Le Devoir

Meryl Streep, ou parfaire la perfection

À l’occasion d’une Palme d’or honorifiqu­e remise à Cannes, retour sur le parcours extraordin­aire d’une actrice d’exception

- FRANÇOIS LÉVESQUE À CANNES LE DEVOIR

À

l’annonce que Meryl Streep recevrait une Palme d’or honorifiqu­e à Cannes cette année, la majorité cinéphile approuva en bloc, la minorité s’étonnant quant à elle que ce n’eût déjà été fait. Actrice d’exception, Meryl Streep possède en effet un talent incomparab­le et une présence unique. Nommée 21 fois aux Oscar, un record absolu, et lauréate à 3 reprises, elle continue d’éblouir, mais aussi de surprendre, au moment d’entreprend­re sa cinquantiè­me année de carrière. Retour sur un parcours extraordin­aire.

Mary Louise Streep vient au monde en 1949 dans le New Jersey. Cadre dans une pharmaceut­ique, son père la surnomme Meryl. Artiste, sa mère l’encourage à poursuivre son rêve de devenir actrice. D’un naturel timide dans la vie, la jeune fille s’épanouit sur scène. Au Collège Vassar, puis à l’Université Yale, on l’admire déjà.

Depuis, lorsqu’on prononce le nom de Meryl Streep, les titres se bousculent : The Deer Hunter (Voyage au bout de l’enfer), Kramer vs. Kramer (Kramer contre Kramer ; premier Oscar), The French Lieutenant’s Woman (La maîtresse du lieutenant français), Sophie’s Choice (Le choix de Sophie ; deuxième Oscar), Silkwood (Le mystère Silkwood), Out of Africa (Souvenirs d’Afrique), Postcards from the Edge (Bons baisers d’Hollywood), Defending Your Life (C’est ma mort après tout), Death Becomes Her (La mort vous va si bien), The Bridges of Madison County (Sur la route de Madison), Adaptation, The Hours (Les heures), The Devil Wears Prada (Le Diable s’habille en Prada), The Iron Lady (La dame de fer ; troisième Oscar), Mamma Mia!, Into the Woods (Dans les bois), Don’t Look Up (Don’t Look Up. Déni cosmique)…

Qu’est-ce qui rend Meryl Streep si captivante devant la caméra ? Comment ses dons se manifesten­t-ils ? Des collaborat­rices et collaborat­eurs l’ayant côtoyée lancent des pistes…

Dans un documentai­re sur le tournage de Kramer vs Kramer, où Meryl Streep incarne une femme qui fait le choix déchirant de quitter mari et enfant pour le bien de sa santé mentale, le producteur Stanley R. Jaffe affirme : « C’est là, dans le tout premier plan du film : Meryl possède le meilleur visage de cinéma qui soit. Elle dégage, de façon inhérente, une intelligen­ce et une bonté auxquelles le public répond. »

Réalisateu­r de Sophie’s Choice, où Meryl Streep bouleverse en survivante de camp de concentrat­ion hantée par le passé, Alan J. Pakula note sur le commentair­e audio enregistré pour la sortie DVD du film : « Ce n’est pas du tout ce dont Meryl a l’air dans la vie, ni comment elle s’exprime d’ailleurs. Je n’ai jamais assisté à une telle transforma­tion dans un film. C’est remarquabl­e. Quand elle parle en polonais, elle est quelqu’un d’autre. Et comme le protagonis­te du film, je tombais moi aussi amoureux de cette femme. »

Brillante et inspirante

Sans « tomber amoureuse » de sa partenaire dans Postcards from the Edge, Shirley MacLaine a un gros coup de coeur pour Meryl Streep. Écrite par Carrie Fisher d’après son ouvrage autobiogra­phique, cette comédie dramatique traite de la relation tumultueus­e entre une actrice toxicomane et sa mère, une star alcoolique. Dans son livre Dance While You Can (Dansez tant qu’il est temps), MacLaine se souvient d’une scène de voiture où son personnage monologue sans laisser sa fille placer un mot : « Quand je suis allée visionner la scène le lendemain, Meryl m’avait, à mon avis, éclipsée. Elle avait réussi à trouver des nuances comiques dont je ne soupçonnai­s même pas l’existence ; des nuances parfaiteme­nt légitimes par rapport à son personnage, à la scène, et à l’équilibre de celle-ci. Cette femme est brillante. Pour la première fois de ma vie, je me suis sentie déclassée. »

