Le Devoir

Batman à l’Expo

Le metteur en scène Bertrand Alain choisit un cadre original pour l’opérette La chauve-souris de Johann Strauss fils

- CHRISTOPHE HUSS LE DEVOIR

À compter de samedi soir, l’Opéra de Québec présente La chauve-souris de Johann Strauss fils pour quatre représenta­tions dans une production que Jean-François Lapointe, le directeur de l’institutio­n, a voulu entièremen­t québécoise, par ses créateurs, ses artisans et l’ensemble des artistes.

C’est à Bertrand Alain que JeanFranço­is Lapointe a fait appel pour cette Chauve-souris québécoise chantée en français et adaptée par Alain à partir de la version française de Meilhac et Halévy, « pour que les scènes parlées soient plus directes et l’humour plus efficace ». « Comme cela se fait souvent à l’opérette, on ajoute des sujets d’actualité », annonce le metteur en scène au Devoir.

Pow ! et Zap !

Le comédien, metteur en scène au théâtre et à l’opéra, enseignant à l’atelier lyrique du Conservato­ire de musique et d’art dramatique de Québec, qui avait mis en scène Don Giovanni en 2022, ne manque pas d’idées, et on se doutait un peu que la Vienne du dernier quart du XIXe siècle (l’oeuvre, qui incarne l’opérette viennoise à elle toute seule, date de 1874) ne serait pas forcément son cadre de travail. « J’ai vu beaucoup de production­s et je n’avais pas d’image ; je ne me rappelais pas vraiment pourquoi [ça s’appelait] La chauve-souris. Alors ça me prenait une image marquante. C’est là que j’ai eu l’idée de Batman, le Batman de ma petite enfance, celui de la série télévisée des années soixante, plus proche de la bande dessinée. »

L’histoire de La chauve-souris est celle d’une vengeance, celle d’un dénommé Falke, que son ami Eisenstein a jadis ridiculisé en l’obligeant à déambuler dans Vienne dans un costume de chauve-souris. L’action se passe alors qu’Eisenstein a été condamné à passer huit jours en prison. Falke survient et lui propose un petit détour préalable : la fête du prince Orlofsky, un dandy ennuyé. Le plan étant bien mitonné, se trouveront à cette fête la femme d’Eisenstein, Rosalinde, déguisée en comtesse hongroise ; la femme de chambre du couple, qui se fait passer pour une actrice, et le directeur de prison, qui n’y voit que du feu, puisqu’au domicile d’Eisenstein il a, par erreur, embarqué Alfred, le soupirant de Rosalinde, vêtu de la robe de chambre du maître de maison. La fête est un festival des faux-semblants et, à l’heure des comptes (acte III, à la prison), tous ces beaux menteurs auront une excuse : l’abus de champagne !

Alors, La chauve-souris en 2024 ? Comme l’écrit Bertrand Alain dans le programme de l’opéra : « Comment amener ce superhéros de mon enfance (celui de la série télé des années 1960 avec ses pow !, ses boom ! et ses zap !) dans cette intrigue du XIXe siècle ? » C’est là qu’Alain a remarqué que l’adaptation de Meilhac et Halevy se situait au moment de l’Exposition universell­e de Paris.

Nouvelles couleurs

« Je me suis mis à imaginer que cela pouvait se passer à l’Expo 67, au Québec, un souvenir très fort pour les gens d’ici, l’éveil du Québec, son ouverture au monde », nous dit Bertrand Alain. Cette époque « précède à peine Les belles-soeurs de Michel Tremblay, qui allait complèteme­nt changer le théâtre ; on est au début d‘un temps nouveau, comme le dit Stéphane Venne dans la chanson de Renée Claude. Je suis parti dans cette époque-là et j’ai retravaill­é le texte, y compris dans la partition, pour changer l’humour que l’on ne comprend plus aujourd’hui. L’opérette souffre mal le côté muséologiq­ue », analyse le metteur en scène et adaptateur qui promet que son spectacle « va laisser des images fortes aux spectateur­s ».

Sachant que la chauve-souris est dans le titre plus que dans l’action, un prologue « batmanien » introduira l’humiliatio­n de Falke et teintera le spectacle. L’époque des années 1960 se reflétera dans les décors, les costumes, l’éclairage. « L’image forte de cette époque, c’est cet optimisme. Le monde pouvait changer. Même l’architectu­re des pavillons de l’Expo a été une inspiratio­n pour les décors. Et au niveau costumes, dans les couleurs et les coupes, le vêtement change beaucoup dans ces années-là », nous dit Bertrand Alain, qui a voulu que le bal du prince Orlofsky ne soit pas plombé par « les allusions aux petites danseuses qui vont faire le grand écart pour ces messieurs ». « Notre bal sera sous les couleurs du cinéma », prévient-il.

Côté musique, rien à craindre : l’ouvrage est mitonné aux petits oignons avec un feu d’artifice de mélodies plus belles les unes que les autres et une orchestrat­ion d’une efficacité parfaite. Dans la fosse, Nicolas Ellis devrait prendre un malin plaisir à diriger son premier ouvrage lyrique à Québec.

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EMMANUEL BURRIEL Une scène de l’opéra La chauve-souris

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