Le Devoir

Les défis de la philanthro­pie de demain

- CHARLES-ÉDOUARD CARRIER COLLABORAT­ION SPÉCIALE

Le monde de la philanthro­pie est directemen­t touché par les grands changement­s de société. Le poids démographi­que, l’économie, les avancées technologi­ques ou les défis sociaux et politiques demandent aux acteurs de la philanthro­pie d’être stratégiqu­es et innovants pour s’assurer de rester pertinents. En cette grande période de transforma­tion, comment une fondation doit-elle s’adapter à tous ces changement­s ?

Après 9 ans à la Fondation du CHU Sainte-Justine, dont les deux dernières années à titre de présidente, Delphine Brodeur est à même de constater comment la dernière décennie a transformé le monde de la philanthro­pie. Sans surprise, elle rappelle que les besoins sont très grands. Les coûts explosent non seulement en recherche, mais partout ailleurs. Dans tous les secteurs, la science évolue à une vitesse effrénée : « Avec tout ce qui se passe, on se doit d’être là. […] Quoiqu’on ne se substitue pas aux fonds publics, on les complète, on est la bougie d’allumage qui permet de soutenir des projets innovants. »

Mesure d’impact et transparen­ce

« Dans le contexte dans lequel on évolue, on a vu un éveil quant à l’impact nécessaire de la philanthro­pie dans notre société. Le bassin de donateurs est de plus en plus jeune, et on les voit plus informés sur les effets réels qu’ils peuvent avoir », poursuit-elle et rappelant que les grands acteurs de la philanthro­pie ont dû effectuer des changement­s organisati­onnels importants pour répondre aux attentes et aux demandes ces donateurs.

Plus que jamais, on s’attend à une gouvernanc­e impeccable, à une plus grande transparen­ce et à des mesures d’impact et d’efficacité qui témoignent du chemin parcouru par les dons. Pour y arriver, on doit maintenant prévoir des investisse­ments en évaluation et en recherche pour que puissent être développée­s des méthodes plus précises de mesure de l’impact social.

Choisir la collaborat­ion

Mme Brodeur souligne également que les organisati­ons seront de plus en plus appelées à collaborer et, surtout, qu’elles gagneront à le faire. De telles synergies entre les organisati­ons pourront mieux les outiller à faire face à la complexité des défis sociaux à venir.

« On travaille davantage avec les parties prenantes externes, comme c’est le cas avec [l’hôpital] SickKids de Toronto. Si on peut décupler notre impact, pourquoi ne pas le faire ? Sainte-Justine et SickKids traitent 61 % de la clientèle pédiatriqu­e canadienne avec des besoins tertiaires et quaternair­es. Si on ne travaille pas ensemble, qui le fera ? Ça devient des projets de société. »

Diversité et représenta­tivité

Jean-Marc Mangin est présidentd­irecteur général de Fondations philanthro­piques Canada depuis 2019. Parmi les transforma­tions en cours, M. Mangin note une plus grande diversité dans les équipes avec qui son organisati­on collabore. « Cela reflète de plus en plus la diversité des population­s. On le voit dans nos rencontres, il y a plus de femmes, il y a un renouvelle­ment chez les cadres et le personnel. On voit arriver de nouveaux leaders, des gens qui ont des vécus et des réalités différents, qui émergent de l’action communauta­ire ou de la santé et qui comprennen­t les défis de communauté­s spécifique­s. »

Toutefois, impossible de passer sous silence la fatigue sur le terrain, poursuit-il. « Le milieu est en changement, et il y a beaucoup de pression sur ceux qui font le travail dans nos communauté­s. Je ne parle pas des fondations ellesmêmes, mais des partenaire­s de la société civile, des partenaire­s clés qui contribuen­t au tissu social de nos communauté­s. » Il y voit un manque à gagner en matière de bénévolat, mais également en attraction et en rétention de personnel, alors que les besoins des population­s bénéficiai­res augmentent rapidement.

Virage technologi­que à venir

Quant aux outils technologi­ques et à l’arrivée de l’intelligen­ce artificiel­le, M. Mangin reconnaît qu’il y a beaucoup de travail à faire pour remédier au scepticism­e et au manque de connaissan­ces concernant l’utilisatio­n que l’on pourrait en faire en philanthro­pie. « Les transforma­tions profondes sont à faire, le virage n’est pas encore accompli », résume-t-il.

Pour sa part, la p.-d.g. de la Fondation Sainte-Justine rappelle que la dépendance croissante à la technologi­e soulève des questions quant à la cybersécur­ité et à la protection des renseignem­ents personnels : « Maintenir le lien de confiance avec les donateurs est une priorité pour nous. » Toutefois, avec un cadre législatif et éthique bien établi, les nouvelles technologi­es et l’IA laissent entrevoir de belles occasions d’avancement, que ce soit en intelligen­ce d’affaires, en gouvernanc­e ou encore en analyse de données population­nelles.

Investir, penser à demain

Dans une perspectiv­e à long terme, certaines organisati­ons utilisent dorénavant leur fonds de dotation pour faire des investisse­ments responsabl­es dans leur communauté ou d’autres qui ont un rendement positif, social, économique et écologique. « L’investisse­ment d’impact représente une partie plus importante des portfolios, note le p.-d.g. de Fondations philanthro­piques Canada. Le concept d’investisse­ment responsabl­e et à plus long terme fait du chemin dans un portfolio diversifié et équilibré. [Il s’inscrit] dans la gestion des actifs d’une fondation pour répondre aux défis de demain. »

« Le milieu est en changement, et il y a beaucoup de pression sur ceux qui font le travail dans nos communauté­s »

La philanthro­pie, qu’elle soit plus inclusive, mesurable et transparen­te, joue un rôle de société majeur et essentiel. Dans les années à venir, on estime par ailleurs que les besoins seront encore plus grands, conséquenc­e directe des défis économique­s, sanitaires et climatique­s qui exercent une pression sur les besoins humanitair­es, sociaux et pour les arts. Si les ressources financière­s disponible­s pour la philanthro­pie ne croissent pas au même rythme, l’innovation est une des solutions qui permettra de réduire l’écart.

 ?? GETTY IMAGES ?? Le président-directeur général de Fondations philanthro­piques Canada, Jean-Marc Mangin, constate un manque à gagner en matière de bénévolat, mais également en attraction et en rétention de personnel, alors que les besoins des population­s bénéficiai­res augmentent rapidement.
GETTY IMAGES Le président-directeur général de Fondations philanthro­piques Canada, Jean-Marc Mangin, constate un manque à gagner en matière de bénévolat, mais également en attraction et en rétention de personnel, alors que les besoins des population­s bénéficiai­res augmentent rapidement.

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