Décarboner la santé
Le système de santé québécois représente 3,6 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) de la province. Pour réduire ce pourcentage à zéro d’ici à 2040, la firme de conseils Dunsky Énergie + Climat a élaboré des recommandations compilées dans une feuille de route « clés en main », grâce au financement de la Fondation familiale Trottier.
Partout, les conséquences des changements climatiques se font déjà sentir. Une étude réalisée en Colombie-Britannique démontre que la hausse des températures, la sécheresse et les inondations, entre autres, peuvent entraîner « des défaillances majeures du système de santé, des perturbations de l’offre de soins, des évacuations temporaires et même des fermetures, créant des urgences sanitaires pour les patients et la communauté en général ». Regarder la santé à travers le prisme du climat et vice versa est donc important pour anticiper les problématiques en cours et à venir, mais aussi pour réduire les GES.
L’an dernier, la Fondation familiale Trottier a annoncé un investissement de 10 millions de dollars sur cinq ans pour décarboner les hôpitaux et améliorer leur résilience face au réchauffement de la planète. Le financement de la feuille de route, commandée par l’Association pour la santé publique du Québec (ASPQ), s’inscrit dans la lignée de cet engagement. « On remarque qu’il y a beaucoup de lacunes dans le système de santé quand ça touche aux questions de changements climatiques, car ce n’est pas une priorité gouvernementale, lance Éric StPierre, directeur général de la fondation. On comprend complètement, parce qu’il y a déjà des problèmes immenses dans la santé au Québec, mais il faut quand même s’y intéresser. »
Si plusieurs initiatives existent à petite échelle, des mesures plus structurantes sont nécessaires pour limiter les émissions de carbone, selon M. StPierre. Le rapport préparé par Dunsky Énergie + Climat révèle en effet que les bâtiments du secteur de la santé sont responsables d’environ 65 % des émissions de GES des infrastructures de l’État. Et ce, alors qu’ils représentent un peu plus du tiers de la superficie. L’écrasante majorité des émissions directes sont liées aux énergies fossiles utilisées pour chauffer l’air et l’eau sanitaire. Le transport d’urgence des patients par ambulance, navette et avion compte quant à lui pour 7 % des émissions.
Des recommandations ciblées
Les hôpitaux sont les plus importants émetteurs, à cause de leur « intensité énergétique » plus grande que celle des autres bâtiments. Ainsi, leur fort taux d’activité, mais surtout « un taux de ventilation élevé pour se conformer aux normes sanitaires », en font des infrastructures plus gourmandes.
Parmi les mesures suggérées, la réduction de la consommation d’électricité en ayant recours à un éclairage à diode électroluminescente (DEL) qui utilise l’énergie de façon plus efficace. La récupération de chaleur est également au programme, alors que des pertes importantes sont constatées dans les édifices médicaux. Enfin, le rapport conseille de remplacer le gaz naturel — une énergie fossile — par des énergies renouvelables dans les immeubles, et d’électrifier les véhicules ainsi que les ambulances dès 2024.
« Une fois qu’on évite l’énergie consommée pour rien, la décarbonation nécessite de remplacer les énergies fossiles par d’autres, renouvelables, dont les technologies électriques comme la géothermie, en priorité, confirme Audrey Yank, consultante chez Dunsky Énergie + Climat. Des bâtiments de la santé décarbonés empêcheraient des émissions de l’ordre de 450 000 tonnes de GES par année. » La géothermie est une technique qui, grâce à un système de pompes, utilise l’énergie du sol pour chauffer ou refroidir un édifice.
Pour atteindre son objectif, la firme Dunsky Énergie + Climat estime que Québec devra investir 3,8 milliards de dollars. Toutefois, un tel plan permettrait aussi d’économiser 787 millions de dollars. Par exemple, l’électrification progressive et complète des ambulances et du parc de véhicules du réseau de la santé pourrait générer des économies de 80 % en coût d’énergie et de 50 % en coût d’entretien. « Ce ne sont pas les citoyens ni les entreprises qui peuvent agir à la place du gouvernement, ça prend un leadership provincial pour fixer un budget et montrer l’exemple en décarbonant ses propres infrastructures », affirme M. St-Pierre.
Créer un élan
La Fondation familiale Trottier continue d’investir à l’intersection du climat et de la santé. Elle a notamment entamé une collaboration avec Synergie Santé Environnement, courtier en solutions environnementales. Une subvention est consacrée au calcul du bilan carbone d’institutions montréalaises comme le Centre universitaire de santé McGill et plusieurs CIUSSS de Montréal. « On lance le message que le gouvernement devrait avoir ces inventaires de GES là », ajoute Éric St-Pierre.
Elle a également rassemblé une douzaine d’autres bailleurs de fonds canadiens afin de mettre le sujet à l’ordre du jour, espérant ainsi créer un élan dans le milieu philanthropique, dont elle voit déjà poindre les frémissements. L’une des deux coprésidentes de la 3e édition du Sommet climat Montréal — en partie financée par la Fondation Trottier — n’est d’ailleurs nulle autre que la Dre Mylène Drouin, directrice de santé publique pour la région de Montréal.