Virage majeur vers l’investissement éthique
Depuis deux ans, la Fondation du Grand Montréal repense sa façon d’investir et offre aux donateurs des fonds philanthropiques responsables
Au cours des dernières années, la Fondation du Grand Montréal (FGM) a pris un virage majeur dans sa façon d’investir. Désormais, il est possible de créer un fonds philanthropique éthique qui respecte les valeurs des donateurs, une première au Québec.
Avec l’investissement responsable, les donateurs qui veulent contribuer de façon positive à la société ont l’assurance que leur argent servira leurs objectifs, et non le contraire. C’est pourquoi certains secteurs sont désormais exclus d’emblée des investissements : le charbon, l’armement, les jeux de hasard, la pornographie et le tabac. Dans le même ordre d’idée, la FGM, qui gère présentement 800 fonds philanthropiques pour un total d’environ 400 millions dollars d’actifs, place ces capitaux en s’assurant de respecter certaines règles d’éthique.
Ainsi, l’argent investi doit l’être dans le respect des droits de la personne et des peuples autochtones, en visant la réduction de l’empreinte carbone des placements, conformément à l’Accord de Paris, et en intégrant les notions de diversité, d’équité et d’inclusion. De plus, la FGM fait appel à des gestionnaires montréalais et québécois, et déploie une partie du capital en investissement à retombées sociales, ici, au Québec. On parle entre autres de logement social.
« Nous nous sommes engagés à mettre au moins 10 % dans des investissements d’impact comme le logement abordable, la réduction des GES et l’économie sociale », explique Karel Mayrand, président-directeur général de la FGM.
« Il a fallu du temps pour mettre le tout en place. Nous travaillons làdessus depuis deux ans, ajoute-t-il. On peut maintenant proposer un fonds philanthropique qui favorise le développement social. Pour nous, un tel fonds doit s’aligner avec les valeurs des donateurs, comme la protection de l’environnement, la santé et la culture. On veut assurer une cohérence pour faire en sorte que les investissements soutiennent des causes importantes pour eux. Nous voulons appliquer les mêmes valeurs dans nos placements que celles des gens qui viennent créer des fonds chez nous, et ce, en poursuivant les mêmes objectifs de rendement. »
Ce faisant, l’argent des donateurs agit en double, affirme M. Mayrand.
« L’argent travaille deux fois, ditil. Il travaille quand il est investi, et ensuite quand il est versé aux causes visées. Quand vous créez un fonds philanthropique, une partie des intérêts est versée chaque année aux causes de votre choix. Mais avec l’investissement éthique, l’argent placé travaille déjà dans le bon sens, avant même que l’on verse les subventions aux organismes soutenus. »
La main gauche et la main droite
L’influence des donateurs et une demande croissante pour de l’investissement responsable en philanthropie font partie des raisons ayant poussé la FGM à entreprendre ce virage majeur. Elisabeth Patterson, associée en droit relatif aux peuples autochtones chez Dionne Schulze, fait partie de ces donateurs soucieux des conséquences des investissements qui sont faits avec leur argent.
L’avocate raconte que sa famille, qui a créé un fonds philanthropique considérable il y a une douzaine d’années, a toujours insisté pour que son argent soit investi de la façon la plus responsable possible.
« À l’époque où notre famille a créé son fonds philanthropique, la FGM n’était pas encore axée sur l’investissement responsable, mais nous avons demandé qu’elle fasse des efforts afin qu’un pourcentage de l’argent investi le soit, et pour que ce pourcentage augmente avec les années, dit Mme Patterson. Mes parents trouvaient que ça n’avait pas de sens de lutter contre l’itinérance d’un côté, alors qu’une partie de leur argent pourrait potentiellement être investie dans des placements immobiliers qui contribuent à générer des problèmes d’itinérance. Ce serait comme d’essayer de mettre un pansement sur un problème qui aurait été créé avec notre argent. »
« Avec l’investissement éthique, l’argent placé travaille déjà dans le bon sens, avant même que l’on verse les subventions aux organismes soutenus »
Pour cette avocate spécialisée en droit autochtone, il ne faut pas que la main gauche reprenne ce que donne la main droite. Elle donne également l’exemple de certaines compagnies forestières.
« Si vous êtes philanthrope et que vous faites des dons à un OBNL qui soutient la culture autochtone, mais que de l’autre côté, votre argent est investi dans des compagnies forestières qui agissent en territoire autochtone sans le consentement des nations concernées, ça n’a pas de sens. »
Avec l’investissement responsable, elle se sent rassurée.
« Mes parents se sont toujours intéressés aux causes sociales, dit-elle. Ça a aussi été le cas d’autres investisseurs, notamment les communautés religieuses, qui demandaient les mêmes choses que nous. Le milieu de la philanthropie est assez conservateur, alors je suis heureuse que des investisseurs comme nous aient été écoutés par la Fondation du Grand Montréal. »