Au milieu des pousses
Dans un premier roman poétique, Camille Garant-Aubry explore le système racinaire de la dépression
« Les premières semaines ont été difficiles. Je ne vais pas mentir. Les pousses s’entêtaient à pousser là où il ne fallait pas. Parfois, même, elle sortait de la chambre. Certains jours, je préférais dormir dans le salon. Ignorer ce qui m’attendait au bout du couloir. » Entre des pensées envahissantes et les efforts entrepris pour se sortir de son mal-être, une jeune femme fragile raconte la traversée quotidienne d’une combattante.
Armée d’une écriture poétique, ancrée dans un quotidien identifiable, Camille Garant-Aubry déjoue les pièges du récit frontal et prévisible dans Ceci n’est pas un jardin. Elle aborde le sujet de la dépression, ses détours difficiles, ses ramifications qui s’étendent et s’immiscent rapidement par plusieurs interstices dans le réel. Jouant continuellement de métaphores autour de plantes nuisibles parce qu’envahissantes, telles que la berce du Caucase, le pissenlit, le phragmite et la salicaire, la narratrice se questionne, demande de l’aide et avance afin de se débarrasser de ses pensées parasites. Le récit alterne ainsi tout naturellement et subtilement entre les moments passés par la jeune femme dans son appartement, faux refuge dans lequel se multiplient et grandissent les plantes, les idées, et le dehors, là où elle doit affronter le monde, parler et, peutêtre, s’en sortir. Jamais formellement nommée, la dépression est pourtant palpable, sentie à travers toute la fragilité de ce personnage en déséquilibre, complètement envahie de réflexions qui l’empêchent d’avancer, de passer à l’action. Lors d’une soirée costumée, le choix du scaphandrier retenu par l’héroïne est sans équivoque. Elle sort, bien à l’abri sous cette fausse armure, reflet symbolique du repli sur soi devant des réalités, difficultés qui semblent impossibles à surmonter.
Hybridité de la forme
Jamais formellement nommée, la dépression est pourtant palpable, sentie à travers toute la fragilité de ce personnage en déséquilibre, complètement envahie de réflexions qui l’empêchent d’avancer, de passer à l’action
Paru dans la singulière collection « Les doigts ont soif » — série de titres dans lesquels le texte se joue de la forme conventionnelle, investit la page de différents procédés visuels et/ou textuels —, Ceci n’est pas un jardin est offert dans une présentation tout aussi éparse que les pensées de l’héroïne. Entre une prose qui laisse libre cours au récit de la narratrice, dans laquelle elle raconte son quotidien tourmenté, et des poèmes qui permettent d’exprimer le ressenti du personnage, le récit se prolonge sous différentes formes. Quelques échanges de courriels qui traduisent les demandes d’aide, de conseils pour contrer l’envahissement partagent l’espace avec des dialogues entre la jeune femme, des amis et des inconnus et quelques étiquettes de produits chimiques, herbicides utiles pour se débarrasser des plantes invasives.
L’autrice livre un tableau évocateur de la dépression et de son insidieuse façon de s’infiltrer dans les moindres pensées, d’accaparer rapidement l’espace et d’étouffer d’une certaine façon la personne atteinte. Le repli sur soi, réflexe premier, n’est qu’un incubateur parfait pour laisser les tiges prendre racine.