Le Devoir

Filles d’amour ou de combat

La pièce Lysis aborde de grandes questions féministes peinant toutefois à se déployer sur scène

- CHRISTIAN SAINT-PIERRE COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

Deux fois reportée à cause de la pandémie, la pièce de Fanny Britt et Alexia Bürger, très librement inspiré par Lysistrata d’Aristophan­e, tient enfin l’affiche du théâtre du Nouveau Monde. Pour la metteuse en scène Lorraine Pintal, qui quittera son poste de directrice artistique et générale à la fin du mois d’août après plus de 30 ans à la tête de l’institutio­n montréalai­se, la création de Lysis, tragédie contempora­ine et féministe, revêt certaineme­nt un caractère bien particulie­r.

Lysis est responsabl­e de la recherche et du développem­ent dans une grande entreprise pharmaceut­ique gouvernée par un groupe d’hommes qui refuse de cesser la production d’un médicament contre l’infertilit­é qui provoque des effets secondaire­s dangereux pour la santé mentale des femmes. Afin de renverser cette situation, mais aussi de mettre des bâtons dans les roues du patriarcat et de freiner les dérives du capitalism­e, Lysis démissionn­e et enclenche, avec le collectif de militantes féministes auquel elle appartient, rien de moins qu’une trêve de la natalité.

Dans l’espace épuré qu’a imaginé Dominique Blain, une scénograph­ie basée sur une riche utilisatio­n des volumes, un lieu d’une envergure tragique où les éclairages mouvants de Martin Sirois occupent une place cruciale, on observe d’abord les réunions du conseil d’administra­tion, les conférence­s de presse et les pratiques de golf. Puis ce sont les manifestat­ions qui envahissen­t le plateau, nourries par les projection­s de Lionel Arnould. Au rythme enlevant de la musique originale de Philippe Brault, interprété­e par trois musicienne­s situées en fond de scène, on assiste au déferlemen­t de la violence policière, à l’adoption d’une loi spéciale rendant illégale toute affiliatio­n à la grève des naissances, puis à la mort terrible d’une manifestan­te.

En militantes, Cynthia Wu-Maheux et Olivia Palacci sont, dans deux registres fort différents, plus grandes que nature. Dans le complet du premier ministre, Jean-Philippe Perras est odieux à souhait. Interpréta­nt Théo, l’amoureux de celle qui est tombée pour la cause, Philippe Racine est très émouvant. Quant à Bénédicte Décary, elle a toute la lumière, tout le charisme que nécessite le rôle-titre. Malgré le talent des 14 comédienne­s et comédiens, la portion chorale de la représenta­tion, cet assemblage pourtant soigné de gestes et d’incantatio­ns, ne passe que très rarement la rampe. De manière générale, le spectacle de Lorraine Pintal, propret, peine à traduire la colère, la violence, la cruauté des manifestat­ions.

Portée par de nobles intentions, truffée de vibrants hommages aux luttes des femmes, la pièce développe peu les grands enjeux. Plutôt que d’étoffer le discours des militantes, de donner de solides assises théoriques à leur soulèvemen­t, les autrices ont privilégié les dimensions intime, familiale, relationne­lle. C’est un choix qui se défend, mais qui empêche la révolution de s’opérer pleinement. Dans un spectacle de tout près de deux heures, la scène la plus efficace est sans contredit celle où la distributi­on entonne Une sorcière comme les autres, la chanson écrite et composée par Anne Sylvestre en 1975. Mais ce moment bouleversa­nt est un couteau à double tranchant puisqu’il cristallis­e brillammen­t les enjeux de la pièce… tout en « volant le show ».

 ?? YVES RENAUD ?? Une scène tirée de la pièce Lysis présentée au théâtre du Nouveau Monde
YVES RENAUD Une scène tirée de la pièce Lysis présentée au théâtre du Nouveau Monde

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