Le Devoir

Six millions au privé pour garnir des classes

Le CSS de Montréal a embauché des agences pour recruter des élèves

- MARIE-MICHÈLE SIOUI CORRESPOND­ANTE PARLEMENTA­IRE À QUÉBEC LE DEVOIR

Le Centre de services scolaire de Montréal (CSSDM) a payé plus de 6 millions de dollars à des partenaire­s privés, dans les cinq dernières années, afin qu’ils recrutent des élèves à l’étranger et au Québec pour ses programmes de formation profession­nelle.

Au total, 13 749 élèves (sur 111 000 dans tout le CSS) ont été ainsi recrutés pour des programmes destinés à former des travailleu­rs dans des secteurs affectés par la pénurie de main-d’oeuvre. Pour chacune de ces inscriptio­ns, des entreprise­s privées ont touché une commission équivalent­e à 15 % des coûts des formations.

Le Devoir a obtenu les montants des sommes versées à des partenaire­s de recrutemen­t par le truchement d’une demande d’accès à l’informatio­n. Dans celle-ci, le CSSDM sépare les contrats en deux appels d’offres et lie chacune des sommes à des « numéros de contrat », qui sont des codes alphanumér­iques. Le CSSDM n’a pas voulu fournir sa liste de ses partenaire­s recruteurs.

Le Devoir s’en est donc remis à une source, à des documents d’appels d’offres et à des procès-verbaux des rencontres du conseil exécutif et de la direction générale du CSSDM pour savoir quelles entreprise­s reçoivent des commission­s, et pourquoi.

Au cours des cinq dernières années, le CSSDM a versé 6,2 millions à ses partenaire­s. Le CSS assure que le recours à ces entreprise­s se fait à « coût nul ». « L’objectif de recourir à ces organismes est de permettre d’avoir suffisamme­nt d’élèves pour lancer des programmes de formation visant à répondre aux besoins de main-d’oeuvre au Québec. Ces organismes visent à rejoindre des clientèles difficilem­ent joignables pour nous », a écrit son service des relations médias au Devoir.

Le responsabl­e des relations de presse, Alain Perron, affirme que le CSSDM réévalue cette pratique. « Comme actuelleme­nt 73 % de nos élèves internatio­naux se sont inscrits au CSSDM sans passer par les partenaire­s recruteurs, une réflexion est en cours à ce sujet. Cette situation s’explique par la reprise importante de l’immigratio­n et les efforts fournis au Québec pour pallier la pénurie de main-d’oeuvre », souligne-t-il.

Pour la plupart, les dizaines de partenaire­s recruteurs du CSSDM sont de petits collèges privés, des écoles de langues ou des consultant­s en immigratio­n.

Maikel Pavel Rodriguez Sanchez, qui enseigne à temps partiel au CSS de la Pointe-de-l’Île, est l’un d’eux. Il est aussi propriétai­re du Collège ELC, une entreprise qui fait du recrutemen­t pour le CSSDM. « Pour la formation profession­nelle, la seule chose [qu’on fait], c’est qu’on réfère la personne. S’il y a quelqu’un qui s’intéresse aux programmes [du CSSDM], on le réfère. C’est tout », a-t-il résumé au Devoir. Pour cela, M. Sanchez touche une somme équivalent­e à environ 15 % du coût de la formation, à condition que les étudiants soient envoyés dans l’un des programmes ciblés par le CSSDM.

Azria Alon, directeur associé de l’entreprise New Life Internatio­nal, fait de son côté affaire avec le CSSDM, mais aussi avec les CSS de la Pointe-de-l’Île et Marguerite-Bourgeoys, dans l’arrondisse­ment montréalai­s de Saint-Laurent. Il a expliqué au Devoir qu’il recrutait des étudiants dans le « marché francophon­e » : en France, au Maroc, en Côte d’Ivoire ou au Cameroun, notamment. L’idée est de diriger les étudiants vers des formations profession­nelles conduisant à des « métiers en pénurie », a-t-il souligné.

Son entreprise accompagne les étudiants tout au long de leur formation. Elle touche de la part du CSSDM l’équivalent de 15 % du coût de la formation en divers versements, « au fur et à mesure » que les étudiants avancent dans leurs études. « Les Français ne paient pas de droits de scolarité » au Québec, a rappelé M. Alon. La commission est donc calculée sur la base des frais exigés aux étudiants internatio­naux qui ne sont pas Français, a-t-il précisé. Ces frais varient de quelques milliers à quelques dizaines de milliers de dollars. « Si un étudiant arrête la formation, on ne touche plus rien. Donc, notre intérêt, c’est que l’étudiant aille au bout », a indiqué M. Alon.

Les formations qui ne sont pas virtuelles sont plus populaires, selon ses observatio­ns, parce que les étudiants étrangers y trouvent « une voie d’accès à l’immigratio­n » par le truchement des permis de travail postdiplôm­e.

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