricultur­e durable », le PAD, a-t-il exposé.

Lancé en 2020, ce plan a notamment pour objectif de doubler les superficie­s agricoles aménagées, comme les bandes riveraines. Ces espaces tampons de trois mètres entre des champs en culture et des cours d’eau servent à filtrer ce qui est rejeté et sont favorables à la biodiversi­té. Or, ces bandes riveraines sont peu respectées dans le milieu agricole, faute de compensati­on financière et de surveillan­ce.

« Si on n’a pas été capable depuis plus de 20 ans d’instaurer les bandes riveraines, comment le fera-t-on dans les prochaines années ? » résumait l’une de nos sources au sein du ministère de l’Environnem­ent, qui a demandé à conserver l’anonymat par crainte de perdre son emploi. Les ventes de pesticides au Québec s’éloignent aussi de plus en plus du but cité dans le PAD, comme le démontre le plus récent bilan.

Quant aux bassins versants répertorié­s comme dégradés en 2004, aucun de ces endroits n’est redescendu sous le seuil fixé par Québec en 20 ans. Dans les bassins versants de petite et de moyenne taille, la situation s’est même plutôt envenimée, expliquait le professeur Stéphane Campeau au Devoir.

Ce qu’on a pris comme engagement auprès des producteur­s agricoles est d’alléger le fardeau administra­tif »

BENOIT CHARETTE

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