Le Devoir

Vagabondag­es insulaires

En cette période de mise à l’eau des cages pour la saison de pêche au homard, retour sur une traversée des îles de la Madeleine de la meilleure façon qui soit : à vélo.

- NATHALIE SCHNEIDER COLLABORAT­ION SPÉCIALE

Envoûtante­s, elles le sont toute l’année. Mais, en basse saison, on est sûr d’avoir les îles juste pour soi, surtout si on opte pour la bicyclette afin de les explorer. Je démarre ma traversée à La Grave, sur l’île du Havre Aubert, sous un ciel tourmenté qui donne à ce site historique un petit cachet de plus. Le temps de récupérer mon vélo chez Vélo Évasion — et de faire un brin de jasette avec ses sympathiqu­es propriétai­res — et je file vers la célèbre plage du Havre, en compagnie de François David, de Vélo Évasion. L’homme a troqué récemment le rythme effréné de la ville pour la tranquilli­té de l’archipel.

Déserts de plage

À l’abri des rafales, la longue plage déserte se déploie jusqu’au Bout du Banc, d’où se profile au loin l’île d’Entrée, ce morceau de terre ocre où les pâturages culminent sur le venteux mont Big Hill. Avant d’amorcer la remontée vers Cap-aux-Meules, je m’offre une boucle sur le chemin Bassin. Cette route panoramiqu­e sinue entre Portage-du-Cap jusqu’à L’Étang-des-Caps. Les maisons s’y succèdent, avec leur typique grangeétab­le et leur remise au fond de la cour. À L’Anse-à-la-Cabane se dresse le plus ancien et le plus haut phare de l’archipel, et son balcon qui culmine à 17 mètres. La bruine ne contrarie ni ma progressio­n ni le plaisir que j’ai à découvrir les anses marines, les petits ports de pêche et le relief vallonné qui ondule tout en douceur droit devant.

Un rêve pour les îles

Je ne sais ce qui, de la pluie ou des vagues océaniques, m’aura le plus trempée en ce premier jour. Mais c’est avec allégresse que je parviens aux Chalets de la Martinique, à L’Étangdu-Nord. La propriétai­re m’accueille avec un café chaud, une servietteé­ponge et un accent qui grasseye délicieuse­ment. Le plan pour le lendemain : poursuivre ma progressio­n sur l’accotement de la route Verte 1, sur l’île du Cap aux Meules, la plus peuplée de l’archipel. Je compte y multiplier les arrêts pour goûter aux saveurs des Îles et céder au charme de ses paysages. Je me sens privilégié­e de traverser en toute intimité les « cantons », les petites localités qui ponctuent les îles, comme CapVert ou Grand-Ruisseau. Après quelques kilomètres sous un ciel plus clément, je ne peux me priver d’une halte à Mon p’tit bonheur aux Îles, une nouvelle adresse gourmande. Là-bas, on est sûrs de se ravitaille­r en pain maison et en produits d’épicerie qui composeron­t un lunch aux parfums du terroir. À La Martinique, je mets le cap pour m’arrêter chez Bernard Vigneau, un pionnier du vélo électrique aux Îles, qui propose, à la location, une vingtaine de modèles différents incluant le tricycle ! Le fondateur d’Éco-vélo des Îles milite pour l’Associatio­n madelinien­ne pour la sécurité énergétiqu­e et environnem­entale (AMSÉE) dans le cadre d’un projet de piste cyclable sans danger sur l’archipel. L’homme a le rêve de voir la bicyclette devenir un moyen de transport privilégié sur un territoire fragilisé par les changement­s climatique­s et par le surtourism­e estival.

Gourmandis­es au menu

Une autre nuit, cette fois, dans l’intérieur douillet de l’un des microchale­ts de l’auberge Paradis bleu, à Fatima, directemen­t posé sur la grève. Je revois en pensée toute la palette de teintes qui tapissent les façades des maisons traditionn­elles, bleu de cobalt, rose fuchsia ou, encore, jaune canari. Une explosion de couleurs qui jalonne la voie avec le vert tendre des prairies et le bleu du ciel enfin débarrassé de ses cumulonimb­us menaçants. Pour me rendre à Havre-aux-Maisons, j’emprunte le pont d’où j’aperçois Pointeaux-Loups, sa marina et l’île Paquet, piste d’atterrissa­ge d’innombrabl­es oiseaux marins. À l’achalandée route 199, je préfère le paisible chemin de la Pointe-Basse sur lequel j’enchaîne les arrêts, comme au Fumoir d’antan, à quelques mètres sur le chemin du Quai, le dernier fumoir traditionn­el du Québec, qui fait dans le boucanage du hareng à la façon d’autrefois. J’ai même droit à une visite privée de l’économusée de la boucanerie. Fromagerie Pied-De-Vent, Alcyon sel de mer, Culture du large : les haltes gourmandes se succèdent de part et d’autre à proximité du chemin des Échoueries, ponctué de buttes arrondies et de dunes désertées. Et puis c’est cap du Moine-Qui-Prie (ancien cap Alright), dont les falaises rouges plongent à la verticale dans les remous tourmentés de la baie de Plaisance, au pied de son légendaire phare, édifié en 1928 pour veiller sur la destinée des navigateur­s.

Dunes et vent

Je ne suis pas pressée de quitter cette carte postale, mais il faut bien que je me remette en selle sur la dune du Sud, qui s’effiloche vers l’île de la Pointe aux Loups. Puis, je mouline contre vents et marées le long de l’interminab­le dune du Nord vers l’île de Grosse-Île. Là-bas, les plages se succèdent autour du refuge faunique de la Pointe-de-l’Est. La journée a été longue et le vent qui forcit me fait redoubler d’efforts pour parvenir à ma destinatio­n : l’île de la Grande Entrée. Je dois y retrouver la sympathiqu­e équipe de La Salicorne, centre de vacances et base de plein air, afin de passer la nuit dans l’une de ses tentes bulles. C’est du village de pêche tout près qu’a lieu chaque année le départ des 115 homardiers locaux, plus nombreux ici que dans toute la Gaspésie. Pour achever ma traversée, je m’offrirai, le lendemain, une randonnée vers l’île Boudreau, plus presqu’île qu’île, propriété de la Société de conservati­on des Îles-de-la-Madeleine. Au bout du sentier, je marquerai un long arrêt sur la prairie pour attraper du regard la fragile, mais saisissant­e, beauté des îles de la Madeleine.

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Cap du Moine-Qui-Prie NATHALIE SCHNEIDER

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