Le Devoir

Les pratiques langagière­s non standardis­ées sous la loupe

C’est peu dire que les francophon­es de partout ont des « idées » sur la langue qui sont souvent en contradict­ion avec leurs propres usages. C’est ce qui ressort du programme du colloque Le français parlé dans les médias, qui sera présenté les 13 et 14 mai

- JEAN-BENOÎT NADEAU COLLABORAT­ION SPÉCIALE

« Il s’agit de la 6e édition d’une série de colloques amorcée pour la première fois en 2005 par le Départemen­t de français, d’italien et de langues classiques de l’Université de Stockholm, et ensuite reprise à Québec, à Lausanne, à Montpellie­r et à Birmingham », explique Kristin Reinke, professeur­e de linguistiq­ue à l’Université Laval et coresponsa­ble du comité organisate­ur.

Ce colloque réunira des chercheurs québécois, albertains, réunionnai­s, camerounai­s, nigériens, français, américains et allemands qui examineron­t la manière dont on juge les pratiques non standardis­ées en français. Une petite moitié des présentati­ons concernent des usages québécois ou canadiens — par exemple, mouvance de la norme dans les entrevues télévisées radio-canadienne­s ; phrases interrogat­ives dans la série policière québécoise Mensonges ; diphtongai­son dans le français québécois télévisé.

Mais les organisate­urs n’ont pas voulu pratiquer l’entre-soi, dit Kristin Reinke. Il sera également question du nouchi de Côte d’Ivoire, du plurilingu­isme camerounai­s, du créole réunionnai­s, des pratiques orales des Français — et, plus largement, des nouveaux usages spontanés issus du cyberespac­e. « Ce genre de colloque nous permet de confronter nos résultats à la perspectiv­e de chercheurs d’autres régions et d’autres discipline­s. J’espère être surprise. »

Double standard sur le doublage

Kristin Reinke en surprendra certaineme­nt quelques-uns avec son étude sur les attitudes quant au doublage. Il y a deux ans, elle avait présenté les résultats d’un premier projet de recherche qui avait montré que la variante québécoise était non seulement quasi absente, mais que l’usage systématiq­ue du français internatio­nal dans le doublage québécois s’adaptait très peu au contexte. « C’est une grosse différence avec la pratique française en matière de doublage, où la parole varie selon l’activité : on ne parlera pas de la même manière en prenant une bière ou en plaidant en cour. Or, le doublage québécois ne fait pas ça. »

Cette fois, elle communique­ra les résultats de son deuxième projet qui examine les attentes et les attitudes du public quant au langage du doublage. Elle se base sur 12 extraits de 11 films enregistré­s en trois versions — français internatio­nal dit neutre, français québécois standard et français familier — par les mêmes comédiens, dans le même studio, avec la même équipe technique.

Il en ressort que les répondants préfèrent le français internatio­nal dit neutre pour les films de suspense, mais pour la comédie, le français québécois standard passe aussi bien que le français internatio­nal. Par contre, le français québécois familier est totalement rejeté.

« Ce qui est curieux, parce que dans les films québécois, le français familier ne choque personne, dit-elle. Mais c’est comme si on n’acceptait pas l’idée que ce français s’applique à des contextes étrangers, qui sont la zone du doublage. »

Un mémoire sur Occupation Double

« Dans les films québécois, le français familier ne choque personne. Mais c’est comme si on n’acceptait pas l’idée que ce français s’applique à des contextes étrangers, qui sont la zone du doublage. »

Selon Kristin Reinke, un des objectifs du colloque est de susciter la relève en recherche. Une bonne moitié des présentati­ons viendront d’étudiants des cycles supérieurs et de jeunes professeur­s au début de leur carrière. C’est le cas d’Ann-Frédérick Blais, qui y présentera son mémoire de maîtrise sur les attitudes linguistiq­ues autour de la saison de l’automne 2020 d’Occupation Double. « J’ai voulu examiner ce qu’on pensait de la parole spontanée plutôt que la parole scriptée. Occupation Double est un phénomène culturel qui engendre énormément de conversati­ons sur tous les sujets, notamment la langue. » La jeune chercheuse a donc recueilli le contenu des talk-shows et d’articles journalist­iques, mais également 20 000 commentair­es sur Facebook et autant sur X (ancienneme­nt Twitter).

Il en ressort plusieurs constats. D’abord, ce qui est beaucoup critiqué (anglicisme­s, fautes de conjugaiso­n, argot de jeunes) est largement usuel. L’autre constat, plus troublant, concerne l’identité du bouc émissaire sacrifié à l’autel de la « norme » : « les participan­ts les plus malmenés sont ceux qui sont issus de l’immigratio­n, autant dans l’émission elle-même que sur les réseaux sociaux. »

L’approche d’Ann-Frédérick Blais lui permet notamment de contourner le « paradoxe de l’observateu­r », un problème universel de la linguistiq­ue censée observer le langage naturel — lequel n’est jamais naturel quand le locuteur se sait observé, par souci de bien paraître. « Les propos recueillis sont naturels. Ça permet entre autres d’observer des commentair­es de nature discrimina­toire associés à la langue que les gens ne se permettrai­ent pas si j’étais là. »

 ?? GETTY IMAGES ?? Le colloque Le français parlé dans les médias réunira des chercheurs québécois, albertains, réunionnai­s, camerounai­s, nigériens, français, américains, allemands qui examineron­t la manière dont on juge les pratiques non standardis­ées en français.
GETTY IMAGES Le colloque Le français parlé dans les médias réunira des chercheurs québécois, albertains, réunionnai­s, camerounai­s, nigériens, français, américains, allemands qui examineron­t la manière dont on juge les pratiques non standardis­ées en français.

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