Recul historique pour le transport collectif
La création de Mobilité Infra Québec a été dépeinte comme une petite révolution dans la planification des grands ouvrages en transport collectif. Il s’agit surtout d’une subtile initiative de centralisation aux mains du gouvernement Legault. Loin d’assurer l’essor de la mobilité durable, la nouvelle agence viendra limiter encore plus l’action des agglomérations urbaines dans l’idéation des solutions pour faire des villes des milieux de vie durables à l’échelle humaine et à l’échelle environnementale.
Saluons d’emblée le travail « après-vente » de la ministre des Transports et de la Mobilité durable (sic), Geneviève Guilbault. Grâce à la création de la nouvelle agence, « l’agilité est assurée », a dit la ministre.
En effet, il suffit de lorgner l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM) pour se satisfaire de cette rhétorique ronflante. La création de l’ARTM a introduit une couche de complexité de plus dans la planification des transports collectifs, alors qu’elle visait l’exact contraire. Tant pis si les fondations sont bancales. On en rajoute une couche avec la création de Mobilité Infra Québec.
La ministre Guilbault rappelle que le ministère des Transports n’a pas l’expertise requise pour se lancer dans les projets d’envergure en matière de mobilité durable. C’est un terrible aveu d’impuissance qui a aussi affligé les gouvernements précédents (péquistes et libéraux). Le ministère des Transports, cette bête irréformable, encourage la pose d’asphalte et le coulage de béton. L’abandon de tout espoir de le réformer est un ahurissant symbole de l’immobilisme étatique.
Par contre, une nouvelle structure n’est pas gage d’efficacité et d’imagination. C’est le mandat, la gouvernance, les ressources, l’expertise et la complémentarité avec les organismes existants qui comptent. Mobilité Infra Québec partira de zéro avec un budget qui, à terme, oscillera autour de 9 millions de dollars par année. Tout dans sa gouvernance, jusqu’aux nominations, prend les allures d’un chemin qui mène à Québec.
Nous n’assistons à rien de moins qu’à la création d’un « mégabureau de projet », selon l’expression de la ministre Guilbault. Un bureau qui avalera tous les autres bureaux de projets par souci d’efficience, avec une ouverture au maillage public-privé dans la réalisation des ouvrages. La portée du projet de loi 61 est d’ailleurs plus large que le transport ; il vise aussi la construction d’infrastructures publiques comme les écoles ou les établissements de santé.
Le ministre responsable des Infrastructures, Jonatan Julien, veut ouvrir une ère de collaboration avec le privé, dans le but d’améliorer l’efficacité et de réduire les coûts. Ce sont là des objectifs légitimes, mais ils ne dispensent pas d’un devoir de prudence. Au préalable, il faudra modifier la Directive sur la gestion des projets majeurs d’infrastructure publique, adoptée dans la foulée de la commission Charbonneau. La désinvolture avec laquelle le ministre Julien évacue le risque de collusion future est profondément irresponsable.
Il y a plein de jolies trouvailles dans le projet de loi sur la création de l’Agence. Par exemple, celle-ci n’aura pas de pouvoir d’initiative, si bien qu’elle devra attendre que Québec veuille bien lui soumettre des projets à analyser, en transport collectif et en matière d’ouvrages routiers. Ces deux missions sont souvent mises en opposition dans le discours de Geneviève Guilbault ; son penchant pour la seconde est aussi évident qu’un nid-de-poule au printemps.
Québec aura donc beau jeu de décider des projets dignes d’attention. La Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) et la Société de transport de Montréal (STM), actives sur un territoire qui englobe près de la moitié de la population québécoise, sont les plus grandes perdantes de cette réforme qui diminuera encore leur pouvoir d’influence, déjà affaibli par l’émergence de l’ARTM. Les villes qui ont des ambitions en matière de transport collectif connaîtront le même sort. La ministre dit vouloir collaborer avec les maires et les consulter avant de mettre des projets sur la table à dessin. Il n’y a qu’à voir les relations acrimonieuses que le gouvernement entretient avec les « quêteux » du monde municipal pour anticiper les limites de l’exercice de consultation. Le chef du train sera à Québec, fin de la conversation.
Le projet de loi fait par ailleurs l’impasse sur les solutions pour financer les futurs projets et maintenir les actifs existants. Le gouvernement Legault a exprimé son dédain pour la taxation sur l’essence ou l’immatriculation, ou encore pour le retour du péage routier. C’est comme s’il voulait faire porter aux villes et aux usagers du transport collectif (par les coupes dans les services, la réduction des coûts, la hausse des taxes foncières ou des tarifs) la responsabilité de soutenir le transport collectif, tout en épargnant ces pauvres automobilistes.
Les voyants jaunes s’accumulent sur le tableau de bord du gouvernement Legault. Malgré ses bonnes intentions en ce qui concerne la création de Mobilité Infra Québec, son manque de vision et d’ambition en transport collectif fait craindre l’échec.