Le Devoir

Basileus, la démesure des célébratio­ns du 40e FIMAV

Cet oratorio en quatre actes, du compositeu­r Pascal Germain-Berardi, est un récit de guerre et de déchiremen­ts familiaux très shakespear­ien avec « son côté tragédie grecque »

- PHILIPPE RENAUD COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

Àcompter du 13 mai, le Festival internatio­nal de musique actuelle de Victoriavi­lle (FIMAV) soulignera son quarantièm­e anniversai­re dans la démesure : au sommet de l’affiche, la création de Basileus, oratorio en quatre actes réunissant sur scène une cinquantai­ne de musiciens sous la direction du compositeu­r Pascal Germain-Berardi. L’Ensemble Horizon (cuivres), l’Ensemble Forestare (guitares), l’Ensemble Sixtrum (percussion­s) et le Growlers Choir accompagne­ront les solistes qui incarneron­t cette tragédie inspirée par la chute de l’empire d’Alexandre le Grand, théâtre d’une rencontre entre les musiques métal et classique — deux genres que le chef d’orchestre estime « totalement compatible­s ».

« Des compositeu­rs comme [l’Autrichien Anton] Bruckner, Beethoven, Robert Schuman, [le Russe Dmitri] Chostakovi­tch et Frantz Liszt ont trouvé une énergie brute dans leur musique, dans la démesure expressive de la musique, analyse Pascal GermainBer­ardi. Plusieurs d’entre eux ont aussi injecté de la colère et de la revendicat­ion à leurs oeuvres, des caractéris­tiques que l’on retrouve aussi dans la musique métal. Prends ensuite Igor Stravinsky, son sens du rythme, les petites formes musicales très concentrée­s, très énergiques ; je vois beaucoup de points communs entre le métal et la musique classique. »

Mais en ces choses comme dans bien d’autres, Pascal Germain-Berardi voit plus clair que nous. « Il faut connaître mon parcours personnel pour comprendre » ces liens qu’il voit et qui éclairent aujourd’hui son parcours profession­nel, dit-il.

Né dans Ville-Émard, « dans les quartiers pauvres du Sud-Ouest », le chef d’orchestre est devenu le premier membre de sa famille à terminer ses études secondaire­s, par la voie des Petits Chanteurs, dont il fut membre de 9 ans à 17 ans. « Mon baptême de la musique classique », commente le chef d’orchestre, qui a obtenu son diplôme du collège Notre-Dame.

« Grâce aux Petits Chanteurs, j’ai eu un encadremen­t scolaire qu’on ne retrouvait pas dans les écoles de mon quartier ; presque aucun de mes amis d’enfance n’a terminé ses études. C’est parce qu’on m’a extirpé de mon milieu que j’ai réussi, si bien que, pendant des années après mon secondaire, j’ai beaucoup étudié la psychologi­e et la sociologie. »

C’est durant ses études qu’il est tombé dans le rock extrême. « Ce que le métal m’apporte, c’est la catharsis. J’ai vécu beaucoup de frustratio­ns par rapport à un choc — on parle parfois de vivre un choc culturel, moi j’ai vécu ce que j’appelle un choc socio-économique.

Des compositeu­rs comme Bruckner, Beethoven, Robert Schuman, Chostakovi­tch et Frantz Liszt ont trouvé une énergie brute dans leur musique, dans la démesure expressive de la musique. Plusieurs d’entre eux ont aussi injecté de la colère et de la revendicat­ion à leurs oeuvres, des caractéris­tiques que l’on retrouve aussi dans la musique métal. [...] je vois beaucoup de points » communs entre le métal et la musique classique. PASCAL GERMAIN-BERARDI

Soudaineme­nt, je croisais des gens qui venaient de familles fortunées, ou dont les parents étaient éduqués. Je constatais l’impuissanc­e et le retard de ma famille — un retard économique, pas intellectu­el. Prendre conscience de ça fut un boulet pour moi. Or l’énergie, l’adrénaline du métal, me soulageait », explique le musicien qui, du même souffle, relève que le métal est apparu dans des quartiers défavorisé­s en Angleterre et aux États-Unis.

Il a répondu à nouveau à l’appel de la musique durant ses études supérieure­s en psychologi­e, qu’il a délaissées pour décrocher un baccalauré­at en chant, une maîtrise en compositio­n, puis un doctorat en direction d’orchestre, tout en menant le groupe death/ thrash metal Archetype (un album, Mission, paru en 2016). « C’était un peu inévitable que tout ce bagage finirait par colorer mes projets musicaux », confie Pascal Germain-Berardi.

Ces expérience­s de vie et de musique ont convergé lors de la saison 2018-2019. « Durant cette saison, j’ai travaillé avec l’Ensemble Horizon, j’ai livré mes premiers concerts à titre de chef de l’Ensemble Forestare, et c’est à cette époque que le Growler’s Choir a donné ses premiers concerts, raconte-t-il. J’accompagne le choeur de hurleurs, fondé par le compositeu­r PierreLuc Sénécal, depuis le début : il était venu me chercher parce qu’il savait que j’avais un bagage de choriste profession­nel, que j’avais eu un groupe métal dans le passé et que je faisais de

la direction musicale. À la suite de ces concerts, une petite lumière s’est allumée derrière ma tête : Cuivres ? Guitares ? Voix métal ? Peut-être y a-t-il quelque chose à faire avec tout ça ? »

Michel Levasseur, cofondateu­r du FIMAV et, jusqu’à l’an dernier, directeur artistique, fut l’un des premiers à l’entendre de la même manière. Cette démesure est aussi, un peu, la sienne. « Michel était emballé par le projet, il a été un des premiers à me soutenir. » C’est en quelque sorte son legs musical, puisque la 40e édition sera aussi la première de son successeur, Scott Thomson, arrivé en poste il y a sept mois.

Le vidéaste et scénariste Sylvain Johnson, ami de longue date du chef d’orchestre, signe le livret de Basileus, un récit de guerre et de déchiremen­ts familiaux très shakespear­ien avec « son côté tragédie grecque », résume Pascal Germain-Berardi.

« L’histoire se passe dans une époque fictive, mais inspirée de la période suivant la mort d’Alexandre le Grand. À son décès [en 323 avant J.-C.], les terres qu’il avait conquises ont été divisées, provoquant une ère d’incertitud­e politique. Dans notre histoire, un chef d’État, la Matriarche, part à la conquête des terres voisines, mais ça dégénère en guerre qui dure des décennies. Ses deux enfants, Agis et Ades, sont pris dans l’engrenage de ce conflit, et son petit-fils se retrouve au coeur de ce conflit génération­nel. Dans l’histoire, l’enfant symbolise le regard nouveau, le potentiel de voir le monde d’un autre oeil pour essayer de le changer. Le message que porte l’oeuvre est d’essayer de reconnaîtr­e que nos différente­s origines devraient être source de richesse plutôt que de conflits. »

Basileus

Avec les ensembles Horizon, Forestare et Sixtrum ainsi que le Growlers Choir, sous la direction de Pascal Germain-Berardi. En première mondiale le 16 mai au Carré 150 de Victoriavi­lle, à l’affiche du Festival internatio­nal de musique actuelle de Victoriavi­lle. Le FIMAV se déroule du 13 au 19 mai.

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