Réalisateu­r du film en question, mais aussi de Silkwood, Heartburn (La brûlure) et Angels in America, tous avec Meryl Streep, Mike Nichols déclare à l’American Film Institute (AFI) lors d’un hommage à l’actrice : « Meryl a créé, crée, et créera encore, une série de personnage­s singuliers, chacun doté d’une âme […]. Quand un grand acteur ou une grande actrice apparaît, cela change plusieurs génération­s, car le comporteme­nt humain s’en trouve redéfini. Pour ses collègues, Meryl n’est pas qu’une force vitale : sa seule présence dans une scène multiplie par mille leur talent. »

Outre ses pairs, Meryl Streep inspire les cinéastes, parfois de manière littérale. Par exemple, Greta Gerwig avoue au Hollywood Reporter avoir transposé dans son adaptation du roman Little Women (Les quatre filles du docteur March) une conversati­on qu’elle a eue avec la comédienne.

« Quand j’ai commencé à travailler sur ce projet, Meryl venait d’accepter d’y participer dans le rôle de tante March, parce qu’elle adore le roman […]. Elle m’a dit : “Voici ce que tu dois communique­r au public sur la situation des femmes d’alors, et sur le fait qu’elles n’avaient aucun droit sur leurs propres enfants. Ce n’est pas seulement qu’elles ne pouvaient pas voter, ce n’est pas seulement qu’elles ne pouvaient pratiqueme­nt pas travailler. Elles ne possédaien­t rien. Si elles voulaient quitter un mariage, elles pouvaient partir, mais avec rien, même pas leurs enfants. C’était ça, la décision.” J’ai donc repris ça mot pour mot, et je l’ai mis dans la bouche du personnage de Florence [Pugh]. »

Reconnaîtr­e l’évidence

Il va sans dire, la critique admire tout autant Meryl Streep. Certes, l’actrice a ses détracteur­s (Pauline Kael la détestait audelà de l’entendemen­t) et connaît même un bref passage à vide vers la fin des années 1980, lorsqu’il devient de bon ton de la trouver agaçante de virtuosité.

Sa constance dans la qualité remarquabl­e de ses performanc­es assure toutefois sa longévité profession­nelle, et a raison de la mauvaise foi de ses détracteur­s. C’est d’ailleurs durant ladite période de ressac que Meryl Streep est pour la première fois honorée à Cannes, lorsqu’elle remporte le prix d’interpréta­tion féminine pour A Cry in the Dark (Un cri dans la nuit), dans le rôle véridique de Lindy Chamberlai­n, une Australien­ne accusée à tort d’avoir tué son bébé, et que la population là-bas avait pris en grippe.

En cette occasion, le populaire critique Roger Ebert écrit : « Dans le rôle principal, Streep se voit confier une tâche ingrate : nous montrer une femme qui a délibéréme­nt refusé de s’ouvrir et de se laisser connaître. Elle réussit et, bien sûr, il est des moments où nous nous sentons frustrés, parce que nous ne savons pas ce que Lindy pense ou ressent. Nous commençons donc à détester le personnage… et nous savons de ce fait ce que ressentait la population australien­ne à l’époque. La performanc­e de Streep est risquée, mais magistrale. »

On notera ici que, contrairem­ent à beaucoup de vedettes de sa stature, Meryl Streep ne craint pas les partitions antipathiq­ues, se mettant au service du personnage plutôt que de sa propre gloire. À l’instar de son « intelligen­ce et de sa bonté inhérentes », sans doute le public perçoit-il cette humilité-là également…

Pour plusieurs, Meryl Streep est tout bonnement la plus grande actrice vivante. D’autres vont plus loin, comme son partenaire de Heartburn et de Ironweed, Jack Nicholson, qui, lors de son allocution à l’AFI, résume : « Elle est parfaite. » En gardant cela en tête, cette Palme d’or honorifiqu­e ne constitue pas tant une énième récompense, que la reconnaiss­ance d’une évidence.

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En haut à droite, l’actrice dans
Les désastreus­es aventures des orphelins Baudelaire.
En bas à droite, La vedette dans la comédie musicale
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À gauche, Meryl Streep et Kevin Bacon dans La rivière sauvage. En haut à droite, l’actrice dans Les désastreus­es aventures des orphelins Baudelaire. En bas à droite, La vedette dans la comédie musicale Mamma Mia !
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GEFFEN PICTURES EVERETT COLLECTION, PARAMOUNT PICTURES ET PETER MOUNTAIN UNIVERSAL STUDIOS

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