Les défis de la philanthropie de demain
Le monde de la philanthropie est directement touché par les grands changements de société. Le poids démographique, l’économie, les avancées technologiques ou les défis sociaux et politiques demandent aux acteurs de la philanthropie d’être stratégiques et innovants pour s’assurer de rester pertinents. En cette grande période de transformation, comment une fondation doit-elle s’adapter à tous ces changements ?
Après 9 ans à la Fondation du CHU Sainte-Justine, dont les deux dernières années à titre de présidente, Delphine Brodeur est à même de constater comment la dernière décennie a transformé le monde de la philanthropie. Sans surprise, elle rappelle que les besoins sont très grands. Les coûts explosent non seulement en recherche, mais partout ailleurs. Dans tous les secteurs, la science évolue à une vitesse effrénée : « Avec tout ce qui se passe, on se doit d’être là. […] Quoiqu’on ne se substitue pas aux fonds publics, on les complète, on est la bougie d’allumage qui permet de soutenir des projets innovants. »
Mesure d’impact et transparence
« Dans le contexte dans lequel on évolue, on a vu un éveil quant à l’impact nécessaire de la philanthropie dans notre société. Le bassin de donateurs est de plus en plus jeune, et on les voit plus informés sur les effets réels qu’ils peuvent avoir », poursuit-elle et rappelant que les grands acteurs de la philanthropie ont dû effectuer des changements organisationnels importants pour répondre aux attentes et aux demandes ces donateurs.
Plus que jamais, on s’attend à une gouvernance impeccable, à une plus grande transparence et à des mesures d’impact et d’efficacité qui témoignent du chemin parcouru par les dons. Pour y arriver, on doit maintenant prévoir des investissements en évaluation et en recherche pour que puissent être développées des méthodes plus précises de mesure de l’impact social.
Choisir la collaboration
Mme Brodeur souligne également que les organisations seront de plus en plus appelées à collaborer et, surtout, qu’elles gagneront à le faire. De telles synergies entre les organisations pourront mieux les outiller à faire face à la complexité des défis sociaux à venir.
« On travaille davantage avec les parties prenantes externes, comme c’est le cas avec [l’hôpital] SickKids de Toronto. Si on peut décupler notre impact, pourquoi ne pas le faire ? Sainte-Justine et SickKids traitent 61 % de la clientèle pédiatrique canadienne avec des besoins tertiaires et quaternaires. Si on ne travaille pas ensemble, qui le fera ? Ça devient des projets de société. »
Diversité et représentativité
Jean-Marc Mangin est présidentdirecteur général de Fondations philanthropiques Canada depuis 2019. Parmi les transformations en cours, M. Mangin note une plus grande diversité dans les équipes avec qui son organisation collabore. « Cela reflète de plus en plus la diversité des populations. On le voit dans nos rencontres, il y a plus de femmes, il y a un renouvellement chez les cadres et le personnel. On voit arriver de nouveaux leaders, des gens qui ont des vécus et des réalités différents, qui émergent de l’action communautaire ou de la santé et qui comprennent les défis de communautés spécifiques. »
Toutefois, impossible de passer sous silence la fatigue sur le terrain, poursuit-il. « Le milieu est en changement, et il y a beaucoup de pression sur ceux qui font le travail dans nos communautés. Je ne parle pas des fondations ellesmêmes, mais des partenaires de la société civile, des partenaires clés qui contribuent au tissu social de nos communautés. » Il y voit un manque à gagner en matière de bénévolat, mais également en attraction et en rétention de personnel, alors que les besoins des populations bénéficiaires augmentent rapidement.
Virage technologique à venir
Quant aux outils technologiques et à l’arrivée de l’intelligence artificielle, M. Mangin reconnaît qu’il y a beaucoup de travail à faire pour remédier au scepticisme et au manque de connaissances concernant l’utilisation que l’on pourrait en faire en philanthropie. « Les transformations profondes sont à faire, le virage n’est pas encore accompli », résume-t-il.
Pour sa part, la p.-d.g. de la Fondation Sainte-Justine rappelle que la dépendance croissante à la technologie soulève des questions quant à la cybersécurité et à la protection des renseignements personnels : « Maintenir le lien de confiance avec les donateurs est une priorité pour nous. » Toutefois, avec un cadre législatif et éthique bien établi, les nouvelles technologies et l’IA laissent entrevoir de belles occasions d’avancement, que ce soit en intelligence d’affaires, en gouvernance ou encore en analyse de données populationnelles.
Investir, penser à demain
Dans une perspective à long terme, certaines organisations utilisent dorénavant leur fonds de dotation pour faire des investissements responsables dans leur communauté ou d’autres qui ont un rendement positif, social, économique et écologique. « L’investissement d’impact représente une partie plus importante des portfolios, note le p.-d.g. de Fondations philanthropiques Canada. Le concept d’investissement responsable et à plus long terme fait du chemin dans un portfolio diversifié et équilibré. [Il s’inscrit] dans la gestion des actifs d’une fondation pour répondre aux défis de demain. »
« Le milieu est en changement, et il y a beaucoup de pression sur ceux qui font le travail dans nos communautés »
La philanthropie, qu’elle soit plus inclusive, mesurable et transparente, joue un rôle de société majeur et essentiel. Dans les années à venir, on estime par ailleurs que les besoins seront encore plus grands, conséquence directe des défis économiques, sanitaires et climatiques qui exercent une pression sur les besoins humanitaires, sociaux et pour les arts. Si les ressources financières disponibles pour la philanthropie ne croissent pas au même rythme, l’innovation est une des solutions qui permettra de réduire l’écart.