Inconfort et manque de connaissances chez les professionnels de la santé
Les personnes qui entament leur transition de genre et qui empruntent la voie médicale et chirurgicale se heurtent souvent au malaise et au manque de formation des travailleurs de la santé… quand elles arrivent à y avoir accès. Le colloque Les soins d’affirmation de genre pour les personnes transgenres francophones au Canada se consacre notamment sur cette problématique.
Une femme transgenre entre dans le cabinet de son médecin. Elle vient de subir une vaginoplastie et souhaite voir un gynécologue. Le médecin est perplexe. Un gynécologue est-il en mesure d’examiner une personne transgenre avec un néovagin et une prostate ? « Cet exemple représente bien le manque d’outils dont disposent les professionnels de la santé », explique Stéphane Bolduc, chercheur clinicien en médecine régénératrice, professeur titulaire au Département de chirurgie de la Faculté de médecine de l’Université Laval et coresponsable du colloque au 91e congrès de l’Acfas.
Insécurité et détresse
Ce manque de connaissance de la réalité des personnes transgenres fait en sorte que « non seulement elles passent d’un professionnel de la santé à un autre comme une patate chaude, mais elles portent une grande charge émotionnelle », affirme Sara Tremblay, chercheuse en santé des personnes trans et conférencière au colloque. Souvent, elles éduquent les médecins ou les rassurent sur le fait qu’ils peuvent les traiter. Elles vivent des situations médicales insécurisantes, « telles que cette personne qui se fait dire par un médecin qu’il ne sait pas quoi faire de son cas, mais qu’il va essayer quelque chose. Ça part d’une bonne intention, mais c’est maladroit ! »
Pour les jeunes personnes trans qui se dirigent vers l’hormonothérapie, l’accès aux soins est parfois complexe. Parce que les pédiatres ne se sentent pas outillés pour accompagner une transition de genre, plus d’un an peut s’écouler avant qu’un adolescent ayant entre 14 et 18 ans n’ait accès à une clinique d’affirmation de genre. « Le jeune peut ensuite attendre 12 mois de plus pour avoir sa première prescription », souligne Annie Pullen Sansfaçon, professeure titulaire à l’École de travail social de l’Université de Montréal, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en recherche partenariale et empowerment des jeunes vulnérabilisés et conférencière au colloque.
Cette attente, semblable pour les adultes qui optent pour l’intervention chirurgicale, peut être difficilement vécue dans cette période charnière qu’est l’adolescence, mais il ne s’agit pas de précipiter les choses pour autant. En général, les standards de soins de l’Association mondiale des professionnels pour la santé des personnes transgenres (WPATH), qui recommande par exemple un certain nombre de rencontres avec un professionnel à chaque étape de la transition, sont respectés par les médecins. Cependant, la détresse de ces jeunes est parfois telle que « certains choisissent des hormones achetées en ligne ou dans la rue, affirme la professeure. Il faut donc plus de professionnels ayant les connaissances pour les accompagner et leur faire comprendre les options qui s’offrent à eux ».
Des préjugés et des inégalités
Parce que les préjugés sociaux envers les personnes transgenres sont encore présents, ils teintent parfois les soins qu’elles reçoivent. Dans certains cas, le manque d’éducation engendre des microagressions répétées. « Dire un transgenre pour référer à une personne transgenre, explique Mme Tremblay, c’est mettre l’accent sur l’appareil génital, alors qu’il s’agit d’une question d’identité. Se faire répondre par un médecin, sur un ton désinvolte, qu’il va peut-être se tromper dans les termes qu’il emploie, c’est dénigrant. »
Si accéder à l’opération de réassignation de genre est un soulagement pour une femme transgenre qui la souhaite, ce n’est pas toujours la fin des obstacles. « La couverture de la Régie de l’assurance maladie du Québec est faite de telle sorte que la transition chirurgicale d’une femme trans coûte environ 10 000 $. Celle d’un homme trans est… gratuite ! » affirme Mme Tremblay. Effectivement, certaines hormones féminines ne sont pas couvertes, tout comme l’augmentation mammaire, contrairement à la mastectomie. « C’est un système misogyne, déplore M. Bolduc, dans lequel les exceptions ne font pas partie du système de facturation. »
Outre l’éducation aux soins d’affirmation de genre dans le système de la santé, il est nécessaire de faciliter le chemin à emprunter pour entamer une transition. « Pour les personnes transgenres qui souffrent d’un trouble de déficit d’attention, par exemple, la paperasse à remplir et le suivi auprès des instances sont un labyrinthe », croit Mme Tremblay. En ce sens, un corridor de soins pour les personnes transgenres voit le jour à Québec et des professionnels de la santé sensibles à la cause ont bâti des communautés de pratique. Comme le soutient M. Bolduc, il ne s’agit pas de transformer le système de santé pour les personnes transgenres, mais « si l’accessibilité du système s’améliore pour la population en général, elle s’améliorera aussi pour elles ».
« La couverture de la Régie de l’assurance maladie du Québec est faite de telle sorte que la transition chirurgicale d’une femme trans coûte environ 10 000 $. Celle d’un homme trans est… gratuite ! »