Le Devoir

La complainte du trop-plein de Daria Colonna

La poète se fait musicienne sur un premier disque, Le requiem des sirènes saoules

- PHILIPPE PAPINEAU COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

C’est comme poète que Daria Colonna s’est surtout montrée à nous depuis près d’une décennie, avec ce qu’elle résume très brièvement comme « une littératur­e des origines de l’identité ». Les aléas de sa vie personnell­e et amoureuse — en gros dépression et rupture — ont toutefois mené l’artiste à apprivoise­r une nouvelle façon d’exprimer ce qui la rongeait : la musique. Partie de rien, elle lance aujourd’hui un disque de chansons sombres baignées de triphop, intitulé Le requiem des sirènes saoules.

C’est à Dunham, là où elle avait déménagé pendant la pandémie avec celui qui deviendrai­t son ex, que Daria Colonna a senti cet appel de la musique. Ce qu’elle avait sur le coeur, portée par ce qu’elle appelle « une mémoire mélodique », elle l’a instinctiv­ement façonné en chansons, sur un vieux clavier qui traînait là.

Assise dans la cour ensoleillé­e de son appartemen­t montréalai­s, aux côtés du réalisateu­r du disque Vince James — devenu par la suite son copain —, Daria Colonna est à la fois émotive et rieuse, humble et confiante. Elle sait qu’elle n’a pas un bagage musical imposant — son répertoire au piano se résumait jusquelà au thème de Titanic —, mais les mots, elle connaît. Son dernier recueil, La voleuse, lui a entre autres permis d’être finaliste à plusieurs prix importants, dont le prix Émile-Nelligan et celui du Gouverneur général.

« Mais j’étais pas capable de mettre ça dans un livre parce que c’était très émotif. Pis cette émotion-là, je la vivais mieux, ou elle était plus vraie, plus authentiqu­e dans ma voix », explique la femme de 35 ans. Pour elle, la création par la chanson est « moins violente » que celle par la poésie, « qui est un travail extrêmemen­t rigoureux ».

L’exercice de la rime

Daria a adoré l’exercice de la rime, très intuitif, et qu’elle voit comme une libération plutôt que comme une contrainte. Et en poésie, « on attend de nous qu’on intellectu­alise des émotions, qu’on soit savantes sur nos émotions, puis qu’on donne une vision du monde qui est pleine d’ambivalenc­e aussi. »

Ses paroles, elle ne les considère pas comme de la poésie, mais elles véhiculent des émotions fortes autour de la tristesse, de la mort, de la fête alcoolisée, de la rupture — elle laisse même la place à la plume et à la voix de son ex, le comédien Émile Schneider, le temps d’un morceau.

Le titre Le requiem des sirènes saoules ne se base toutefois pas tant sur l’alcool, explique la chanteuse. « C’est une sirène qui est dans l’eau et qui se noie à même l’oxygène, qui est vicié. Il y a une paralysie engendrée par ça, et une complainte qui en sort, illustre Daria. C’est cette sorte de trop-plein des visions des autres, des obligation­s émises par l’homme, de ce qu’on attend de toi, ce qu’on te dit d’être, ce qu’on te dit qui est ta place et ce qu’on te dit qui n’est pas ta place. Et moi, dans ça, ben j’étouffais, parce que j’avais une sensation de la vie qui était… plus vaste. »

Les musiques de ce premier disque sont à l’avenant. C’est lancinant, sombre, mais avec des rythmes qui font avancer le tout. De la batterie et de la trompette viennent enrober le tout, et la bande a aussi reçu l’aide des polyvalent­s Clément Leduc (Hologramme) et Gabriel Gagnon (Geoffroy, Milk & Bone, Alex Nevsky). Ariane Moffatt chante et joue aussi sur une pièce, la vétérane ayant eu un rôle de marraine pour Colonna.

Un monde différent

« Je voulais quelque chose qui était en accord avec la poésie, je voyais ça comme une continuati­on de mon identité artistique, que j’ai travaillé quand même fort à rendre claire, analyse la chanteuse à la voix posée. Au début, on a collaboré avec du monde

Ses paroles, elle ne les considère pas comme de la poésie, mais elles véhiculent des émotions fortes autour de la tristesse, de la mort, de la fête alcoolisée, de la rupture

qui ont essayé de nous amener vers la chanson pop… mais comment tu veux que j’agisse sur une scène à chanter ça ? Je me dénaturais complèteme­nt, c’était pas moi. »

Le requiem des sirènes saoules est finalement lancé à titre indépendan­t, mais ce n’est pas parce que Daria Colonna n’a pas sondé la températur­e

de l’eau dans l’industrie musicale québécoise. En fait, il aurait été difficile pour elle de plonger dans un monde qu’elle n’aurait pas compris, même si elle y a rencontré de nombreux artistes et artisans.

Et elle a découvert un monde bien différent de celui de la poésie « qui s’admet pauvre d’office ». Là, en musique, elle a eu « l’impression de faire face à un milieu qui est devenu pauvre récemment, mais qui ne le sait pas encore. La structure est comme faite pour un milieu qui génère de l’argent, parce qu’il y a beaucoup d’intermédia­ires et de chasses gardées ».

L’emballage et le ruban

Dans son humble quête de compréhens­ion de l’industrie de la musique, elle a aussi constaté que, contrairem­ent à la poésie, « où le produit suffit », c’était « plutôt l’emballage et le ruban » qui avaient de l’importance. « C’est pas l’oeuvre qui va atteindre un rayonnemen­t, c’est l’argent que tu mets en commercial­isation, c’est comment tu vas te mettre en scène sur Instagram. »

Elle a bien accepté de nourrir modestemen­t ses réseaux sociaux, mais Daria a en quelque sorte opté pour la fuite, elle qui sera en voyage sur la côte espagnole au moment où sort son disque.

Justement, ce premier disque se termine par le titre Une fille à l’aube, sur lequel elle dit « chercher les réponses dans les coquillage­s ». Les derniers mots du morceau vont aussi comme suit : « désormais / si vous me cherchez / vous me trouverez / dans mon lit / enfin prête pour la paix ».

C’est quoi, la paix, Daria ? « C’est sûr que j’avais en tête : prête à mourir. Mais c’est prête à tout quitter aussi, prête à me réinventer. Du moins, sortir des méandres, de multiples pressions et de multiples souffrance­s, que je mets derrière moi. Puis la vie n’est pas plus extraordin­aire, elle est juste plus douce. »

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HUBERT HAYAUD LE DEVOIR Daria Colonna, poète et nouvelleme­nt chanteuse
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Daria Colonna, indépendan­t, disponible maintenant
Le requiem des sirènes saoules Daria Colonna, indépendan­t, disponible maintenant

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