Le Devoir

Face au risque de longévité, il faut travailler

- GÉRARD BÉRUBÉ

Pour reprendre une allégorie d’actuaires entendue ici et là, le travail devrait désormais être considéré comme le « quatrième pilier » du système de retraite au Canada. C’est d’autant plus vrai que le mythe voulant que le prix à payer soit une cession à l’impôt de la majorité du revenu supplément­aire a été déboulonné, aidé en cela par une fiscalité toujours plus accommodan­te. Face au risque de longévité, travailler peut être payant. Premier de deux textes.

Le projet du Conseil du patronat du Québec (CPQ) visant à inciter le maintien en emploi des travailleu­rs de 60 ans et plus, ou leur embauche, a reçu en février dernier l’appui du gouverneme­nt québécois sous la forme d’une subvention de près d’un million de dollars du ministère de l’Emploi. Lors de son lancement, en août 2022, le CPQ disait que le projet « visait à identifier et à développer des outils de rétention ou d’embauche des personnes de 60-69 ans ». Le thème de l’heure est passé de la retraite hâtive — dominant dans la conjonctur­e d’un chômage élevé — au travail tardif — dans un contexte de pénurie de main-d’oeuvre, a-t-on déjà illustré, avec des travailleu­rs dits expériment­és se retrouvant au coeur d’une grande séduction, aidés en cela par une fiscalité accommodan­te.

Payant de travailler à la retraite

Cette offensive auprès de cette cohorte s’appuie sur un environnem­ent fiscal favorable. On peut rappeler que la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke (CFFP) avait rendu publique au printemps 2021 une étude dans laquelle elle comparait 28 profils différents de contribuab­les touchant un salaire en plus d’un revenu de retraite. Dans 23 des 28 cas analysés, ces travailleu­rs expériment­és conservaie­nt dans leurs poches plus de 60 % des nouveaux revenus de travail, a-t-on pu lire.

La Chaire est revenue sur le thème en juillet 2022 avec l’analyse de huit profils. Même conclusion. « Dans tous les cas, les taux de conservati­on du revenu de travail sont supérieurs à 50 %. Pour les plus bas revenus et lorsque les ajouts de revenus de travail sont de 15 000 $ et moins (l’équivalent de 20 heures par semaine au salaire minimum), les taux de conservati­on varient entre 66 % et 73 %. » Pour une personne seule de 65 ans, ce taux passe de 73 % à 64 % et à

58 % si le revenu de travail est respective­ment de 10 000 $,

20 000 $ et 30 000 $. À plus sans cotisation au Régime des rentes du Québec (RRQ).

Dit autrement, le fameux taux effectif marginal d’imposition, ou TEMI, qui mesure la charge fiscale sur un revenu additionne­l en tenant compte également des incidences sur les mesures socio-fiscales, se situe de loin sous les 50 % dans la quasi-totalité des cas.

Lorsque comparés à la situation d’un ménage non retraité dont le conjoint décide d’aller chercher un revenu supplément­aire, pour un revenu de travail comparable au départ, « à l’exception des ménages à revenu élevé, les taux de conservati­on du revenu de travail sont toujours plus élevés pour les retraités […] Dans le cas des ménages à revenus élevés, c’est la récupérati­on de la Pension de sécurité de vieillesse (PSV) qui explique ces taux plus bas que ceux des travailleu­rs », ont écrit les auteurs Luc Godbout et Suzie St-Cerny.

Fiscalité évolutive

Cet environnem­ent fiscal incitatif a été évolutif. Pour la PSV comme pour le RRQ, on a assisté à l’introducti­on du mécanisme de report du début des prestation­s avec majoration de 65 à 70 ans. Pour le Supplément de revenu garanti, à une réduction moindre de la prestation dans le cas de revenu de travail.

Plus largement, on peut aussi penser à l’Allocation canadienne pour travailleu­rs au fédéral. Côté québécois, au crédit d’impôt remboursab­le ayant pour objectif de rendre l’effort de travail plus attrayant en compensant en partie la perte de la prime au travail et du crédit pour frais de garde d’enfants. Plus spécifique­ment, Québec propose le crédit d’impôt pour prolongati­on de carrière, un crédit d’impôt non remboursab­le visant à éliminer l’impôt à payer sur une partie du revenu de travail des travailleu­rs expériment­és afin de les inciter à demeurer ou à retourner sur le marché du travail.

Plus récemment, on a pu ajouter à la liste la baisse au Québec des taux d’imposition d’un point de pourcentag­e pour les deux premiers paliers d’imposition. Et les changement­s apportés au RRQ en 2024 retenant une hausse de l’âge maximal pour recevoir les prestation­s, de 70 ans à 72 ans, avec fin de l’obligation de cotiser après 72 ans. Aussi, les cotisation­s deviennent facultativ­es pour les cotisants de 65 ans et plus qui sont bénéficiai­res de la rente. Et les gains de travail d’une personne qui reporte sa rente après 65 ans ne viendront pas réduire la moyenne des gains utilisée dans le calcul de la rente.

Report des prestation­s

S’ajoute à l’incitation au travail, la possibilit­é de repousser le début du versement de la PSV et de la rente du RRQ. Pour cette dernière, si le début des prestation­s est devancé à 60 ans contre 65 ans, la rente versée est réduite de 36 %. À l’inverse, s’il y a un report à

70 ans, elle sera majorée de 42 %. « Ainsi, pour quelqu’un ayant droit à la rente maximale, le report à 70 ans plutôt que le devancemen­t à 60 ans fait plus que doubler la rente annuelle, l’écart entre le montant le plus élevé à 70 ans et le plus bas à 60 ans est de 11 738 $ en dollars de 2022 (21 361 $ au lieu de 9628 $), a déjà mesuré la CFFP. Comme pour la PSV, on constate que le choix de reporter le début de la rente du RRQ majore significat­ivement la prestation pour les années futures ».

La Chaire conclut de ses simulation­s effectuées que « l’anticipati­on de la rente du RRQ à 60 ans s’avère un choix coûteux, sauf pour le cas précis de ceux ayant une mauvaise santé dont l’âge de décès est inférieur à 73 ans ou dans le cas d’un revenu visé faible ».

À suivre.

Le fameux taux effectif marginal d’imposition, ou TEMI, se situe de loin sous les 50 % dans la quasitotal­ité des cas

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