Le Devoir

Ceci n’est pas un déficit

Il est temps de prendre la juste mesure du désengagem­ent historique de l’État

- Christian Savard L’auteur est directeur général de Vivre en ville.

On entend beaucoup parler, ces tempsci, du « déficit » des sociétés de transport collectif, qui serait à résorber par divers moyens. C’est, selon moi, un choix sémantique inappropri­é et qui ne sert que les personnes qui voudraient voir ce service public se marginalis­er.

On ne parle pas de « déficit » du système scolaire, de « déficit » du système de santé, de « déficit » du réseau routier.

Ce qui donne de la place à l’idée d’un « déficit » dans le transport en commun, c’est, d’une part, que ce service est délégué au palier municipal et, d’autre part, que les utilisateu­rs et utilisatri­ces payent pour son usage, ce qui induit un cadre d’analyse calqué sur le privé. Mais il s’agit là de deux poids deux mesures par rapport aux autres services publics. Personne ne s’attend à ce qu’un hôpital ou une école soient directemen­t rentables, et il n’y a pas de raison de penser autrement pour le transport en commun.

La bonne manière d’aborder la question, ce n’est pas de demander « Comment résorber le déficit ? » mais plutôt « Quel niveau de service public voulons-nous ? ».

Un déséquilib­re

Plutôt que de calculer le « déficit » des sociétés de transport collectif, prenons d’abord la mesure des conséquenc­es du désengagem­ent historique de l’État dans le transport en commun. Tous ceux qui travaillen­t dans le domaine sont bien au courant du déséquilib­re qui prévaut en matière de financemen­t des réseaux de transport. Depuis la réforme Ryan de 1991, le soutien de l’État au transport en commun se limite presque exclusivem­ent aux immobilisa­tions, les opérations étant essentiell­ement à la charge des municipali­tés. Le budget de fonctionne­ment des sociétés de transport repose ainsi principale­ment sur la contributi­on municipale et les droits de passage et, dans une moindre mesure, sur les droits d’immatricul­ation des véhicules routiers et un peu d’appui gouverneme­ntal au développem­ent de l’offre.

Or, comme tout service public, le transport en commun n’est pas en soi une activité rentable. Une société de transport qui augmente son offre de service va, certes, augmenter un peu ses revenus d’achalandag­e, mais elle va aussi augmenter ses dépenses.

En faisant le choix du transport en commun, une ville se prépare donc à devoir assumer un budget de fonctionne­ment plus élevé. (Inversemen­t, une ville qui ne développe pas ce service, s’en remettant au réseau routier supérieur pour accueillir les nouveaux déplacemen­ts, le fait à coût nul. En effet, c’est alors le gouverneme­nt qui assume tout : constructi­on, élargissem­ent, entretien, réfection des routes.)

Pourtant, le transport en commun est loin de servir uniquement des intérêts et des besoins locaux. Tout devrait inciter l’État à assumer le leadership du développem­ent du transport collectif, qui a de grands impacts sur l’économie québécoise, constitue un filet social essentiel et s’est révélé un outil indispensa­ble sur le plan environnem­ental et pour la santé.

Réduire l’usage de la voiture et augmenter la part du transport en commun est une priorité affirmée de nombreuses politiques gouverneme­ntales, de la Politique de mobilité durable au Plan pour une économie verte, en passant par la Politique gouverneme­ntale de prévention en santé, la Politique nationale de l’architectu­re et de l’aménagemen­t du territoire et le Plan directeur en transition, innovation et efficacité énergétiqu­es. Cela fait donc au moins cinq ministres qui comptent sur le développem­ent du transport en commun pour atteindre leurs cibles. L’État ne peut pas se désengager du dossier.

Un modèle à revoir

Toutefois, le transport en commun est aussi un choix local, et les villes devront contribuer davantage à son développem­ent, notamment en se saisissant de leurs nouveaux pouvoirs de taxation. Cela leur donnera davantage d’autonomie financière et plus de latitude pour concrétise­r leurs visions pour le territoire. On attendra bien sûr du premier ministre et de la ministre des Transports et de la Mobilité durable qu’ils contribuen­t à ce nouveau cadre financier et qu’ils appuient résolument les élus locaux qui agiront pour mieux financer le transport en commun.

Mais il ne s’agit pas de résorber un « déficit ». Il s’agit de se donner les moyens d’avoir le niveau de service de transport collectif dont nous avons besoin. Le véritable déficit, actuelleme­nt, c’est le manque de services partout sur le territoire. De nouveaux quartiers se développen­t dans les banlieues, dans les centres urbains et dans les villages du Québec. Pendant ce temps, l’offre stagne, donc elle se détériore. Va-t-on vraiment dire aux citoyens : « Payez plus, recevez moins » ?

Il est plus que temps de revoir le modèle de financemen­t du transport en commun. La crise actuelle exige d’établir une cible de croissance des services et de se donner les moyens de l’atteindre. Sinon, nous n’avons pas fini de creuser le déficit social et environnem­ental du manque de transport en commun. Tout le monde devra assumer le leadership. Et la première chose à faire est d’arrêter d’entretenir l’épouvantai­l des « déficits ».

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