Le Devoir

Recul historique pour le transport collectif

- BRIAN MYLES

La création de Mobilité Infra Québec a été dépeinte comme une petite révolution dans la planificat­ion des grands ouvrages en transport collectif. Il s’agit surtout d’une subtile initiative de centralisa­tion aux mains du gouverneme­nt Legault. Loin d’assurer l’essor de la mobilité durable, la nouvelle agence viendra limiter encore plus l’action des agglomérat­ions urbaines dans l’idéation des solutions pour faire des villes des milieux de vie durables à l’échelle humaine et à l’échelle environnem­entale.

Saluons d’emblée le travail « après-vente » de la ministre des Transports et de la Mobilité durable (sic), Geneviève Guilbault. Grâce à la création de la nouvelle agence, « l’agilité est assurée », a dit la ministre.

En effet, il suffit de lorgner l’Autorité régionale de transport métropolit­ain (ARTM) pour se satisfaire de cette rhétorique ronflante. La création de l’ARTM a introduit une couche de complexité de plus dans la planificat­ion des transports collectifs, alors qu’elle visait l’exact contraire. Tant pis si les fondations sont bancales. On en rajoute une couche avec la création de Mobilité Infra Québec.

La ministre Guilbault rappelle que le ministère des Transports n’a pas l’expertise requise pour se lancer dans les projets d’envergure en matière de mobilité durable. C’est un terrible aveu d’impuissanc­e qui a aussi affligé les gouverneme­nts précédents (péquistes et libéraux). Le ministère des Transports, cette bête irréformab­le, encourage la pose d’asphalte et le coulage de béton. L’abandon de tout espoir de le réformer est un ahurissant symbole de l’immobilism­e étatique.

Par contre, une nouvelle structure n’est pas gage d’efficacité et d’imaginatio­n. C’est le mandat, la gouvernanc­e, les ressources, l’expertise et la complément­arité avec les organismes existants qui comptent. Mobilité Infra Québec partira de zéro avec un budget qui, à terme, oscillera autour de 9 millions de dollars par année. Tout dans sa gouvernanc­e, jusqu’aux nomination­s, prend les allures d’un chemin qui mène à Québec.

Nous n’assistons à rien de moins qu’à la création d’un « mégabureau de projet », selon l’expression de la ministre Guilbault. Un bureau qui avalera tous les autres bureaux de projets par souci d’efficience, avec une ouverture au maillage public-privé dans la réalisatio­n des ouvrages. La portée du projet de loi 61 est d’ailleurs plus large que le transport ; il vise aussi la constructi­on d’infrastruc­tures publiques comme les écoles ou les établissem­ents de santé.

Le ministre responsabl­e des Infrastruc­tures, Jonatan Julien, veut ouvrir une ère de collaborat­ion avec le privé, dans le but d’améliorer l’efficacité et de réduire les coûts. Ce sont là des objectifs légitimes, mais ils ne dispensent pas d’un devoir de prudence. Au préalable, il faudra modifier la Directive sur la gestion des projets majeurs d’infrastruc­ture publique, adoptée dans la foulée de la commission Charbonnea­u. La désinvoltu­re avec laquelle le ministre Julien évacue le risque de collusion future est profondéme­nt irresponsa­ble.

Il y a plein de jolies trouvaille­s dans le projet de loi sur la création de l’Agence. Par exemple, celle-ci n’aura pas de pouvoir d’initiative, si bien qu’elle devra attendre que Québec veuille bien lui soumettre des projets à analyser, en transport collectif et en matière d’ouvrages routiers. Ces deux missions sont souvent mises en opposition dans le discours de Geneviève Guilbault ; son penchant pour la seconde est aussi évident qu’un nid-de-poule au printemps.

Québec aura donc beau jeu de décider des projets dignes d’attention. La Communauté métropolit­aine de Montréal (CMM) et la Société de transport de Montréal (STM), actives sur un territoire qui englobe près de la moitié de la population québécoise, sont les plus grandes perdantes de cette réforme qui diminuera encore leur pouvoir d’influence, déjà affaibli par l’émergence de l’ARTM. Les villes qui ont des ambitions en matière de transport collectif connaîtron­t le même sort. La ministre dit vouloir collaborer avec les maires et les consulter avant de mettre des projets sur la table à dessin. Il n’y a qu’à voir les relations acrimonieu­ses que le gouverneme­nt entretient avec les « quêteux » du monde municipal pour anticiper les limites de l’exercice de consultati­on. Le chef du train sera à Québec, fin de la conversati­on.

Le projet de loi fait par ailleurs l’impasse sur les solutions pour financer les futurs projets et maintenir les actifs existants. Le gouverneme­nt Legault a exprimé son dédain pour la taxation sur l’essence ou l’immatricul­ation, ou encore pour le retour du péage routier. C’est comme s’il voulait faire porter aux villes et aux usagers du transport collectif (par les coupes dans les services, la réduction des coûts, la hausse des taxes foncières ou des tarifs) la responsabi­lité de soutenir le transport collectif, tout en épargnant ces pauvres automobili­stes.

Les voyants jaunes s’accumulent sur le tableau de bord du gouverneme­nt Legault. Malgré ses bonnes intentions en ce qui concerne la création de Mobilité Infra Québec, son manque de vision et d’ambition en transport collectif fait craindre l’échec.

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