Le Devoir

Au milieu des pousses

Dans un premier roman poétique, Camille Garant-Aubry explore le système racinaire de la dépression

- CRITIQUE MARIE FRADETTE COLLABORAT­RICE LE DEVOIR

« Les premières semaines ont été difficiles. Je ne vais pas mentir. Les pousses s’entêtaient à pousser là où il ne fallait pas. Parfois, même, elle sortait de la chambre. Certains jours, je préférais dormir dans le salon. Ignorer ce qui m’attendait au bout du couloir. » Entre des pensées envahissan­tes et les efforts entrepris pour se sortir de son mal-être, une jeune femme fragile raconte la traversée quotidienn­e d’une combattant­e.

Armée d’une écriture poétique, ancrée dans un quotidien identifiab­le, Camille Garant-Aubry déjoue les pièges du récit frontal et prévisible dans Ceci n’est pas un jardin. Elle aborde le sujet de la dépression, ses détours difficiles, ses ramificati­ons qui s’étendent et s’immiscent rapidement par plusieurs interstice­s dans le réel. Jouant continuell­ement de métaphores autour de plantes nuisibles parce qu’envahissan­tes, telles que la berce du Caucase, le pissenlit, le phragmite et la salicaire, la narratrice se questionne, demande de l’aide et avance afin de se débarrasse­r de ses pensées parasites. Le récit alterne ainsi tout naturellem­ent et subtilemen­t entre les moments passés par la jeune femme dans son appartemen­t, faux refuge dans lequel se multiplien­t et grandissen­t les plantes, les idées, et le dehors, là où elle doit affronter le monde, parler et, peutêtre, s’en sortir. Jamais formelleme­nt nommée, la dépression est pourtant palpable, sentie à travers toute la fragilité de ce personnage en déséquilib­re, complèteme­nt envahie de réflexions qui l’empêchent d’avancer, de passer à l’action. Lors d’une soirée costumée, le choix du scaphandri­er retenu par l’héroïne est sans équivoque. Elle sort, bien à l’abri sous cette fausse armure, reflet symbolique du repli sur soi devant des réalités, difficulté­s qui semblent impossible­s à surmonter.

Hybridité de la forme

Jamais formelleme­nt nommée, la dépression est pourtant palpable, sentie à travers toute la fragilité de ce personnage en déséquilib­re, complèteme­nt envahie de réflexions qui l’empêchent d’avancer, de passer à l’action

Paru dans la singulière collection « Les doigts ont soif » — série de titres dans lesquels le texte se joue de la forme convention­nelle, investit la page de différents procédés visuels et/ou textuels —, Ceci n’est pas un jardin est offert dans une présentati­on tout aussi éparse que les pensées de l’héroïne. Entre une prose qui laisse libre cours au récit de la narratrice, dans laquelle elle raconte son quotidien tourmenté, et des poèmes qui permettent d’exprimer le ressenti du personnage, le récit se prolonge sous différente­s formes. Quelques échanges de courriels qui traduisent les demandes d’aide, de conseils pour contrer l’envahissem­ent partagent l’espace avec des dialogues entre la jeune femme, des amis et des inconnus et quelques étiquettes de produits chimiques, herbicides utiles pour se débarrasse­r des plantes invasives.

L’autrice livre un tableau évocateur de la dépression et de son insidieuse façon de s’infiltrer dans les moindres pensées, d’accaparer rapidement l’espace et d’étouffer d’une certaine façon la personne atteinte. Le repli sur soi, réflexe premier, n’est qu’un incubateur parfait pour laisser les tiges prendre racine.

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1/2 Camille Garant-Aubry, La mèche, Montréal, 2024, 144 pages
Ceci n’est pas un jardin 1/2 Camille Garant-Aubry, La mèche, Montréal, 2024, 144 pages
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