Des locataires aînés exclus et peu protégés
Exclus, forcés de quitter des logements ou de demeurer dans certains qui ne conviennent pas ou plus : les locataires âgés de 65 ans et plus sont à risque de l’exclusion socioterritoriale, un problème non seulement présent dans la métropole montréalaise, mais aussi en région. Et les politiques publiques visant à protéger les locataires aînés sont insuffisantes, selon une équipe de chercheurs qui participeront au colloque L’exclusion socioterritoriale des locataires aîné·e·s lors du 91e Congrès de l’Acfas.
« Ce qu’on voulait explorer, c’est comment le marché du logement locatif privé, dans ses différentes composantes et ses différents aspects en période de crise du logement, favorisait l’exclusion des personnes aînées », explique Hélène Bélanger, professeure au Département d’études urbaines et touristiques de l’Université du Québec à Montréal, membre du Collectif de recherche et d’action sur l’habitat (CRACH) et coresponsable du colloque.
« Souvent, quand on pense aux personnes aînées, il y a cette espèce de mythe selon lequel le choix, c’est vieillir à la maison ou bien aller dans une belle RPA [résidence privée pour aînés]. L’idée, c’est aussi d’amener une vision. Il y a une grande catégorie d’aînés qui n’ont pas de choix résidentiels et qui subissent des mobilités ou des immobilités forcées », soulève Julien Simard, gérontologue social faisant aussi partie du CRACH, postdoctorant au Centre de recherche de Montréal sur les inégalités sociales, les discriminations et les pratiques alternatives de citoyenneté et également coresponsable du colloque.
« Une conjonction de facteurs de risque » explique l’exclusion socioterritoriale des locataires aînés, détaille M. Simard. Il nomme notamment la longue durée d’occupation d’un logement locatif, l’indisponibilité des soins de santé à domicile et l’isolement. Ce sont des dynamiques qui ne sont pas uniques à Montréal, d’après les recherches menées par Julien Simard et Hélène Bélanger. « On a comparé Montréal, Saint-Jérôme et Longueuil pour se rendre compte de ça. On ne s’intéresse pas seulement aux quartiers et aux territoires, mais aussi à comment se déroulent les conflits et les négociations avec les propriétaires. Les dynamiques sont pas mal pareilles partout », précise M. Simard.
Manque de politiques « structurantes »
Bien qu’il y ait des politiques publiques en place visant à garder les personnes aînées dans leur logement, tel que l’article 1959.1 protégeant les locataires aînés d’une reprise de logement ou d’une éviction s’ils y habitent depuis 10 ans ou plus avec un revenu faible, elles ne sont pas « structurantes », selon les deux chercheurs. « Il n’y a pas d’argent à consacrer. C’est juste des ramassis de ce que les villes font et elles mettent ça dans une politique. C’est de la communication politique plus que des mesures structurantes », soutient Julien Simard.
Qu’est-ce qui justifie ce manque de mesures structurantes ? D’une perspective urbanistique, l’exclusion socioterritoriale des locataires aînés, « c’est une problématique un peu sous le radar, même si on en parle de plus en plus. […] Pour la structure du logement au Québec et au Canada, on pense que le marché locatif va répondre aux besoins de la plupart des locataires, sauf à ceux des plus démunis, et on ne se pose pas réellement la question de ce qui se passe vraiment dans le marché locatif privé, surtout en situation de crise », estime Hélène Bélanger.
Pouvoir limité
L’angle mort autour de la « stabilité résidentielle » des locataires aînés, le vieillissement de la population, le désengagement de l’État par rapport aux soins de santé, le manque de support communautaire, puis « l’embourgeoisement, la spéculation immobilière… Tout ça ensemble, ça donne la situation dans laquelle on est », affirme M. Simard. « On a vu venir le problème. C’est juste qu’il n’y a pas eu de mesures structurantes », ajoute-t-il.
« Du côté municipal, on tente de trouver des solutions », reconnaît Hélène Bélanger. Même si les deux experts soulignent l’apport des municipalités pour tenter de contrer l’exclusion socioterritoriale des locataires aînés, ils font remarquer qu’elles sont limitées dans leur champ d’action puisqu’elles ne peuvent pas légiférer sur le plan du Code civil. Elles sont également freinées en raison de leurs ressources financières. « En l’absence de programmes plus généreux ou plus ouverts et flexibles du côté provincial avec transferts aux municipalités, elles sont assez limitées, malgré leurs tentatives. Même si le fédéral transfert de l’argent, ça prend des ententes bilatérales, qui peuvent être longues à négocier. […] La question du logement est particulièrement difficile sur le plan politique au Québec », résume Mme Bélanger.