Le Devoir

La nouvelle réalité linguistiq­ue des PME québécoise­s

- André Pratte L’auteur est conseiller spécial à la firme de communicat­ions Citoyen et président de la Commission politique du Parti libéral du Québec.

À l’occasion de la remise des prix Mercuriade­s de la Fédération des chambres de commerce du Québec, une chose m’a frappé : plusieurs des entreprise­s en nomination comptaient de nombreux clients hors Québec, dans le reste du Canada, aux ÉtatsUnis, en Europe, en Asie.

Ainsi, on apprend que « la plupart des clients [de Crakmedia, experte en marketing Web] sont en Amérique du Nord et en Europe. » Pour sa part, l’entreprise Direct Impact, spécialist­e de la création de logiciels sur mesure, est « établie au Canada anglais, aux États-Unis et en France [et] mène une expansion en Italie ». Enfin, Michel Corriveau, chercheur à MPB Communicat­ions, un fabricant d’équipement de télécommun­ications, confie que « notre marché est très internatio­nal. Nos derniers clients, par exemple, étaient en Europe, en Asie du Sud-Est, au Brésil, au Mexique, en Inde et au Moyen-Orient ».

Les entreprise­s québécoise­s, même les petites ou moyennes entreprise­s (PME), ont désormais le monde comme marché. Ce fait, trop souvent ignoré, permet de mettre en perspectiv­e les plus récentes données sur la langue de travail au Québec. Selon l’Office québécois de la langue française, de 2010 à 2023, la proportion de Québécois utilisant exclusivem­ent le français au travail a diminué de 7,9 points de pourcentag­e, passant de 46,7 % à 38,8 %. La proportion de personnes employant parfois une autre langue que le français — il s’agit certaineme­nt de l’anglais dans la très grande majorité des cas — a donc augmenté au cours de la dernière décennie.

Selon le ministre de la Langue française, Jean-François Roberge, ces statistiqu­es démontrent « qu’il reste encore beaucoup de travail à faire pour que le français reprenne la place qui lui revient ».

Or, quand on sait que de plus en plus de compagnies québécoise­s ont des clients à l’internatio­nal, et que l’anglais est la lingua franca des affaires sur la planète, il n’y a rien d’étonnant à ce que cette langue soit davantage parlée en milieu de travail aujourd’hui qu’il y a 13 ans. C’est le résultat d’une économie québécoise qui s’internatio­nalise de plus en plus, parce que des entreprise­s d’ici réussissen­t à faire leur place partout dans le monde.

Autrement dit, derrière ces chiffres inquiétant­s se cache une bonne nouvelle, qui s’inscrit d’ailleurs dans la stratégie d’aide à l’exportatio­n mise en oeuvre par le gouverneme­nt dont fait partie M. Roberge. De dire son collègue de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, il s’agit là d’« un des principaux objectifs de notre vision économique, soit d’accroître la présence des entreprise­s québécoise­s sur les marchés de l’exportatio­n et de diminuer le déficit de la balance commercial­e du Québec ».

Aujourd’hui, 10 % des PME québécoise­s sont exportatri­ces, soit près de 16 000 compagnies de moins de 500 employés.

En soulignant ce fait, je ne cherche surtout pas à minimiser les défis auxquels fait face la langue française dans les milieux de travail au Québec. Il est vrai que l’anglais bénéficie de nos jours d’un puissant effet de mode, entre autres dans le milieu des affaires. C’est pourquoi il n’est pas rare d’entendre des Québécois francophon­es parler anglais entre eux, comme si l’anglais était une preuve de modernité ou de réussite.

Cet effet de mode doit être contré par des initiative­s lancées par l’État québécois, certes, mais surtout par les gens d’affaires eux-mêmes. Pour faire face à ce phénomène culturel, les mesures contraigna­ntes (imposer la loi 101 aux entreprise­s de 25 à 49 employés, par exemple) seront peu utiles. Il faut plutôt des gens pour donner l’exemple, pour servir de modèles aux jeunes et moins jeunes, en particulie­r ceux qui ambitionne­nt de faire carrière ou qui sont déjà actifs en affaires. À cet égard, il faut souligner les efforts faits par le Conseil du patronat du Québec pour accroître l’utilisatio­n du français au travail.

Il reste que, dans l’avenir prévisible, les entreprise­s québécoise­s qui décrochent des contrats hors des frontières du Québec n’auront pas d’autre choix que de communique­r avec leurs clients dans la langue internatio­nale par excellence. C’est pourquoi il faut interpréte­r avec prudence les statistiqu­es sur la langue de travail au Québec.

Ce que plusieurs voient comme la preuve d’un « déclin du français » est, en partie du moins, la démonstrat­ion de l’audace des entreprene­urs québécois.

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