Le Devoir

Je suis bilingue, donc tout va bien !

Contre-argumenter sur le processus assimilato­ire avec des anecdotes, c’est se cacher derrière un écran de fumée

- Nicolas Bourdon L’auteur est professeur au collège de Boisde-Boulogne et membre du Regroupeme­nt pour le cégep français.

Au-delà des insultes que Frédéric Lacroix et moi-même avons subies lors de notre comparutio­n au Comité permanent des langues officielle­s le 6 mai 2024, j’aimerais revenir sur l’argumentai­re déployé pour contrer les faits et les statistiqu­es que nous avons fournis aux députés lors de cette séance.

Plusieurs députés francophon­es, autant conservate­urs que libéraux, ont manifesté leur grande fierté d’avoir étudié et travaillé en anglais sans avoir perdu leur français. Ils ont en fait ériger leur exemple personnel en règle générale : je suis bilingue, donc tout va bien !

En fait, les députés ont répliqué à nos arguments, étayés par des chiffres et des études, par de simples anecdotes. À les entendre, on peut étudier et travailler en anglais sans que le français n’en subisse aucune conséquenc­e. Les chiffres sont pourtant têtus. Frédéric Lacroix et moi-même avons démontré aux députés, en utilisant notamment une étude de Statistiqu­e Canada, que fréquenter une institutio­n postsecond­aire anglophone augmente dramatique­ment les chances de mener ensuite sa vie en anglais. Dans le Canada hors Québec, où on étudie et travaille très peu en français, l’assimilati­on des francophon­es atteint un taux dramatique de 42 % par génération.

La règle générale du processus assimilato­ire est très simple : si une langue est cantonnée à la sphère privée, elle s’étiole et finit par mourir. Malheureus­ement, les députés fédéraux francophon­es brandissen­t trop souvent leur bilinguism­e personnel pour ne pas voir cette réalité en face. Il ne sert à rien au député Drouin de traiter nos arguments de « simplistes » et de sortir de sa poche son cellulaire pour souligner que le problème majeur de l’assimilati­on des francophon­es réside dans les consommati­ons culturelle­s des jeunes. Qu’il agisse plutôt sur les leviers qu’il contrôle !

Contrairem­ent à ce qu’a affirmé Justin Trudeau pour justifier les propos orduriers de son député, M. Drouin s’est laissé emporter non pas à cause de son « excès de passion » pour la défense du français, mais bien pour se porter à la défense des institutio­ns d’enseigneme­nt anglophone­s du Québec. Ces institutio­ns, déjà bien nanties, reçoivent des sommes colossales de la part d’Ottawa. Il serait beaucoup plus profitable pour le français que le fédéral rééquilibr­e les sommes qu’il verse aux provinces en favorisant nettement les institutio­ns francophon­es au Québec et hors Québec.

Au lieu de nous exhiber leur bilinguism­e personnel comme un écran de fumée, les députés fédéraux francophon­es devraient militer pour cette solution.

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